Dialogue autour de l'enseignement du vocabulaire (1999) | |
L'outillage lexical (2001) | |
La Reformulation, base de l'enseignement du vocabulaire |
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L'utilisation du DFU pour l'enseignement du vocabulaire (2003) | |
L'utilisation du DFU pour l'enseignement du vocabulaire (2003) |
ARTICLES DE FOND |
Un livre à lire : Elisabeth NUYTS - Lécole des illusionnistes | |
DIALOGUE AUTOUR DE L'ENSEIGNEMENT DU VOCABULAIRE | |
Études de Linguistique Appliquée n° 116 - (1999) - pp. 421 à 434 Il m'a été donné, en janvier 1998, de faire, sur l'enseignement du vocabulaire une "conférence pédagogique" devant le corps enseignant des écoles primaires de la circonscription de Fourmies (Nord). Cette conférence avait été soigneusement préparée par les personnes de l'inspection académique qui m'avaient invitée. J'avais reçu une liste de questions à traiter, et un épais dossier d'exercices de vocabulaire élaborés par les maîtres et maîtresses de la circonscription, souvent assortis de considérations et citations méthodologiques. Cette expérience m'a été très profitable en ce qu'elle m'a permis de comprendre à quel point mes interlocuteurs ressentent la nécessité d'un enseignement systématique du vocabulaire et à quelles difficultés ils se heurtent. Les exercices proposés à mon jugement avaient tous leur utilité et pouvaient tous apprendre quelque chose aux élèves. Mais plusieurs des idées qui les sous-tendaient m'ont paru appeler la discussion. Et plusieurs des questions qui m'étaient posées méritaient une réponse approfondie. Ce sont elles qui structureront l'article ci-dessous. On notera qu'il ne s'agit que de principes généraux qui doivent seulement servir de base de réflexion aux enseignants. Ils ont des enfants d'âge divers qui leur sont confiés, une expérience qui me manque et savent adapter leur enseignement au niveau de leurs élèves. Quoique cette réflexion ait été menée à partir d'exercices conçus pour l'enseignement primaire, les professeurs de collège ne devraient pas se sentir moins concernés que ceux des écoles. 1. LES MOTIVATIONS ET LA SYSTÉMATICITÉ Une idée récurrente, dans les documents envoyés, était que le vocabulaire ne s'enseigne pas comme une autre matière. L'apprentissage des mots a, pense-t-on, besoin d'une "base affective". Il faut que l'enfant en "sente le besoin" et c'est alors que l'enseignant, jusque là contraint à la passivité peut intervenir, simplement pour lui apporter l'instrument précis qui lui manquait, de préférence "en situation", ou pour corriger une erreur d'emploi. C'est s'interdire à l'avance tout enseignement systématique. Et si l'enfant ne demande rien ? s'il a l'impression de s'exprimer très suffisamment au moyen d'un vocabulaire plus ou moins embryonnaire acquis "par imprégnation" dans "son milieu naturel" ? Et si beaucoup de "situations" typiques, appelant un vocabulaire propre ne se présentent pas en classe ? Et comment des corrections ponctuelles ("On ne dit pas comme-ci mais comme-ça") ne paraitraient-elle pas arbitraires, si on ne montre jamais comment elles s'intègrent dans des ensembles cohérents ? Heureusement qu'on n'en demande pas tant pour toutes sortes d'autres disciplines ! est-ce qu'on apprend l'histoire, le calcul et les sciences naturelles "en situation", "par imprégnation" ? S'il fallait une "base affective" pour enseigner les tables de multiplication, et les conjugaisons, personne ne les saurait jamais ! pourquoi des exercices systématiques de vocabulaire devraient-ils répondre "à un besoin réellement ressenti" plus que les exercices de mathématiques ? Il est à craindre que ce recours à la motivation et à la situation ne s'explique que par l'embarras méthodologique des enseignants et l'ennui engendré par des leçons de vocabulaire réduites à des listes de mots et à de simples étiquetages. Je suis toutefois entièrement d'accord avec la personne qui écrit que "les stratégies d'enseignement du vocabulaire qui misent sur les connaissances des élèves sont toujours plus efficaces que celles qui ne le font pas". C'est bien pourquoi nous préconisons de partir des mots de haute fréquence, qui ne peuvent pas être complètement ignorés. Elle souhaite "élaborer avec les élèves une constellation de mots" à partir de ce qu'ils savent déjà. C'est bien ce que nous esquisserons au § 4. Je parle, moi, de "grappes" de mots. Une métaphore vaut l'autre ! Que les mots soient des grains de raisin ou des étoiles, cela revient au même ! 2. RAPPORT DU MOT ET DE LA CHOSE "Il faudra attendre 9-10 ans, me dit-on, pour que le nom soit détaché de la chose signifiée". "Les mots sont appris, au Cours Préparatoire et au Cours Élémentaire, en présence de la chose, de l'action ou de la qualité désignée". En présence de la chose, passe encore, pour les choses transportables dans une classe, ou visibles en images. Des dessins, les photos sont à leur place dans les dictionnaires de tendance encyclopédique. Substituer une image à une définition n'est pas un procédé linguistique. Mais que peut bien signifier "en présence de l'action ou de la qualité désignées" ? Je crains bien qu'il ne s'agisse d'une simple clause de style, si j'en juge par le contenu des exercices proposés qui portent dans leur grande majorité sur des noms concrets, autrement dit des noms ayant pour référents des objets. Or les noms concrets ne représentent qu'une toute petite partie du vocabulaire fréquent, et la plus facile à apprendre, celle, précisément, qui s'apprend normalement "en situation". Tous les enfants savent ce que c'est qu'un arbre, pas besoin de leur apprendre ce signifiant. Est-il utile de leur enseigner en classe de français le frêne et l'orme s'ils n'en ont pas dans leur jardin ? Est-il utile, même, qu'ils connaissent les noms (souvent très techniques) des arbres du jardin public de la ville ? Un cours de français n'est pas un cours de botanique. Énumérer des noms de vêtements ne peut être utile que pour les tout petits ! Et les noms des appareils ménagers ? fait-on une leçon de français ou de technologie ? Il n'y a pas que des noms, dans une langue et les enfants n'attendent pas d'avoir 9 ou 10 ans pour les faire fonctionner dans des phrases, même si ces phrases ne sont pas toujours bâties de façon canonique ! Surtout, il n'y a pas que des "noms concrets" ! Il y a une multitude de noms abstraits, dérivés de verbes ou d'adjectifs, extrêmement usuels et utiles pour s'exprimer avec souplesse. Les enfants ne connaissent peut-être pas les mots méthode et procédé, mais ils connaissent sûrement le mot truc qui est parmi les plus abstraits de la langue. Les noms ne sont pas des étiquettes collées sur la réalité, ce sont des outils qui permettent à l'esprit de s'emparer de cette réalité. Il ne faut pas aller de l'extra-linguistique vers le linguistique mais au contraire du linguistique vers l'extra-linguistique. Montrer une maison ou l'image d'une maison en demandant comment cela s'appelle ? n'intéressera pas grand monde, même si on fait préciser que cette maison est une villa, un immeuble, un mas provençal ou une baraque. Il en sera autrement si la question posée est : "de quoi puis-je parler avec cet outil linguistique ? à quoi le mot maison peut-il me servir ?" Ouvrez votre Petit Robert, et vous aurez déjà une assez bonne idée de la réponse. Avec le mot maison, je peux parler de bâtiments d'habitation de diverses sortes qu'on peut construire, acheter et vendre (tel est le sujet d'un des exercices proposés), mais aussi de l'ensemble des gens qui y habitent, du foyer familial, des familles princières - et puis de toutes sortes de bâtiments institutionnels qui ne sont pas des habitations familiales comme les maisons de retraite, maison d'arrêt, maison du peuple, ou maisons de la culture. Il y a là plus de sujets de conversation instructive qu'on ne peut en épuiser en une heure, à plus forte raison en un quart d'heure, compte tenu des capacités d'attention de l'auditoire. D'où l'intérêt de ne pas partir d'un thème (par ex. "l'habitat") qui conduira forcément à faire de l'étiquetage, mais d'un mot de haute fréquence à emplois multiples. Ceci nous mène directement à la question suivante. 3. FAUT-IL PRIVILÉGIER LE TRAVAIL SUR LE VERBE OU SUR LE NOM COMMUN ? Les deux, chers collègues. Mais s'il fallait choisir, je donnerais la préférence au verbe, victime, dans les exercices qui m'ont été proposés, d'une grande disette. On peut, à la rigueur, faire de l'étiquetage en collant des noms concrets sur des images, sans faire intervenir de verbe, mais ça n'apprend pas à parler. On parle avec des phrases, et le verbe est ce qui structure la phrase. Donc, à mon avis, dans tout exercice de vocabulaire il doit y avoir des verbes. Mais les verbes ont besoin de noms pour fonctionner. Donc l'association des deux est indispensable. Ce que j'appelle champ actanciel repose sur cette constatation élémentaire : le sujet et les compléments "essentiels", indispensables au fonctionnement du verbe (autrement dit non "circonstanciels") sont ses actants. Tout verbe s'associe de préférence avec les noms qui ont avec lui une relation sémantique et vice versa. Si on part d'un verbe, on sera amené à classer les noms ou les types de noms avec lesquels il s'associe de façon spécifique. Si on part d'un nom, on sera amené à trouver les verbes avec lesquels il s'associe de façon spécifique, compte tenu du fait que si le verbe ou le nom duquel on part est polysémique, les associations pourront varier selon les emplois. Si on part d'un adjectif, à trouver les types de noms qui lui servent préférentiellement de support. On pourra ensuite faire foisonner à volonté (selon les capacités d'absorption de l'auditoire) cet embryon de champ :
On obtient ainsi très vite une énorme grappe de mots dont quelques grains bien choisis suffiront pour alimenter une leçon de vocabulaire à un niveau élémentaire. Le Dictionnaire du français usuel de Jacqueline Picoche et Jean-Claude Rolland, à paraître chez Duculot aux environs de l'an 2000, est conçu de manière à constituer autour de mots de très haute fréquence des "grappes de mots" de ce genre. À mon avis, le mieux est de prendre pour point de départ d'une leçon de vocabulaire soit un nom concret ayant un large symbolisme, centre de nombreuses locutions, soit un verbe polysémique. Mais enfin, il y a moyen de tirer quelque chose des noms les plus monosémiques, et comme la grappe de mots obtenue sera moins énorme, elle conviendra peut-être mieux à un niveau élémentaire. 4. ON ME DEMANDE DES EXEMPLES PRÉCIS DE "CHAMPS ACTANCIELS" Allons-y : Partons d'un des exercices proposés, parmi les plus "étiqueteurs" et "extra-linguistiques", consistant à nommer, d'après des images, des appareils ménagers, et à classer leurs noms selon que les appareils en question utilisent ou non l'électricité. On trouvera inévitablement dans la liste une bouilloire et un aspirateur. Or, des outils, des objets fabriqués se définissent premièrement par leur usage (secondairement seulement par leur structure et les matériaux employés). Donc une bouilloire est un appareil qui sert à faire bouillir de l'eau et un aspirateur à aspirer la poussière. On ne trouvera guère d'autres verbes spécifiques à leur associer (acheter, vendre, détraquer, pouvant s'appliquer à toutes sortes d'autres choses que des bouilloires et des aspirateurs). Emparons nous donc de ces deux verbes dont l'un n'est pas des plus faciles à conjuguer ni à orthographier, mais qui nous simplifie la vie par son caractère intransitif (pas de complément d'objet à prendre en considération).
Voilà déjà un joli petit champ actanciel, agrémenté d'une modeste polysémie. Passons à aspirer, qui ne présente aucune difficulté d'orthographe ni de conjugaison :
4. COMMENT ENRICHIR LE "CAPITAL QUALIFICATIF" ? Supposant que la question signifie "comment apprendre aux élèves les adjectifs qu'ils ne possèdent pas ?", je répondrai deux choses :
5. COMMENT TRAVAILLER LE VOCABULAIRE INCONNU ? EN EXTENSION ? EN APPROFONDISSEMENT ? La question signifie apparemment "vaut-il mieux apprendre un grand nombre de mots superficiellement ou un petit nombre bien travaillés" ? Je réponds : l'essentiel est de bien travailler des mots fréquents et polysémiques, pour bien clarifier les structures mentales qu'ils recouvrent. Ce premier travail amènera tout naturellement son lot de dérivés, de synonymes et d'antonymes. Cela fait, des mots plus rares, quand on les rencontrera, se situeront tout naturellement dans un ensemble cohérent. Je ne dis pas qu'un mot rare, inconnu, et d'aspect bizarre, ne puisse pas exciter la curiosité des élèves, leur donner l'impression agréable d'être très savants, comme un peu de poivre ou de moutarde relève un plat un peu fade. Mais point trop n'en faut. Je relève, dans les textes et exercices qui m'ont été soumis lunule, lupuline, noème, photon, sélénite, épiphénomène, nécromancie. Il me semble que c'est un peu forcer sur le poivre et la moutarde. Les mots techniques, les termes propres aux différentes spécialités ne sont pas le gibier de l'enseignant de français, ils s'apprennent tout naturellement quand on pratique ladite spécialité. Un rédacteur d'exercices se plaint à juste titre de l'usage abusif que ses élèves font de mots comme truc, machin : chose et objet seraient certes plus académiques. Il affirme qu'on doit toujours aller du mot passe-partout au mot propre : Je réponds oui et non ; ça dépend des cas. Il y a des circonstances où il est nécessaire de préciser si l'animal de compagnie de Dupont est un teckel ou un dalmatien et d'autres où il serait incongru de ne pas utiliser tout simplement le mot chien. On peut, bien sûr, citer quelques dénominations précises, parmi les plus courantes, mais tout le monde n'est pas appelé à devenir vétérinaire et n'a pas besoin d'absorber des listes détaillées de noms de races de chiens. Une personne peu experte en matière canine ne choquera personne en parlant d'un petit chien et d'un gros chien. Par contre, il est très intéressant, pour ceux qui ne les connaîtraient pas, qu'on leur enseigne, en les commentant, les locutions usuelles où figure le mot chien :
Un enseignant de Fourmies avait organisé dans sa classe un "atelier météo" qui fonctionnait tous les matins, dès l'accueil : température, état du ciel, direction du vent, etc. Excellent exercice d'observation certes. Mais au point de vue lexicologique, le profit semble limité. À part les locutions récurrentes le plus usuelles sur le temps qu'il fait, on apprendra des mots comme cumulus, nimbus, stratus, strato-cumulus, précipitation. Tout cela me paraît moins urgent que d'apprendre à manipuler dans tous ses emplois le verbe prendre ou le verbe mettre. Mon avis est qu'il faut commencer par le commencement : bien manier les mots "passe-partout" avec toutes leurs possibilités. Les mots plus spécialisés se caseront ensuite avec la plus grande facilité dans les structures ainsi mises en place. 6. DU BON USAGE DES DICTIONNAIRES "On n'apprend pas le vocabulaire dans un dictionnaire !" écrit l'un des intervenants. On a besoin de contextes pour définir les mots. À ce collègue, je répondrai qu'il y a deux grands types de dictionnaires : les dictionnaires de type encyclopédique, illustrés d'images et donnant toutes sortes de renseignements historiques, géographiques, scientifiques, mais fort peu de contextes, dont le représentant typique est le Petit Larousse. On y trouvera l'explication de mots techniques, mais dans l'ensemble ce n'est pas là qu'il faut chercher la matière des leçons de vocabulaire. Il y a, d'autre part, des dictionnaires de type linguistique, qui donnent des contextes abondants, souvent tirés d'œuvres littéraires, dont le représentant typique est le Petit Robert. Ceux-là sont extrêmement utiles pour l'enseignement du vocabulaire. Utiles à qui ? Surtout au maître ! Bien sûr qu'il faut familiariser les enfants avec les dictionnaires, mais on ne fera "chercher dans le dictionnaire" à de jeunes élèves (connaissant tout de même l'ordre alphabétique !) que des mots relativement rares et monosémiques avec lesquels ils ne sont pas familiers. On ne les enverra pas se perdre dans les vastes articles consacrés aux grands polysèmes qu'ils croient connaître quoiqu'ils en ignorent beaucoup d'emplois. "Il n'existe aucun inventaire syntagmatique du lexique conçu pour l'enseignement du français langue maternelle" me dit-on encore. Il en existera bientôt un : une des finalités du Dictionnaire du français usuel déjà cité, de Jacqueline Picoche et de Jean-Claude Rolland, est de combler cette lacune, donnant les "structures actancielles" des mots étudiés. On se plaint qu'il soit "rare que le contexte soit assez riche pour révéler toutes les facettes d'un mot". C'est non seulement rare, mais impossible, sauf ambiguité involontaire, ou recherchée pour une raison ou pour une autre (faire des jeux de mots, tromper le destinataire...). Le contexte, justement, est sélectif, c'est lui qui désambiguise le mot polysémique, et indique au destinataire du message dans quel sens il doit être interprété. Il faut plusieurs contextes bien différenciés pour révéler tous les emplois - ou, disons mieux, les principaux emplois - d'un polysème, le nombre de ses emplois étant en principe illimité. J'ai trouvé dans les dossiers qui m'ont été fournis des conseils raisonnables pour une utilisation maximale du contexte ; mais il faut bien voir que le contexte "met sur la voie" du sens d'un mot inconnu, permet de faire une hypothèse sur ce sens, mais ne le révèle pas entièrement. Si c'était le cas, le mot inconnu n'apporterait rien au message, serait une pure et simple tautologie. Le contexte du mot nécromancie qui apparaissait dans un des textes utilisés, aboutissait au mieux à une définition comme "la nécromancie est une pratique magique", mais ne disait rien de spécifique. Pour en savoir plus long, il fallait obligatoirement le chercher dans le dictionnaire. 7. L'APPRENTISSAGE DU VOCABULAIRE PAR LA LECTURE DE TEXTES Bien sûr qu'on enrichit et qu'on affine son vocabulaire en lisant ! C'est une vérité d'évidence ! On me dit que le rôle de l'école est d'accroître la motivation à lire, l'essentiel de l'apprentissage du vocabulaire venant des lectures personnelles de l'élève. Eh oui, mais s'il ne lit pas ? ou s'il ne lit que des bandes dessinées à vocabulaire pauvre ? Du moins fera-t-il en classe quelques lectures, et le maître pourra veiller à ce qu'il ait un dictionnaire sous la main pour chercher les mots inconnus qui s'y rencontrent et ne pas se contenter de l'hypothèse sur le sens suggérée par le contexte. Mais partir d'un texte pour faire une leçon de vocabulaire, sous le nom d' "activité d'approfondissement" est forcément ou artificiel ou non systématique. Non systématique si on se contente des mots rencontrés dans le texte, qui ne couvrent jamais l'ensemble des principaux éléments d'un champ actanciel, artificiel si, à propos d'un texte on développe tout un ensemble lexical qu'il ne contient pas et avec lequel il n'a qu'une relation vague. Je suis tombée dans les dossiers fournis, sur un texte du genre fantastique à partir duquel l'enseignant avait développé le thème de "la peur". Le "vocabulaire de la peur" ainsi répertorié comportait les mots fantôme et cimetière . Par contre, on n'y trouvait pas des verbes comme craindre et s'inquiéter... Or, on peut avoir peur de toutes sortes d'autres choses que de fantômes, ce n'est même pas un cas très fréquent. D'autre part, il est rare qu'un texte ne donne matière qu'au développement d'un seul thème. Prenons l'exemple du Petit Poucet, illustré par la photocopie d'une gravure de Gustave Doré, compliquée et sombre, peut-être peu lisible pour des enfants. L'enseignant voulait développer à ce sujet le vocabulaire de la parenté, des sentiments, des lieux et des déplacements. C'est beaucoup ! C'est très bien pour une explication de textes, mais c'est trop pour une leçon de vocabulaire. Supposons, par contre, qu'un enseignant ait fait une leçon de vocabulaire systématique à partir du mot chien, comme celle que nous avons suggérée plus haut. Il est tout naturel, après cela d'aborder la fable de La Fontaine Le loup et le chien et d'en tirer le meilleur profit. De même, quelques bonnes leçons de vocabulaire sur les mots acheter et vendre, prêter et emprunter, devoir, intérêt, permettraient aux élèves d'entrer de plain-pied dans la comédie de L'Avare. Bref, je vois une leçon systématique de vocabulaire plutôt comme un préalable à l'étude d'un texte que comme une conclusion à cette étude. Et je pense qu'il serait souhaitable que les programmes et instructions officielles prennent en compte cette orientation. 8. PROBLÈMES DE TERMINOLOGIE ET DE DÉFINITION Faut-il
donner aux élèves une terminologie, et laquelle ? Je réponds
"le moins possible" ; aucune aux petits, et pour ceux qui ont
déjà fait de la grammaire, la terminologie la plus usuelle
et la plus simple : pour les fonctions : sujet, complément, attribut,
pour les formes verbales : infinitif, indicatif, subjonctif, pour la sémantique
: synonyme, antonyme, dérivé, état - action - concret
- abstrait - humain - Nous n'en utilisons pas d'autres dans notre Dictionnaire
du français usuel. Autre question : "qu'est-ce que c'est que la liberté ?" La réponse canonique est que "c'est la qualité d'un sujet libre", un nom devant en principe être défini par un nom selon le sacro-saint principe de la substituabilité de la définition au défini. Or, il est rarissime que la définition soit réellement substituable au défini. Et cela aurait-il un sens de faire des catégories de qualités ? Je trouve beaucoup plus naturelle, et non coupable, la définition qui vient spontanément à l'esprit des enfants : "la liberté , c'est quand on est libre". Mais qu'est-ce que c'est qu'être libre ? Avec cet adjectif fort abstrait, nous arrivons nécessairement à une structure verbale : " A1 (autrement dit l'actant n°1) est libre .
À l'enseignant de donner des noms à A1 et à A2 et de trouver les moyens de faire avaler avec plaisir et intérêt la potion amère de cette structure abstraite rébarbative. Toute rébarbative qu'elle est, elle rend compte de tous les emplois, si variés soient-ils des mots libre et liberté et permet de construire tout un champ actanciel de la contrainte et de son contraire. La majorité des noms et adjectifs abstraits reposent en dernière analyse sur des structures verbales. Ce sont elles qu'il faut définir, et il faut le faire de préférence à la 3e personne du singulier du présent de l'indicatif sans omettre aucun actant, même si tous n'apparaissent pas toujours en surface. On ne peut pas définir les mots repas et aliment sans avoir défini préalablement le verbe manger. Bien sûr il arrive qu'on emploie ce verbe sans préciser son objet. Mais, pour le définir, il est indispensable de le préciser. A1,
humain ou animal mange A2 animal ou végétal : il met dans
sa bouche, mâche et digère A2, afin d'accumuler l'énergie
nécessaire pour continuer à vivre. Qu'est-ce que c'est qu'un repas ? A1 fait un repas quand il mange en une fois plusieurs aliments, ce qui se reproduit, en général, pour les adultes, trois fois par jour, à heures plus ou moins fixes. 9. EXPLICITEZ, JUSTIFIEZ LE CHOIX DE LA POLYSÉMIE Ce choix est lié à celui de partir d'un mot de haute fréquence plutôt que de partir d'un thème pour organiser une leçon de vocabulaire. Cela ne signifie pas qu'il soit coupable de partir d'un thème (c'est-à-dire de l'extra-linguistique) quand on a de bonnes raisons pour le faire. Mais il faut savoir que dans ce cas, on privilégiera la disjonction des polysèmes en homonymes. Exemple : Si je fais une monographie sur "le vocabulaire du pétrole", je parlerai de raffiner, de raffinage et de raffinerie sans me soucier du lien sémantique de ces mots avec l'adjectif fin ni avec ses autres dérivés, comme la finesse et le raffinement. Mais si je m'empare de l'outil linguistique qu'est l'adjectif fin pour en explorer toutes les possibilités, donc de la structure actancielle de base " A1 est fin ", et si j'entreprends d'étudier toutes les sortes de A1 associables à cet adjectif et toutes les manières pour A1 d'être fin, et pour A2 de rendre fin un A1 qui ne l'est pas, je serai amenée à étudier tous les dérivés les uns par rapport aux autres, avec leurs ressemblances et leurs différences. Le mot feu, ainsi que ses dérivés sémantiques, sinon morphologiques (brûler, flamme, ardent, etc.) sert à parler de toutes sortes de choses qui ne sont pas du feu (l'impatience, la colère etc.). Si vous partez du thème du "chauffage" ou de "l'incendie", vous ne parlerez du feu que dans ses emplois concrets et vous ferez de l'étiquetage. Mais si vous partez de l'outil linguistique qu'est le mot feu, vous enseignerez une multitude de locutions qui apprendront aux élèves à utiliser un mot concret au propre et au figuré. La métaphore est, avec la métonymie, un des grands mécanismes sémantiques à l'œuvre dans toute langue. Le fameux "langage des jeunes" est plein de métaphores qui jaillissent spontanément. Même quand il s'agit d'un polysème abstrait, par exemple le verbe apprendre, la prise de conscience globale de ses différentes possibilités (le savoir-faire, le savoir théorique et le renseignement) permet une réflexion sur l'acte d'apprendre totalement impossible si vous les disjoignez. Les mots sont une matière souple qu'il ne faut pas figer et raidir. Les métaphores ne sont pas les mêmes dans toutes les langues. Il y a une logique interne aux polysémies, particulière à une langue donnée. C'est leur organisation qui, en grande partie, fait qu'une langue est une "vision du monde" différente d'une autre. Si l'enseignement du français, à côté de celui des langues vivantes, permettait d'en prendre conscience, l'intercompréhension en profondeur entre communautés linguistiques différentes en serait grandement facilitée. 10. LA "HAUTE FRÉQUENCE" La haute fréquence a été un sujet de perplexité pour mes interlocuteurs. On m'a demandé ce que sont les mots français de haute fréquence, comment ils ont été répertoriés et classés, si des enseignants du primaire peuvent utiliser ce classement, s'il existe un classement relatif à la fréquence dans lequel l'âge des enfants soit pris en compte... À toutes ces questions, j'ai répondu que la fréquence est un objet empirique, comme toute donnée statistique faite d'après un échantillon, qu' il existe diverses listes de fréquence toutes faites d'après des corpus écrits à l'exception d'une seule, celle du Français fondamental, qui a pris en considération un certain nombre de textes oraux. Ces listes n'ont rien d'ésotérique et on ne voit pas ce qui empêcherait les enseignants du primaire de les utiliser, mais, à ma connaissance, les recherches pédagogiques ne les ont pas encore prises en considération, et je ne vois pas très bien comment on pourrait classer les mots plus ou moins fréquents en fonction de l'âge des enfants. La fréquence des mots est tributaire de la nature du corpus dépouillé et il y a des différences considérables d'une liste à l'autre. Mais, avec des différences de détail dans l'ordre des mots, on constate une convergence importante des listes fondées sur des corpus littéraires jusqu'au rang 800 ou 850. Nous avons pris pour base de notre Dictionnaire du français usuel la liste de fréquences du Trésor de le Langue Française ou TLF (non sans lui faire subir quelques retouches pour des raisons trop longues à exposer ici). En effet, elle est fondée sur un corpus de 90 millions d'occurrences (70 millions provenant de textes littéraires de 1789 à 1965 et 20 millions de textes non littéraires) représentant environ 70 000 vocables, base incomparablement plus importante qu'aucune des autres et elle a été étudiée statistiquement par Etienne Brunet qui a calculé que les mots de fréquence supérieure à 7000 qui sont 907, couvrent 90 % du corpus. Ce sont ces mots-là que nous appelons "mots de haute fréquence" ou "hyperfréquents". On en trouvera la liste dans notre Didactique du vocabulaire français. Les mots de fréquence inférieure à 7000 mais supérieure à 500, qui sont 5800, couvrent environ 8 % de l'ensemble et tout le reste à peine 2%. Il est donc raisonnable que l'effort d'apprentissage du français commence par le maniement de toutes les ressources des mots de haute fréquence à partir desquels on pourra acquérir les mots de moyenne fréquence, ne rescapant des 2% restants que les noms concrets les plus usuels, et laissant aux spécialistes les mots techniques dont la fréquence n'est pas significative. Un exemple : le mot bouilloire , dont nous sommes partis pour constituer un petit champ actanciel n'apparaît pas parmi les mots de fréquence supérieure à 500 ; par contre le verbe bouillir et le nom bouillon affichent respectivement 552 et 582, ce qui n'est pas énorme. Mais brûler arrive à 10 525 et feu culmine à 18062. En somme quelque 7000 mots (mais entrant dans combien de tournures plus ou moins figées !) constituent déjà un bagage raisonnable pour communiquer par la parole ou par la lecture. Dans quel ordre et selon quelle progression mener leur étude, c'est aux pédagogues de terrain de faire des essais, d'utiliser les listes de fréquence comme des indications utiles mais sans s'en rendre esclave, de voir ce qui marche le mieux et dans quelles classes, de mettre au point des exercices, et peut-être, d'élaborer des programmes. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BAUDOT (J.). 1992. Fréquence d'utilisation des mots en français écrit contemporain. Montréal : Presses de l'Université de Montréal. BRUNET (E.). 1981. Le vocabulaire français de 1789 à nos jours d'après les données du "Trésor de la Langue Française". Vol. I : 852 p. ; vol. II : 518 p. ; vol. III : 453 p. Genève-Paris : Slatkine-Champion. ENGWALL (G.). 1984.Vocabulaire du roman français (1962-1968), Dictionnaire des fréquences. Stockholm : Almqvist et Wiksell. GOUGENHEIM (G.) et al. 1956. L'Élaboration du français fondamental 1er degré. Paris : Didier. INALF. 1971. Dictionnaire des fréquences du Trésor de la Langue Française. 6 vol. Paris : Didier. JUILLAND (A.) ; BRODIN (D.) ; DAVIDOVITCH (C.). 1970. Frequency dictionary of french words. The Hague, Paris : Mouton. PICOCHE (J.). 1993. Didactique du vocabulaire français. 11 p. Paris : Nathan. Jacqueline PICOCHE, Université de Picardie Cahiers de Lexicologie 78, 2001 - 1
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L'OUTILLAGE LEXICAL | |
En hommage au maître de l'enseignement du lexique français aux étrangers qu'est Robert Galisson, j'offre quelques réflexions sur le caractère instrumental des mots que la langue met à notre disposition pour nous exprimer. J'utiliserai pour cela l'expérience acquise grâce à mon Dictionnaire du Français Usuel, à paraître chez Duculot en 2001, élaboré avec l'aide de Jean-Claude Rolland, linguiste, ex-chargé d'études au CIEP de Sèvres, ex-attaché de coopération pour le français à l'Institut français de Valence, Espagne. 1. UN NOMBRE LIMITE D'OUTILS POUR UN NOMBRE ILLIMITE D'OPÉRATIONS 1. 1. Sur les 70.000 entrées du Littré, sur les 40.000 entrées (environ) d'un dictionnaire de taille moyenne, il en est un petit nombre que tout francophone utilisera quotidiennement et même plusieurs fois par jour, qu'il parle ou qu'il écrive, un nombre non négligeable de mots qu'il utilise de temps en temps, dans la vie courante quand l'occasion s'en présente, et un grand nombre que, si savant soit-il, il n'emploiera jamais, dont il a une certaine connaissance passive, ou dont il serait bien en peine de donner une définition même sommaire. Ce sont des mots sans fréquence significative dont beaucoup sont des termes, mots de spécialités, utilisés par les seuls spécialistes. Est-ce regrettable ? Bien sûr que non ! C'est dans la nature des choses. Une boîte à outils ne doit pas être trop encombrante et un atelier ne peut pas posséder toutes les machines de la terre. La misère est paralysante, la pauvreté rend ingénieux, une honnête aisance facilite la vie, la surabondance peut devenir encombrement. Les diverses listes de fréquence nous donnent une bonne idée de ce qui est vraiment usuel et de ce qui ne l'est pas. 1. 2. La fréquence des mots est tributaire de la nature du corpus dépouillé et il y a des différences considérables d'une liste à l'autre ; c'est un objet empirique, comme toute donnée statistique faite d'après un échantillon. Il en existe diverses listes, toutes faites d'après des corpus écrits à l'exception d'une seule, celle du Français fondamental, qui a pris en considération un certain nombre de textes oraux. Mais, avec des différences de détail dans l'ordre des mots, on constate une convergence importante des listes fondées sur des corpus littéraires jusqu'au rang 800 ou 850. 1. 3. La liste de fréquences du Trésor de la Langue Française ou TLF est fondée sur un corpus de 90 millions d'occurrences (70 millions provenant de textes littéraires de 1789 à 1965 et 20 millions de textes non littéraires) représentant environ 70 000 vocables, base incomparablement plus importante qu'aucune des autres. Elle a été étudiée statistiquement par Etienne Brunet qui a calculé que les mots de fréquence supérieure à 7000 qui sont 907, couvrent 90 % du corpus. Ce sont ces mots-là que nous appelons "mots de haute fréquence" ou "hyperfréquents". Une fois éliminés les mots grammaticaux, restent quelque 750 mots lexicaux, dont la plupart, faiblement connotés, sont de ceux dont la phrase française ne peut pas se passer. Suivent environ 5800 mots de fréquence inférieure à 7000 et supérieure à 500 qui représentent à peu près 8 % de l'ensemble. Donc, 6707 mots ont suffi pour dire 98% de tout ce qu'ont voulu signifier les auteurs dont les œuvres ont été dépouillées pour la constitution du TLF. Est-ce à dire que les 2% restants, soit 64033 vocables dont 21000 sont des "hapax" qui n'apparaissent qu'une fois sont négligeables ? Certes pas ! Ils apportent beaucoup d'information dans des domaines particuliers. Mais enfin, ils ne constituent pas la première urgence dans l'apprentissage de la langue française. Beaucoup d'entre eux s'acquièrent "en situation", quand on en a besoin dans une circonstance particulière. Nous nous représenterons donc les mots de grande et moyenne fréquence comme des outils très performants, très économiques, mis par la langue à la disposition de ses usagers pour s'approprier et exprimer la quasi totalité de l'univers extérieur qui les entoure et de leur univers intérieur. 1. 4. Nous avons pris la liste du TLF pour guide, non pour maître. Nous avons pris avec elle certaines libertés, éliminant la plupart des mots grammaticaux et quelques mots de fréquence supérieure à 7000, désuets ou présentant peu d'intérêt sémantique (titres de noblesse, Monsieur, Madame ) ; nous en avons regroupé certains autres (vivre et vie, savoir et connaître) et intégré certains qui n'atteignaient pas le nombre de 7000 occurrences à eux seuls, mais le dépassaient en y additionnant celui de leurs dérivés (ex. le verbe couper). Nous arrivons ainsi à un nombre de têtes d'articles de peu inférieur à 500 qui nous fournissent les structures nécessaires pour regrouper un nombre de mots de moyenne fréquence qui devrait tourner autour de 10.000 et qui feront, bien entendu l'objet de renvois dans un index. Ce nombre, très supérieur aux 6707 ci-dessus, nous paraît tout à fait suffisant pour un vocabulaire "usuel". 1. 5. L'utilisateur ne devra donc pas s'attendre à y trouver rapidement le sens et l'orthographe d'un mot savant et rare : phanérogame, par exemple. Il n'y est pas. Et s'il cherche des renseignements sur un animal peu familier aux Français, mettons, le mouflon, il sera déçu. Il ne le trouvera pas à sa place alphabétique, ni même dans l'index. Qu'il consulte, pour ce genre de mots, le Petit Larousse ou le Petit Robert. Le Petit Picoche a une autre orientation ; ce n'est pas un dictionnaire de consultation ponctuelle, mais un dictionnaire d'apprentissage ; moins un dictionnaire de décodage que d'encodage. Ce n'est pas une encyclopédie, c'est un dictionnaire de langue, présentant les mots dans leur fonctionnement linguistique. Les auteurs, qui n'ont pas honte d'être des Français de France, savent que ce qui est usuel à Paris ne l'est pas toujours à Québec ou à Dakar et vice - versa. Ils ne ne se dissimulent pas que la notion d' "usuel" est en partie subjective et que tel mot usuel pour l'un ne l'est pas pour un autre. A cette objection, ils répondent que les séries lexicales sont ouvertes par nature et, à la différence des séries morphologiques, peuvent toujours admettre de nouveaux items : nous ouvrons des pistes et ne dressons pas de barrières. Il est loisible à tout utilisateur d'allonger nos listes par les mots familiers de son idiolecte. 2. LES GROSSES MACHINES SÉMANTIQUES 2.
1. Ce sont les mots hyperfréquents, qui sont également parmi
les plus polysémiques de la langue. Ils servent à dire toutes
sortes de choses, et la première de nos tâches est de donner
de cet ensemble de possibilités un panorama ordonné et intelligible. 2. 2. Les noms concrets hyperfréquents désignent des réalités tout à fait basiques : les quatre éléments, le jour et la nuit, le soleil et la lune, le ciel, la terre et la mer, les parties du corps, la maison, etc. Ils nous posent le problème de l'encyclopédisme. Soit l'article soleil et lune sous lequel on trouve équinoxes, satellite, éclipse, rayonnements, radiations, les mots en hélio- et les quatre points cardinaux. Allons-nous faire une leçon d'astronomie ou de physique ? Certainement pas. Soit le mot cheval : allons nous intégrer ce qu'en disent les zoologistes et les moniteurs d'équitation ? Pas davantage. Par contre nous collectionnerons soigneusement les locutions fort nombreuses du genre donner un coup de collier, prendre le mors aux dents, mettre le pied à l'étrier etc., nous les éluciderons, nous les classerons et elles nous serviront de guide pour sélectionner, dans l'ensemble du vocabulaire du cheval les mots qui permettent de parler aussi de choses abstraites non chevalines, bref, ce qui a le plus d'intérêt linguistique. Notre point de vue n'est nullement encyclopédique, parce que notre but est de montrer le fonctionnement de la langue et non d'apporter un enseignement sur le monde extérieur. Toutefois, nous ne pouvons pas l'éviter entièrement, les mots "concrets" étant le point d'ancrage de la langue sur l'univers. Nous ferons donc état de quelque savoir en étudiant le vocabulaire de ces réalités extra-linguistiques, mais d'un savoir commun, qui ne dépassera pas celui du non-spécialiste moyen. 2.
3. Les verbes sont définis à la a 3e personne du singulier
du présent de l'indicatif avec tous leurs actants, notamment le
sujet, difficile à faire apparaître dans une définition
à l'infinitif. 2.
4. les différentes grandes parties de l'article reposent sur les
diverses configurations sémantiques et syntaxiques dans lesquelles
apparaît un verbe polysémique, comme le sont pratiquement
tous ceux qui nous servent d'entrées. 2.
5. Ce que nous appelons champ
actanciel est
l'ensemble des mots de moyenne ou basse fréquence qu'on peut rattacher
à ces structures de base par divers procédés simples
: nomination et qualification des actants, nominalisation du verbe, dérivation,
synonymes et antonymes. On remarque que dans la première partie
A1 n'est pas spécifié, parce qu'il peut s'agir d'un être
humain ou d'un simple signe météorologique ou autre ; dans
la seconde, au contraire, A1 est humain et même, dans les sous-parties,
spécifié plus précisément : professionnel
de l'information, professionnel de la publicité etc. 2. 6. Parmi les mots de moyenne fréquence qui se trouvent regroupés dans un champ actanciel, certains ont leur propre polysémie qu'on s'efforce de traiter soit à l'intérieur du même article, soit dispersée entre plusieurs articles. Quoiqu'il en soit, nous ne nous astreignons pas à traiter à fond tous les mots de moyenne ou basse fréquence, pas plus qu'à donner systématiquement tous leurs dérivés. Notre but est aussi de faire des articles maniables qui ne soient pas d'une longueur excessive. Et même ainsi, certains sont déjà très longs. 3. LE DÉMONTAGE DES MACHINES 3. 1. Pour comprendre comment sont faites les machines, donc pour pouvoir les démonter et les remonter, éventuellement en construire d'autres avec des mots de moyenne fréquence insuffisamment traités ou trop dispersés, il faut avoir à sa disposition et savoir manipuler au moins deux outils : le concept de subduction, d'origine guillaumienne, et celui de transduction qui est son complément naturel. Ils n'expliquent pas la totalité des polysémies mais en expliquent la plupart. Ils permettent de prendre conscience de la manière dont les sens s'engendrent les uns les autres et de les ordonner selon une "chronologie de raison", sans recourir à l'étymologie ni à la diachronie, mais en montrant par quelles étapes l'esprit doit de préférence, ou obligatoirement passer pour penser un ensemble d'emplois et de sens comme constituant un vocable unique et cohérent. 3.
2. La subduction
est
un processus d'abstraction et d'appauvrissement sémique, le sémème
B étant l'image schématique, partielle et simplifiée,
du sémème A. Il se prête tout naturellement à
la comparaison et c'est celui dans lequel s'inscrit la métaphore.
C'est ainsi que le corps
des
êtres vivants, qui peut être défini un ensemble d'éléments
matériels ordonnés par et pour la vie peut n'être
plus qu'un ensemble ordonné d'éléments dans un emploi
comme le corps
électoral ou
un simple morceau de matière quand il s'agit de la loi
de la chute des corps.
Mais la subduction est un phénomène plus large que la métaphore.
La grande polysémie du verbe devoir, entièrement abstrait,
s'explique par un certain nombre d'étapes, ou saisies,
sur un puissant mouvement de subduction ou cinétisme qui va de
la dette d'argent à l'expression de la probabilité. 3.
3. Qu'il s'agisse de l'une ou de l'autre, il y a un ordre à respecter
dans l'exposé des faits, le sens "figuré", transduit
ou subduit, venant nécessairement après le sens le sens
"plénier" pour les subductions, le premier chaînon
de la chaîne pour les transductions, et, quand il y a un référent
concret, le sens "concret" avant les sens abstraits. 3.
4. C'est pourquoi il est toujours instructif de traiter ensemble des parasynonymes.
comme mot
et
parole,
savoir
et
connaître,
bord
et
côté.
On pourrait croire qu'il y a là une prodigalité inutile,
et que la répartition obligatoire de la plupart de leurs emplois,
que les apprenants doivent mémoriser sous peine de produire des
énoncés inacceptables, a un caractère arbitraire,
donc absurde. On peut démontrer qu'il n'en est rien à condition
de prendre en compte, non pas des emplois isolés, mais la totalité
de la polysémie des mots en question et de formuler une hypothèse
cohérente sur le principe qui en fait l'unité ou "signifié
de puissance": Dans un article portant sur les mots bord
et
côté
(Picoche
et Honeste 1993), nous avons pu montrer, à partir de leurs emplois
non spatiaux, que ces mots qui en première approximation pourraient
passer pour synonymes, sont fondés sur des expériences vitales
absolument différentes et qu'on ne peut les définir sans
trompe l'oeil qu'à partir de situations archétypiques :
pour bord
un
sujet atteignant une limite de la terre ferme et s'y trouvant en position
instable au-dessus du vide, pour côté
:
un sujet s'orientant dans l'espace à partir des repères
que lui fournit son propre corps, notamment la droite et la gauche. Les
parasynonymes expriment toujours des points de vue différents sur
une même réalité. 3. 5. Mais nous nous gardons bien d'utiliser, dans le cours du dictionnaire et même dans la préface, la moindre terminologie qui ne serait pas absolument transparente pour un utilisateur qui ne posséderait en fait de terminologie linguistique que celle de la grammaire élémentaire la plus traditionnelle. Nous ne faisons état de quelques autres termes qu'à l'usage des lecteurs des Cahiers de lexicologie ! Simplicité, clarté, facilité du maniement sont nos grandes préoccupations ! 4. LE MODE D'EMPLOI 4. 1. Ce livre s'adresse avant tout aux enseignants de français, langue maternelle ou étrangère, à tous les niveaux, qui auront la tâche d'adapter à leur public les matériaux ordonnés que nous leur fournissons. L'ouvrage se présente comme une série de presque 500 grandes leçons de vocabulaire à fondement linguistique et non thématique, dont il leur est loisible d'extraire de petites leçons en n'utilisant que les grandes structures, ou bien seulement une partie ou une sous partie, en limitant le nombre des mots de moyenne fréquence selon les capacités d'absorption de l'auditoire. Il s'adresse aussi aux parents qui voudraient aider leurs enfants à mieux maîtriser le français, et d'une manière générale à quiconque éprouve le besoin d'améliorer sa compétence en matière d'écriture ou d'expression orale. Ce dictionnaire est plus qu'un dictionnaire des synonymes et un dictionnaire analogique, mais il contient la substance de ces deux types d'ouvrages. 4.
2. À la différence de nombreux ouvrages destinés
à l'enseignement du vocabulaire nous ne travaillons pas par thèmes
fondés sur la réalité extra-linguistique, ce qui
conduit trop souvent à de simples listes de noms d'objets, simple
étiquetage, utile seulement pour les allophones débutants
doués d' une bonne mémoire, mais pas pour les francophones
ni pour les allophones avancés, à l'exception de ceux qui
seraient spécialistes du domaine choisi. 4. 3. En ce qui nous concerne, nous travaillons par réseaux fondés sur des structures linguistiques, présentant les mots dans leur famille sémantique et dans leur fonctionnement, à partir de l'entier de leur polysémie. La question à laquelle nous nous efforçons de répondre n'est pas "comment nommer les différents appareils de chauffage, les différents combustibles et les diverses opérations que doit accomplir celui qui les utilise ? " - Mais, "qu'est-ce que je peux exprimer à l'aide de cette grosse machine sémantique qu'est le mot feu ?" "Quelles sont les possibilités d'emploi du mot feu et ses limites ? ". En partant de l'outil linguistique qu'est le mot feu, on enseignera une multitude de locutions qui feront prendre conscience aux enseignés qu'un même mot peut s'entendre au propre et au figuré, selon les deux grands mécanismes sémantiques à l'œuvre dans toute langue - y compris le fameux "langage des jeunes" - que sont la métaphore et la métonymie, et qu'il y a dans les mots un symbolisme sous-jacent, matière première de la poésie. 4. 4. Cette manière de procéder permet, de plus, de travailler sur des noms abstraits et de grands verbes qui échapperont toujours à une étude par thème. Qu'est-ce que je peux dire avec ces extraordinaires outils linguistiques que sont des verbes comme faire, prendre, passer, porter, donner etc. ? Qu'est-ce que je peux faire avec des outils aussi usuels que les noms sujet et objet, méthode, système, intérêt etc. ? Procéder ainsi est non seulement utile mais encore intéressant : à propos, par exemple, du verbe apprendre, la prise de conscience globale de ses différentes possibilités (le savoir-faire, le savoir théorique et le renseignement) permet une réflexion sur l'acte d'apprendre totalement impossible si on les disjoint. 4.
5. Beaucoup des hyperfréquents sont des mots axiomes, sinon primitifs,
du moins proches de la couche des primitifs sémantiques, mots qu'on
peut commenter mais non définir sans circularité : ainsi
la définition de voir inclut nécessairement le nom œil
et
le nom œil
le
verbe voir.
On sent intuitivement que être,
avoir, pouvoir, devoir
s'impliquent
les uns les autres, mais il n'est pas possible d'en donner une définition
analytique. De tels mots sont le gibier des philosophes, et nous ne serions
pas surpris qu'ils s'intéressent aussi à notre travail.
5. CONCLUSION 5 1. Il m'a été donné lors de contacts avec des enseignants d'école primaire de constater qu'une idée récurrente, dans leur discours, était que le vocabulaire ne s'enseigne pas comme une autre matière. L'apprentissage des mots a, pense-t-on, besoin d'une "base affective". Il faut que l'enfant en "sente le besoin" et c'est alors que l'enseignant, jusque là contraint à la passivité peut intervenir, simplement pour lui apporter l'instrument précis qui lui manquait, de préférence "en situation", ou pour corriger une erreur d'emploi. D'ailleurs, ajoute-t-on, c'est en lisant qu'on enrichit peu à peu son vocabulaire. Et les mots qu'on souligne dans les textes proposés à la lecture, ceux qu'on invite à chercher dans le dictionnaire, sont en général des mots rares et extraordinaires, les plus usuels étant apparemment considérés comme indignes d'attention. Enfin, on avance que les enfants sont incapables avant l'âge de 9 ou 10 ans, de "détacher le nom de la chose signifiée", en dépit du fait que beaucoup de mots qu'ils emploient ne désignent pas des "choses", et en dépit de l'usage abusif qu'ils font de mots comme truc, machin qui sont d'une aussi haute abstraction que sujet et objet. 5. 2. C'est s'interdire à l'avance l'enseignement systématique du lexique dont nous entendons ouvrir la voie. Notre souhait serait que, par une sorte de "révolution copernicienne", les programmes considèrent un jour le vocabulaire comme une matière d'enseignement au même titre que la grammaire ou le calcul. L'essentiel est de travailler des mots fréquents et polysémiques, pour bien clarifier les structures mentales qu'ils recouvrent, premier travail qui amène, en passant tout naturellement du connu à l'inconnu (ou au mal connu), son lot de dérivés, de synonymes et d'antonymes propres à enrichir raisonnablement le vocabulaire de l'apprenant et à lui faire trouver le mot le plus juste dans un contexte et une situation donnés. Cela fait, des mots plus rares, quand on les rencontrera, se situeront tout naturellement dans un ensemble cohérent. Acquérir à la fois les bons outils forgés par une expérience séculaire et l'aisance dans leur maniement, c'est libérer son intelligence et lui permettre de donner toute sa mesure. Nous souhaitons que notre travail soit pour ses futurs utilisateurs ce cadeau précieux. BIBLIOGRAPHIE BAUDOT J. (1992) : "Fréquence d'utilisation des mots en français écrit contemporain", Presses de l'Université de Montréal, Montréal. BRUNET E. (1981) : "Le vocabulaire français de 1789 à nos jours d'après les données du "Trésor de la Langue Française", 3 vol.,Slatkine-Champion, Genève-Paris. ENGWALL G. (1984) "Vocabulaire du roman français (1962-1968), Dictionnaire des fréquences", Almqvist et Wiksell, Stockholm. GOUGENHEIM G. et al. (1956) : "L'Élaboration du français fondamental 1er degré", Didier, Paris. INALF (1971) "Dictionnaire des fréquences du Trésor de la Langue Française". 6 vol., Didier,. Paris. JUILLAND A. et alii, (1970): "Frequency dictionary of french words", Mouton, The Hague, Paris. PICOCHE J. (1984 a) "L'utilisation des notions de signifié de puissance et de subduction en lexicologie", Cahiers de Lexicologie, I p. 41 - 4, Didier, Paris. (1984 b) "Un essai de lexicologie guillaumienne: la locution figée comme révélateur du signifié de puissance des polysèmes", Le Moyen Français - n° double, 14-15, p. 103-118 - Montréal. (1986) "Structures sémantiques du lexique français", Paris, Nathan. (1993) "Didactique du vocabulaire français", Paris : Nathan. (1995) "Définitions actancielles", Cahiers de lexicologie n° 66 - I - p. 67-76 - Didier - Paris (1999) "Dialogue autour de l'enseignement du vocabulaire", Études de linguistique appliquée n° 116 - pp. 421 à 434, Paris. PICOCHE J. et HONESTE M.-L. : (1993) : "L'expérience de l'espace et sa symbolisation, vue à travers la polysémie des mots bord et côté ", Faits de langue, n° 1, p. 163 - 171, PUF, Paris. (1994) : "Les figures éteintes dans le lexique de haute fréquence", Langue française n° 101 p. 112-124, Larousse, Paris. ROLLAND J-C (1995) "Vers des dictionnaires d'apprentissage ?" - Le français dans le monde, n°275, p. 67 , Paris . Résumé en français JP met en valeur dans cet article le caractère instrumental du lexique, Les mots étant comparés à des outils en nombre limité permettant un nombre illimité d'opérations : idée fondamentale de son Dictionnaire du Français Usuel, à paraître chez Duculot en 2001, fondé sur les études statistiques d'E. Brunet, qui regroupera en moins de 500 articles ayant pour entrée des mots hyperfréquents, en majeure partie noms abstraits et verbes, environ 10 000 mots de moyenne fréquence considérés comme usuels. Le plan des articles est fondé sur les structures actancielles et un ordre de subduction ou de transduction des divers emplois des mots. Un intérêt tout spécial est apporté aux locutions figées et aux sens figurés. Il s'agit d'un dictionnaire d'apprentissage et d'encodage, d'orientation linguistique, et non encyclopédique. Il est rédigé de la façon la plus simple pour être facilement accessible aux non linguistes. Les auteurs voudraient ainsi ouvrir la voie à un enseignement systématique du lexique. Résumé en anglais In this article, JP puts in light the instrumental character of the lexis, the words being compared with tools in limited number, permitting an unlimited number of operations: basic idea of her Dictionnaire du Français Usuel, to be published by Duculot in 2001, founded on the statistical studies of Etienne Brunet, which will cluster in less than 500 articles about 10 000 words of average frequency, considered as usual. The plan of the articles is founded on the actancial structures and the order of subduction or transduction of the different uses of the words. A special interest is given to fixed lexical expressions and figurative senses. It is a dictionary for learning and encoding, with linguistic, non encyclopedic orientation. It is written with the greatest simplicity, in order to be easily accessible to non linguists. By doing so, the authors wish to open the way to a systematic teaching of the vocabulary. |
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L'UTILISATIOON DU DFU POUR L'ENSEIGNEMENT DU VOCABULAIRE | |
Jacqueline Picoche, professeur émérite à l'Université de Picardie et Sébastien Souhaité, professeur de collège Communication au colloque sur l'enseignement du lexique, Grenoble, mars 2003 Je ne me propose pas de faire ici une présentation détaillée du Dictionnaire du Français usuel, qui a déjà fait l'objet de plusieurs recensions dans les revues spécialisées, mais de montrer trois directions de recherche différentes, à partir d'exemples de "leçons" que nous proposons. Elles visent d'une façon globale le public des collèges (premier cycle secondaire en France) et peuvent être utilisées en totalité ou en partie, au cours d'une ou de plusieurs séances, dans une classe ou dans une autre selon le niveau des élèves et l'objectif que se propose le professeur. Des leçons de ce type ont été effectivement utilisées dans certaines classes à la satisfaction des professeurs. Je présente des extraits d'un petit manuel d'application en cours d'élaboration entre moi-même et Sébastien Souhaité, jeune professeur dans un collège de la région parisienne. La première leçon est de Sébastien Souhaité, les autres de Jacqueline Picoche. Ce dictionnaire peut être aussi utilisé en français langue étrangère et nous espérons que des exercices spécifiques pour ce type d'enseignement pourront un jour être mis au point. Le sous-titre de l'ouvrage : 15000 mots utiles en 442 articles laisse entendre que notre objectif est de rendre possible un enseignement systématique d'une partie importante du vocabulaire français et non un enseignement "accidentel" à l'occasion d'autre chose, chacun des 442 articles constituant un vaste réseau lexical fortement structuré. Et notre ambition est de faire reconnaître le vocabulaire, jusqu'ici parent pauvre des études de français, comme une matière d'enseignement à part entière. Les auteurs du DFU ont voulu composer un ouvrage pédagogique grâce auquel, les apprenants francophones ou allophones puissent acquérir la maitrise des outils sémantiques que la langue française met à leur disposition pour parler de tout sujet non étroitement spécialisé, autrement dit d'un trésor d'une richesse moyenne de mots panfrancophones dont les critères de choix sont longuement exposés dans notre préface. La première de nos "leçons" repose sur l'étude d'un de nos réseaux, l'article RAISON du DFU, en relation avec un texte, la fable de La Fontaine intitulée Le loup et l'agneau. Elle suppose que les élèves ont sous les yeux l'article en question ainsi que le texte de la fable. Après s'être assuré que l'histoire des deux protagonistes est bien comprise, Sébastien pose les questions suivantes : 1-
D'après l'article RAISON, n.f. (partie I), en quoi peut-on dire
que l'agneau de la fable est un animal doué
de raison ?
Relevez l'ensemble des verbes ayant trait à la raison dans cette
partie et employez-les dans une phrase. La question 1 amène aux verbes DÉDUIRE, INDUIRE, CONCLURE, tirer une CONCLUSION, ARGUMENTER ; la question 2 ajoute DÉMONTRER, ÉTAYER une OPINION, la JUSTIFIER, PROUVER la vérité de ce qu'on dit grâce à des PREUVES qui soient vraiment PROBANTES. La question 3 nous amène à LOGIQUE, ILLOGIQUE, COHÉRENT, INCOHÉRENT et à l'ENCHAINEMENT des raisons invoquées. Les questions 4 et 5 permettent de réfléchir sur les locutions avoir raison et avoir TORT, dans des cas d'intérêt pratique et non purement intellectuels, et leur relation avec le réseau précédent. Enfin la question 6 fournit les mots MOTIF et MOBILE qui peuvent servir à expliquer le type d'argumentation développé par les deux personnages. Il est clair que l'agneau jouit d'une parfaite coïncidence entre la raison raisonnante et la bonne raison qu'il a de se défendre contre le loup, et de ne pas vouloir être mangé, tandis que le loup, souffrant de la faim, a une bonne raison de vouloir manger l'agneau, mais ne peut avancer, dans la discussion, que des arguments illogiques et incohérents. Ce premier travail amène à proposer des exercices d'expression écrite dont le dernier, au-delà de l'anecdote induit même à un niveau très élémentaire, une certaine réflexion de nature juridico-philosophique : 1- Quelques jours plus tard, le loup se trouve face à un chasseur qui menace de le tuer : imaginez le dialogue entre les deux personnages et mettez en avant les arguments invoqués par le loup pour échapper à son sort. 2- Racontez une dispute entre vous et vos parents qui vous accusent d'une bêtise que vous n'avez pas commise : vous mettrez en place une argumentation solide en vue de vous disculper. 3- «La raison du plus fort est toujours la meilleure.» En vous appuyant sur des exemples, dites en quelques lignes dans quelle mesure selon vous ce proverbe dit vrai. Quel est alors le recours du plus faible ? Les rares parties des programmes officiels qui traitent du vocabulaire conseillent de ne pas dissocier l'étude du vocabulaire de celle des textes. Cette leçon leur est donc parfaitement conforme. Son auteur a choisi un des articles du dictionnaire dans le droit fil d'un des aspects principaux de la fable : celui de l'argumentation. Il aurait pu, bien sûr, en choisir un autre et centrer son explication sur la cruauté ou sur le droit. Cette manière de faire explique un texte sous un certain angle, pas sous tous les angles possibles. L'élève pourra ainsi prendre conscience de la principale articulation de la polysémie du mot raison, son contenu pouvant être envisagé comme pur et simple mécanisme logique ou comme ce même mécanisme mis au service d'intérêts et de passions. Au terme de cette leçon, l'élève devrait avoir mis au point et posséder un vocabulaire qui non seulement lui permette de commenter très finement la fable en question mais encore qui puisse lui resservir en toutes sortes de circonstances. Et il aura mis en place des notions sur lesquelles, un jour, le professeur de philosophie n'aura pas de mal à embrayer. Mais il est clair que certains articles se prêtent mieux que d'autres à être utilisés à propos de textes littéraires et que si on se limite à cette méthode, il y aura des laissés pour compte qui ne sont pas linguistiquement moins intéressants, et qu'on échouera à faire, dans le temps d'une scolarité le tour complet du vocabulaire usuel et utile que nous proposons. C'est pourquoi une seconde démarche ne me paraît pas moins importante que la première. Elle est illustrée par une leçon qui met en cause l'article DUR et l'article SOLIDE ET RÉSISTER. Il s'agit de faire comprendre que Tout A1 qualifié de DUR par A2 humain demande un EFFORT à A2 qui y est affronté ; que cet objet A1 peut être une matière ou un adversaire et que, selon les cas, A1 résiste à A2 ou A2 résiste à A1. Cette leçon suppose que seul le professeur a accès au DFU et que le travail est, au moins dans un premier temps essentiellement oral, invitant l'apprenant à mobiliser des connaissances qu'il a déjà de manière plus ou moins passive, de les affiner, et, à partir de ce qu'il connaît, de se familiariser avec des mots inconnus. I. Emplois concrets 1. Donner des noms de choses A1 pouvant être qualifiées par les adjectifs dur, résistant, inusable, raide, rigide, malléable, mou, moelleux, tendre, souples, flexibles. Quels sont les noms abstraits (noms de qualités) correspondant à ces adjectifs ? Avec lesquels des noms de choses concrètes emploierez vous de préférence les verbes user, casser, briser, rompre, céder, enfoncer, plier, plisser, froisser, chiffonner ? Dur et solide sont-ils synonymes ? Quelles sont leurs relations de sens ? Que signifie la locution la résistance des matériaux ? 2. Trouver des contextes où dur est péjoratif et des contextes où dur est mélioratif. Trouvez-vous des emplois mélioratifs ou du moins non péjoratifs de mou ? Des emplois péjoratifs ou au moins non mélioratifs de souple, tendre, moelleux ? Flexible est-il soit péjoratif, soit mélioratif ? 3. Quels sont les verbes qui permettent de dire que quelque chose de mou, ou de liquide devient dur, que quelque chose de dur devient mou, ou liquide, ou pâteux ou se réduit en poussière ? Que quelque chose de raide devient souple ? Quels sont les verbes qui disent que A2 agit pour obtenir ce résultat ? De quels outils peut-il se servir pour cela ? Employer le verbe résister à propos de matériaux, par exemple dans une séance de bricolage. 4. Qu'est-ce qui est le plus dur ? du pain dur ? un œuf dur ? de la pierre tendre ? un métal malléable ? Qu'est-ce qui permet au corps humain d'être soit raide soit souple ? Employer le verbe fléchir et son dérivé flexion dans un contexte de mouvement. II. Emplois soit concrets, soit abstraits -
Construire des phrases commençant par
C'est
dur de +
infinitif III. Emplois abstraits - Reprendre les mots étudiés dans la partie I et essayer de voir s'ils sont compatibles avec un A1 humain. Imaginer des situations où ces divers adjectifs ou verbes s'emploient naturellement. Envisager un contexte familial où chacun veut obtenir quelque chose des autres, plus ou moins difficilement, et en employant diverses stratégies. Que signifient les locutions avoir la tête dure ? avoir quelqu'un à l'usure ? des plaisanteries inusables ? Une fois ce vocabulaire bien mis en place, on pourra proposer des exercices d'expression écrite : Sujets tirés de la pratique de divers métiers : ceux de la métallurgie - le ferronnier - le tailleur de pierre - Le sculpteur - Le potier, etc. Un monument historique si solide qu'il a traversé les siècles. Y a-t-il des moyens de résister à un ouragan, à un tremblement de terre ? La résistance à l'oppression. Quelles qualités cela demande-t-il ? À la guerre, l'attaqué résiste à l'attaquant. Comment ? Je
veux obtenir de mon père la permission de ... Comment est-ce que
je m'y prends ? On pourra aussi, à l'aide de ce vocabulaire, commenter des textes qui s'y prêtent particulièrement pour l'un ou l'autre de leurs aspects, comme Le chêne et le roseau de La Fontaine, Antigone, d'Anouilh ou de Sophocle, Horace, de Corneille, etc. La question 1. permet de montrer l'étroite relation sémantique qui existe entre la catégorie verbe et la catégorie adjectif et de travailler les différences d'emplois entre parasynonymes, et la dérivation (nominalisations d'adjectifs). Dans la première partie, la question 2. permet de montrer qu'une même situation peut être qualifiée de façon péjorative ou méliorative au gré du locuteur selon le mot qu'il choisit d'employer. La question 3. permet de construire des verbes dérivés d'adjectifs et de manipuler les actants dont l'usage symbolisé par des A numérotés est une des principales originalités de notre dictionnaire, qui nous permet d'éviter au maximum le jargon des linguistes. La question 4 permet de montrer que la qualité exprimée par un adjectif n'est pas un absolu mais n'a de sens que rapportée à des objets comparables. La partie II introduit le schéma syntaxique c'est dur pour A2 de faire A1 qui met l'accent sur la relation entre la notion de dureté et celle de force et d'effort. Elle permet de prendre conscience de la relation entre l'actant A1, concret ou abstrait, et l'actant humain A2 qui le prend pour objet de son action et qualifie de dur. Enfin la partie III permet de travailler la métaphore de la dureté attribuée à des objets qui ne provoquent pas chez A2 des sensations mais des sentiments. Tous les faits linguistiques ci-dessus : dérivation, jeu des parasynonymes, péjoration et mélioration, schémas syntaxiques, polysémies, métaphores, sont des objets d'étude hautement recommandés par les instructions officielles. Reste que dans son ensemble, la leçon en question risque de ne pas être acceptée sans réticences. Elle est d'une espèce non prévue dans ces instructions et risque d'être confondue à première vue avec une autre méthode dont elles parlent de façon assez restrictive. Je recopie par petits paragraphes le passage en question et je le commente au fur et à mesure. « L'approche thématique du lexique, traditionnellement pratiquée reste envisageable : elle consiste à regrouper les mots d'un champ lexical autour d'un thème (la montagne, la ville, l'amitié, la colère) et parfois à les classer selon des formes d'organisation diverses (les variations d'intensité de la colère, par exemple, de la simple irritation à l'exaspération, de celle-ci à la fureur ou à la rage ; de même pour la peur, ou pour la lexicalisation des autres passions) » Première remarque : Notre approche n'est pas thématique. Bien au contraire ! Elle ne part pas d'une réalité extra-linguistique pour en nommer les différents éléments. Elle part de l'analyse sémantique d'un mot de très haute fréquence auquel nous rattachons, par le biais des dérivations, des isotopies, des synonymies et des antonymies un nombre considérable de mots de moyenne fréquence. Notre questionnement n'est pas "Comment s'appelle telle chose ? Quelle étiquette lui coller?" mais "De quelles choses puis-je parler avec cette machine sémantique plurifonctionnelle qu'est un mot polysémique?" Notre démarche n'est pas encyclopédique, elle est linguistique, et il y a fort à parier qu'une méthode d'enseignement par "thèmes" n'aurait pas songé à choisir un "thème de la dureté". « Ce travail, toutefois, pour être bénéfique, doit être mené en relation avec la lecture et l'observation des textes, lorsqu'on y explore un champ sémantique. Il passe alors par une activité de recherche qui amène à effectuer des relevés, à établir des réseaux (isotopies) et à les analyser. » Je conteste ce principe. Jamais un texte ne fournit un réseau sémantique complet et organisé. Si l'on s'en était tenu, dans le Loup et l'Agneau, aux mots employés par La Fontaine, on n'aurait pu relever, en fait de mots relatifs à la raison que donc, par conséquent, comment et si. De plus, les exemples fournis par un texte littéraire sont souvent subtils, n'utilisant que des mots relativement rares et ne permettent pas d'accéder directement aux faits sémantiques fondamentaux. Enfin, les mots d'un texte ne sont, comme il est normal, employés que dans une seule de leurs acceptions, ce qui rend impossible ou artificielle l'étude des polysémies. J'insiste pour qu'un réseau sémantique soit étudié pour lui-même, en relation ou non avec un texte, mais sans qu'on se rende esclave du texte. Ceci dit, une étude de réseau lexical peut conduire à chercher des exemples dans des textes étudiés par ailleurs. Il est certain que dans le Chêne et le Roseau (encore La Fontaine), l'un des deux personnages est dur et solide et l'autre souple, mais que le plus résistant des deux n'est pas celui qu'on pense. La littérature fournit des exemples de personnages rigides : Horace, Antigone, etc. Tout cela peut être cité à l'occasion. « Il conduit ensuite à des formes de réemploi immédiates ou différées (suivant en cela une démarche inductive) c'est à dire à des productions écrites ou orales s'intégrant à la séquence.» Entièrement d'accord ! Toutes nos leçons commencent par des dialogues entre professeur et élève et se terminent par des propositions d'expression écrite. « Cette approche thématique du lexique paraît en revanche très contestable lorsque, coupée de toute réalisation textuelle, et rapportée aux seuls univers d'expérience, elle entraine l'élaboration de simples listes de mots à mémoriser en dehors de tout contexte. La signification lexicale est une signification contextuelle.» Je conteste ! Ce n'est pas parce qu'elle est "rapportée aux seuls univers d'expérience" qu'elle entraine l'élaboration de simples listes de mots. C'est parce que les gens qui la pratiquent manquent d'imagination. Notre approche non thématique, mais sans référence à un texte littéraire particulier, nous permet de forger des contextes simples et clairs en nombre suffisant pour rendre compte des polysémies et des emplois particuliers à chaque mot étudié. « seule l'extension du contexte permet de lever bien souvent les ambigüités et de réduire la polysémie, aussi bien en situation de réception (lecture ou écoute) que de production écrite. L'analyse lexicale ne peut donc rester centrée sur le mot isolé. » C'est bien évident, et c'est pourquoi nous fournissons d'abondants contextes. « L'apprentissage thématique du lexique pose dans tous les cas le problème du choix. (Quels thèmes étudier prioritairement ?) et de la cohérence (Comment passer d'un thème à l'autre ? Quels transferts possibles chez l'élève ?) Il est donc impossible d'en rester à l'étude d'ensembles thématiques successifs. » On pourrait en dire autant de nos réseaux. À cela, je peux répondre que 442 n'est pas un nombre astronomique et qu'on pourrait très bien envisager, comme dans d'autres matières, un programme et une progression. Et que le passage d'un thème à l'autre est extrêmement facilité par tout un système de renvois, particulièrement souple pour les utilisateurs du cédérom. Ainsi, de l'article RAISON, on est renvoyé à ANALYSER, EXPLIQUER, CAUSE, EFFET, CONSÉQUENCE, RAPPORT, etc. De l'article DUR, on est renvoyé à APPUYER, RÉSISTER, EFFORT, ENFONCER, DÉFORMER, DIFFICILE, etc. Il ne serait pas impossible de constituer quelques réseaux de réseaux et de les attribuer à telle ou telle classe. Proposons maintenant un troisième type de leçon qui ne peut être pratiqué qu'occasionnellement, en classe, avec des élèves qui auraient le dictionnaire entre les mains ou qui auraient la chance de bénéficier d'un cédérom en réseau, ou bien qui pourrait faire l'objet d'une recherche aboutissant à un exposé, menée par un petit groupe d'élèves qui auraient à leur disposition non seulement le DFU, mais le Dictionnaire Étymologique du français de Jacqueline Picoche, le Petit Robert, et le Dictionnaire Historique de la langue française d'Alain Rey. Nous l'avons appelé "Une grappe de mots autour d'une difficulté." En effet, selon les statistiques d'Étienne Brunet, parmi les 15000 mots que signale l'index du DFU, 613, qui servent d'entrée à nos articles, sont des "hyperfréquents" : ils dépassent la fréquence 7000 dans le corpus du Trésor de la Langue Française, et, augmentés de quelques 150 mots grammaticaux, couvrent 90% de ce corpus. Environ 5800, de fréquence supérieure à 500, couvrent 8% du même corpus. Restent environ 8500 vocables sélectionnés parmi les 60000, sans fréquence significative, qui couvrent 2% du corpus. Certains d'entre eux sont relativement rares et peuvent être ignorés ou mal interprétés par un apprenant en tous cas incapable, au départ, de les utiliser. Nous avons traité ainsi AUTHENTIQUE, COLLATÉRAL, ATYPIQUE, S'INGÉRER, TRANSCENDANT et LAXISTE. Nous ne voulons pas en donner une sèche définition, dont les termes abstraits risqueraient de déconcerter davantage l'apprenant, mais de faire vivre ces mots grâce à des contextes variés suggérant des situations d'emploi particulières et rendant sensibles les niveaux de langue. Nous allons donner ci-dessous une idée de la marche à suivre. Ci-dessous un dialogue théorique enseignant (en romain) - enseigné (en italiques) concernant le mot TRANSCENDANT, trouvé dans un contexte relatif à la musique, qui nous donne l'occasion d'un bon exercice de morphologie lexicale : « Cherchez TRANSCENDANT dans l'index Il y est en compagnie de TRANSCENDER avec un renvoi à HAUT ET BAS et à DIEU. Dans ces deux articles, nous apprenons que les monothéistes pensent que Dieu est transcendant parce qu'il est "au-dessus" de sa création qu'il transcende. Mais nous ne trouvons pas les autres emplois de ce mot, notamment celui qui nous occupe. Cherchons donc autrement. Voyez-vous dans cet index d'autres mots, en particulier d'autres verbes commençant par ce préfixe TRANS- ? Oui, beaucoup ! Relevez ceux qui se composent de trans- + un mot que vous connaissez. Transatlantique, transalpin, transporter, transmettre, transfigurer, transformer etc. - D'après le sens de ces mots, que signifie le préfixe TRANS ? Il signifie qu'on va au-delà de quelque chose, qu'on passe à autre chose. Le verbe TRANSCENDER fait partie des composés de trans- + une base que vous ne connaissez pas (ex. transiter, transfuser, transgresser...) Allez maintenant dans le moteur de recherche et inscrivez dans le rectangle *scend* Quelle est la réponse ? Renvoi à 62 articles ! Parmi ces 62, voyez-vous un titre d'article où apparaît la base scend ? Oui, MONTER ET DESCENDRE Nous nous contenterons de celui-là. Inutile d'ouvrir les autres. Le professeur fait repérer, dès la première ligne de l'article, la base savante -ASCENS- écrite en caractères gras et explique (éventuellement à l'aide du Dictionnaire étymologique de J. Picoche) que - SCENS- est une variante de - SCEND. Il fait trouver 1. l'ASCENSEUR et l'ASCENSION et 2. DESCENDRE d'un ancêtre, REMONTER jusqu'à cet ancêtre, ce qui conduit à ouvrir FAMILLE où se trouvent les ASCENDANTS et les DESCENDANTS. Donc que signifie cette base SCEND ? Elle signifie MONTER et DESCENDRE - Oui, mais vous remarquerez qu'il n'existe pas de *DESCENSEUR ni de *DESCENSION. L'idée dominante est celle de MONTER, celle de DESCENDRE est secondaire, construite par opposition. Et l'article HAUT ET BAS, partie IV, ouvert tout à l'heure, vous explique pourquoi le haut symbolise le bien et le bas le mal. Vous voyez que rien qu'en analysant comment est formé ce mot savant, on peut comprendre que son sens est "Passer plus haut, en montant". Mais seulement au sens figuré. Vous ne pouvez pas dire que vous *transcendez le 3e étage de votre immeuble en passant au quatrième. Mais, en parlant d'un virtuose, vous pouvez dire qu'il est transcendant parce qu'il joue beaucoup mieux que n'importe quel autre interprète, d'une manière extraordinaire, que son jeu a quelque chose de divin. L'adjectif transcendant a encore d'autres emplois. On pourra en faire une moisson complète dans les deux dictionnaires Robert. L'étude de AUTHENTIQUE, concurrent spécialisé de VRAI, nous emmène, par le biais des exemples du DFU, dans un magasin d'antiquités, dans une étude de notaire, devant un tribunal, et fait surgir les personnages de l'EXPERT et du FAUSSAIRE. Elle nous fait réfléchir sur le fait que non seulement une proposition peut être dite vraie mais aussi une objet concret, selon qu'il est conforme ou non à ce qu'on dit de lui, et que c'est dans ce cas, important, pouvant avoir des conséquences juridiques et financières, qu'intervient le synonyme authentique. Passons au cas de LAXISTE. L'index nous dirige vers trois articles : LAISSER, MORAL, et PEINE, où nous trouvons des renvois à PERMETTRE et à EMPECHER. Les exemples de laxiste figurant dans ces cinq articles nous permettent déjà de caractériser le A1 humain laxiste à l'égard d'un certain type de A2 humain, comme une relation de supérieur à subordonné, le premier n'usant pas de son autorité à l'égard du second comme il pourrait et même devrait le faire. On utilise ensuite le moteur de recherche (ou plus simplement le dictionnaire étymologique de J. Picoche) pour trouver d'autres mots français formés sur la base LAX- évidemment savante, calquée sur l'étymon de LAISSER (LAXATIF, RELAXER, RELAXE, RELAXATION) et on constate que cette base savante a un équivalent populaire : LACH-, ce qui permet de gloser sur les relations entre le laxisme, la LACHETÉ, le RELACHEMENT. Le Petit Robert nous révèle que laxisme et laxiste ne sont apparus qu'au XXe s. (respectivement 1912 et 1914). Comment disait-on ça autrefois ? COULANT ? FACILE ? MOU ? INDULGENT ? En langage familier, (une bonne) POIRE ? Mais au XXe s. on parle des choses de façon objective, sans connotation morale ni jugement de valeur, donc il faut des mots intellectuels, savants et neutres. Grâce au Dictionnaire historique d'Alain Rey, on apprend que ces deux néologismes sont nés en contexte théologique pour désigner des doctrines préconisant une TOLÉRANCE excessive, et se sont répandus (il ne dit pas par quels canaux) dans le langage courant. Dès le collège on peut introduire quelques réflexions sur ce qui est tolérable ou intolérable. Où s'arrête la tolérance et où commence le laxisme ? Selon le point de vue du locuteur, une même attitude ne peut-elle pas être qualifiée de tolérante ou de laxiste ? Et qui sait si, plus tard, l'apprenant, se souvenant de cette modeste leçon, n'aura pas l'idée d'entreprendre une thèse qui s'intitulerait "LAXISME ET TOLÉRANCE" dans un corpus de textes du XXe s." ? Nous ne prétendons pas avoir le monopole des approches, mais nous pensons que nos réseaux en intègrent déjà un nombre considérable et qu'aucune autre, prise isolément, ne "structurera" davantage et de façon plus naturelle le lexique. Les structures auxquelles nous aboutissons, sans être les seules possibles, car on peut privilégier, dans un réseau, une organisation ou une autre, font partie des structures mêmes de la pensée telle qu'elle se trouve préformée par la langue française. En donnant, dans l'apprentissage de la langue, une place essentielle au vocabulaire, selon une méthode fondamentalement linguistique, on enseigne non seulement à parler, mais à se penser soi-même, et à se situer dans le monde, et à s'intégrer à la société qui a, au cours des siècles, élaboré cette langue. BIBLIOGRAPHIE BRUNET E. (1981) Le vocabulaire français de 1789 à nos jours d'après les données du "Trésor de la Langue Française". Vol. I : 852 p. ; vol. II : 518 p. ; vol. III : 453 p. Genève-Paris : Slatkine-Champion. DAUMAS M. (1991), Orthographe-vocabulaire, pratiques différenciées - Paris - Armand Colin. HOLEC H. (1974), Structures lexicales et enseignement du vocabulaire - Janua Linguarum - The Hague - Mouton LÉON R. (1998), Enseigner la grammaire et le vocabulaire à l'école Paris - Hachette. PICOCHE J. (1993), Didactique du vocabulaire français, Paris, Nathan, 206 p. PICOCHE J. (1971 et constamment réédité) Dictionnaire étymologique du français. Paris - Les Usuels du Robert. PICOCHE J. et ROLLAND J.-C. (2002), Dictionnaire du français usuel - 15000 mots utiles en 442 articles - Bruxelles - Duculot - De Boeck, Version cédérom et possibilité de cédérom en réseau. Diffusion pour la France : De Boeck Diffusion, 7 rue Jacquemont, 75017 Paris - Pour le monde entier : Accès, Fond Jean Pâques 4 - B1348 Louvain la Neuve. REY A. (1992) Dictionnaire historique de la langue française, 2 vol. Paris, le Robert. TRÉVILLE M.-C. DUQUETTE L. (1996), Enseigner le vocabulaire en classe de langue - Paris - Hachette. MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE (2002), Qu'apprend-on à l'école élémentaire, les nouveaux programmes - CNDP - Paris.
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LA REFORMULATION, BASE DE L'ENSEIGNEMENT DU VOCABULAIRE | |
Dans Recherches Linguistiques (Université Paul Verlaine de Metz) n°29 - 2007 - pp. 293 - 308 Usages et analyses de la reformulation Sous la direction de Mohamed Kara
Molière, dans le Bourgeois Gentilhomme nous donne successivement deux exemples différents de "reformulation". Monsieur Jourdain voudrait "mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour !". Mais il voudrait "que cela fût mis d'une manière galante ; que cela fût tourné gentiment". La première reformulation, improvisée par le "maitre de philosophie" consiste en une paraphrase plus longue que le texte de base, qui en développe les différents éléments. Il propose de "mettre que les feux de ses yeux réduisent votre coeur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un ... " Mais cela ne convient pas à Monsieur Jourdain : "Non, non, non, je ne veux point tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Le maître de philosophie objecte qu' "il faut bien étendre un peu la chose", mais Monsieur Jourdain insiste : "Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet ; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre". Le maître de philosophie, devant tant d'entêtement, propose donc, en un second temps, une série de paraphrases consistant en un simple changement de l'ordre des mots de la phrase de départ : "On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien : D'amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux d'amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d'amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d'amour. " - Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure?" demande Monsieur Jourdain. "Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. " À vrai dire, il n'est pas toujours risible de reformuler un texte en se contentant de changer l'ordre des mots. Nous en donnerons ci-dessous quelques exemples REFORMULATIONS PAR SIMPLE CHANGEMENT DE L'ORDRE DES MOTS Monsieur Jourdain, par la plume de Molière, aurait pu, sans ridicule, écrire "D'amour, belle marquise, vos beaux yeux me font mourir" en focalisant fortement sur le sentiment. Mais non ! Ce qui l'intéressait, c'était le rang social ! En effet, ce type de reformulation, peut changer la relation thème - rhème, et entrainer une orientation nouvelle du discours comme dans l'exemple suivant : Dans la Rome antique, deux consuls se partageaient le pouvoir. Je mets en position de thème un certain type de civilisation et on pourrait attendre une suite telle que Mais dans la France médiévale etc. Si je dis Deux consuls se partageaient le pouvoir dans la Rome antique, je thématise les détenteurs du pouvoir et on pourrait attendre des suites comme Mais leur mandat était limité à un an... ou Le prêteur, lui, était chargé de la justice Le passage d'une phrase à l'actif à une phrase au passif est un type de reformulation sans changement du stock lexical : La loi a été votée par 123 députés sur 200 équivaut à peu près à 123 députés sur 200 ont voté la loi, moyennant un changement du rapport thème-rhème semblable à celui de l'exemple précédent. Mais la tournure passive permet de faire l'économie de l'expression de l'agent et de dire simplement La loi a été votée si c'est l'essentiel de l'information, et si on s'attendait à ce qu'elle ne le soit pas. D'autre part, il existe des "substituts du passif" commodes dans des cas où l'actif, mais aussi le passif grammaticalement attendu serait peu naturel. C'est le cas lorsque l'agent est un personnage collectif un peu vague, un on, les gens, la société, et lorsque le verbe, à l'actif, a deux compléments d'objet, un direct et un indirect. Dans ce cas, l'auxiliaire avoir peut suppléer l'auxiliaire être : Louis XVI a eu la tête tranchée est plus naturel que On a tranché la tête à/de Louis XVI et que La tête de Louis XVI a été tranchée. Il est évident que dans ce cas, l'intérêt est de mettre en valeur la personne de la victime. Mais il y a des cas ou l'agent, l'objet 1 et l'objet 2 sont d'importance pratiquement égale et où le locuteur a le choix de la focalisation, donc de l'ordre des mots, donc de formuler sa phrase à l'actif, au passif où par une tournure pronominale, grâce à un emploi subduit, grammaticalisé, du verbe voir : Le préfet a remis la légion d'honneur à Monsieur le Maire peut être aussi bien reformulé par La légion d'honneur a été remise à Monsieur le Maire par le préfet, que par Monsieur le Maire s'est vu remettre la légion d'honneur par le préfet. Le sujet on est tout à fait utilisable dans des énoncés d'un certaine banalité, mais il ne peut pas servir de complément d'agent à un verbe passif On a retiré au chauffard son permis de conduire est parfaitement naturel. Mais si je veux prendre pour thème le chauffard, je suis obligée de dire (ou plutôt d'écrire, car la formule est plus recherchée) Le chauffard s'est vu retirer son permis de conduire. On peut citer encore un emploi du verbe faire comme auxiliaire de mise au passif, propre à la langue familière. Supposons qu'un camion a renversé un piéton. Au passif : un piéton a été renversé par un camion. Mais nous entendrons facilement dans la conversation : Un piéton s'est fait renverser par un camion. Ce malheureux piéton avait-il une part de responsabilité dans l'accident ? Inattention ? Traversée à un endroit interdit ? Cherchait-il à se suicider ? Possible, mais pas certain. Bien souvent, cette formule est un pur et simple substitut du passif. Ce premier type de reformulation, particulièrement simple et économique, a donc l'intérêt de permettre des variations dans la mise en valeur de tel ou tel élément de la phrase de départ, et d'orienter dans un sens ou un autre la suite du discours. C'est un caractère fondamental qu'il partage, comme nous le verrons, avec d'autres types qui jouent eux aussi du rôle dans la phrase des différents actants d'un verbe. Mais il ne peut enrichir en rien le vocabulaire de l'apprenant. Il est clair que d'une façon générale, reformuler un énoncé donné, c'est dire la même chose avec d'autres mots. La même chose ? Exactement la même chose, vraiment ? C'est ce que nous verrons en envisageant successivement
L'intérêt pédagogique de la reformulation est qu'elle permet à la fois de travailler la syntaxe, de confronter des parasynonymes, d'exploiter des métaphores, et de donner ainsi à l'apprenant le moyen d'assouplir et de varier sa manière de s'exprimer. C'est en somme un premier exercice de style. Dans d'autres travaux, notamment dans le dictionnaire d'apprentissage de Jacqueline PICOCHE et Jean-Claude ROLLAND, intitulé Dictionnaire du français usuel - 15000 mots utiles en 442 articles paru à Bruxelles chez Duculot - De Boeck en 2002 les actants sont représentés par des symboles vides (A numérotés). On trouvera la justification de ce procédé dans la préface de cet ouvrage, accessible sur le site internet http://jpicochelinguistique.free.fr Toutefois, pour rendre la lecture de cet article plus agréable, nous recourrons, à propos d'actants humains à deux prénoms aussi "vides" que des numéros : un prénom masculin Léo et un prénom féminin Léa (empruntés à une méthode d'apprentissage de la lecture, récente et déjà célèbre). REFORMULATIONS AU MOYEN DE DÉRIVÉS Il s'agit de faire travailler l'apprenant sur les "familles" morpho -sémantiques où un lexème produit des mots de différentes catégories grammaticales, avec différents effets de sens, par le jeu des préfixes et des suffixes. Des règles de dérivation relativement simples permettent de passer du verbe réparer aux dérivés réparation (nom d'action), réparateur (nom d'agent) à l'adjectif réparable, et à son antonyme irréparable ou du nom courage à l'adjectif courageux et à l'adverbe courageusement. Certains noms sont dérivés de verbes : bricolage de bricoler, certains verbes sont dérivés de noms : chagriner de chagrin. Certains adjectifs sont dérivés de noms : honteux de honte. Certains noms sont dérivés d'adjectifs : blancheur de blanc. Peu importe au locuteur qui se livre aux joies de la reformulation. Mais tout n'est pas aussi simple, et il y a des cas où un petit travail de mémorisation est nécessaire. Par exemple, nouer a pour dérivé nœœud, aboutissement en français d'un ancien dérivé latin. Dormir et sommeil, tomber et chute, qui n'ont aucun lien étymologique, fonctionnent exactement, au point de vue sémantique et syntaxique comme des couples mot de base / dérivé. Il faut aussi prendre l'habitude de jouer des lexèmes savants sur lesquels sont formés les dérivés de mots de base populaire. Ainsi, les dérivés de eau et de feu, tous formés sur des bases savantes ayant avec eux un rapport étymologique plus ou moins étroit : aqu-, hydr-, ign- etc. Les dérivés étant d'une autre catégorie grammaticale que le mot de base, leur emploi oblige à reconstruire complètement la phrase de base ce qui constitue un excellent exercice de syntaxe en même temps que de sémantique. C'est particulièrement intéressant dans le cas de noms dérivés de verbes, qui peuvent occuper dans la phrase toutes les places réservées à un nom et, en même temps, conserver les compléments du verbe, si le locuteur l'estime utile. Supposons que Léo pratique le saut à la perche. Léo a sauté trois mètres ; tous ses camarades en ont été étonnés se reformule très naturellement en Léo a fait un saut de trois mètres ; tous ses camarades en ont été étonnés. D'où la possibilité de dire Le saut de Léo a étonné tous ses camarades. Ou bien Léo a étonné tous ses camarades par un saut de trois mètres ou bien Tu as vu le saut de Léo ? Trois mètres ! Bien entendu, on retrouve, dans ce type de reformulations, les mêmes différences dans le rapport thème-rhème que dans le type précédent. Reformulations fondées sur la relation nom/adjectif Dans ce cas, il y a un jeu entre les verbes être et avoir qui assurent le passage du nom de qualité à l'adjectif et vice-versa. On annonce une grande nouvelle : Léa s'apprête à traverser l'Atlantique en solitaire. Le commentaire Elle est courageuse laisse entendre que c'est chez elle une disposition permanente et la suite pourrait être Ça ne m'étonne pas d'elle. Le commentaire Elle a du courage est ambigu. Il peut être interprété exactement comme le précédent ou bien signifier que c'est la révélation ponctuelle de cette qualité. Si je veux préciser la deuxième interprétation, je devrai dire elle a le courage d'entreprendre cette traversée auquel cas le commentaire pourrait être Ça m'étonne d'elle ! ou Eh ! bien, je l'admire. Léo a des rhumatismes est ambigu. Il en a d'ordinaire ou pour une fois ? Si je veux privilégier un état habituel je devrai dire Léo est rhumatisant. Si je veux parler d'un état passager il faudra que je précise l'articulation où il a mal aujourd'hui ou que j'introduise le mot crise : Il a des rhumatismes aux deux genoux ou bien il a une crise de rhumatismes. Mais l'opposition duratif / ponctuel ne fonctionne pas toujours : Léo a la grippe et Léo est grippé sont exactement équivalents, la grippe n'ayant pas de forme chronique. Et le jeu nom / adjectif n'est pas possible dans tous les cas, selon, par exemple que l'adjectif a pour support un nom catégorisé "humain" ou un nom catégorisé "non humain" (concret ou abstrait). Léo, artisan, n'a pas fait payer une petite réparation à sa vieille voisine Ursule. Commentaire Il est trop bon, Ursule est moins pauvre qu'elle n'en a l'air. Reformulation : Il est d'une bonté excessive, il pousse la bonté trop loin. Mais Ce vin est très bon, je l'apprécie ne peut pas se reformuler en *J'apprécie la grande bonté de ce vin. Il faudra que je trouve un synonyme pour cette *grande bonté, par exemple J'apprécie l'excellente qualité de ce vin. Reformulations fondées sur la relation verbe / nom Il existe en français un grand nombre de noms d'action ou d'état dérivés de verbes, qui ont besoin, pour fonctionner dans la phrase de verbes très usuels, qui ne conservent dans ce type d'emploi, qu'une faible partie de leur sémantisme et qui forment avec eux des locutions plus ou moins synonymes du verbe de base. On appelle de tels verbes des "verbes opérateurs" ou "verbes supports". Le plus fréquent est faire qui s'associe avec toutes sortes de noms (Marcher, faire de la marche). Donner, (Alerter, donner l'alerte) prendre (Succéder, prendre la succession), mettre (embarrasser, mettre dans l'embarras) ont aussi leur importance. Certains, très spécifiques, comme commettre (un crime, une faute) ou accomplir (une tâche un devoir) ne s'associent qu'avec un tout petit nombre de noms. La plupart des noms ne s'associent qu'avec un seul support, mais quelques-uns en acceptent plusieurs : Léa se promène peut se reformuler : Léa fait une promenade / est en promenade. Il y a dans certains cas un rapport de réciprocité entre les verbes supports : Léo a giflé Léa peut se reformuler en Léo a donné une gifle à Léa et Léa a reçu une gifle de Léo. Et le locuteur pourra trouver commode de supprimer l'expression de l'agent et de dire simplement Léa a reçu une gifle. Différents supports peuvent signifier différentes étapes d'un processus. Exemple : L'armée contrôle l'aéroport, reformulé en L'armée prend / a / perd le contrôle de l'aéroport. Même cas pour ordonner de + infinitif reformulé en donner l'ordre, recevoir l'ordre, avoir l'ordre de + inf. L'opposition duratif / ponctuel fonctionne ici tout aussi bien que dans le cas précédent. Léa dessine est ambigu, si aucun complément d'objet n'apparaît. Est-elle dessinatrice ou fait-elle en ce moment un dessin ? Un simple changement d'article devant le nom dérivé suffit à lever l'ambigüité. Si je dis Elle fait du dessin, c'est une occupation habituelle, voire professionnelle. Si je dis Elle fait un dessin, c'est une action ponctuelle. Ah ! ces "petits mots", qui n'ont l'air de rien, quelle efficacité ! Je peux même, dans le cas d'un verbe dérivé d'un nom d'instrument, raffiner en utilisant la locution un coup de et opposer Léa balaie la salle de séjour / fait un bon balayage de la salle de séjour, donne un coup de balai à la salle de séjour. De même on peut opposer peigner, brosser à donner un coup de peigne, de brosse, marteler à donner un coup de marteau. Une autre opposition importante est la différence de niveau de langue qui résulte de l'emploi du nom dérivé. Léo est tombé dans son escalier vous annonce, tout émue, la femme de ménage ! Reformulation : Léo a fait une chute dans son escalier. Pas de doute ! vous êtes dans le cabinet du médecin. La chose est plus nette encore quand on ajoute un adjectif dérivé et l'emploi d'un verbe opérateur n'est pas toujours indispensable : Léo et Léa expliquent leur projet à des amis sous une forme orale parfaitement naturelle : On va construire notre maison. On a le droit de la construire sur notre terrain. Ça va couter cher. Reformulation : Nous envisageons la construction de notre maison sur notre terrain qui est constructible. Le cout de cette construction sera élevé. Pas de doute ! Ils écrivent à l'administration compétente pour obtenir un permis de construire, ou à leur banque pour obtenir un prêt. Dans de nombreux cas, la reformulation par le nom dérivé que ce soit d'un adjectif ou d'un verbe, donne à l'énoncé quelque chose d'intellectuel, de savant, d'officiel, éventuellement, selon la circonstance, d'un peu prétentieux. REFORMULATIONS AU MOYEN DE SYNONYMES Les vrais synonymes, substituables les uns aux autres sans aucune différence de sens sont des oiseaux très rares. Mais de nombreux "parasynonymes" peuvent se substituer sans changer fondamentalement le sens de l'énoncé. Ils peuvent le rendre plus précis ou plus vague, changer son niveau de langue ou impliquer un jugement, un autre point de vue sur son contenu, le moins marqué jouant le rôle d'hypéronyme et les autres celui d'hyponymes. Synonymes jouant sur différents degrés de précision : Il s'agit surtout de noms ayant entre eux un "genre commun" et quelques "différences spécifiques". Ils constituent des "paradigmes" d'unités plus ou moins nombreuses qui nous aident à structurer notre vision de la réalité et sont enregistrés tout prêts à l'usage, au fond de notre mémoire. On apprend à des chiens à guider les aveugles, dit Léa. - Oui, répond Léo surtout des Labradors; ce sont les chiens les plus aptes à ce dressage. Combien coutent ces deux fauteuils, demande Léo à l'antiquaire ? Réponse : La bergère coute 5000 euros ; le cabriolet n'en coute que 2000. Léo parle comme tout le monde. L'antiquaire parle en spécialiste de l'ameublement. Tous les vocabulaires techniques comportent - et pas seulement dans la catégorie "noms" - différents niveaux de précision. Synonymes jouant sur le niveau de langue : C'est un lieu commun de dire qu'on n'écrit pas comme on parle, qu'on ne parle pas de la même façon dans toutes les situations, et que même dans une situation donnée, des choix sont possibles. Apprenant la triste nouvelle Léa s'est mise à pleurer. Si je substitue chialer à pleurer, je parle "vulgaire". Si je dis Léa a fondu en larmes je m'exprime d'une façon plus recherchée, outre que j'insiste sur la violence du phénomène. Sortez, Monsieur est le cri de la vertu indignée. Casse-toi, salaud la conclusion d'une dispute entre voyous. Léo est content : Le déjeuner était bon, Léa - Bravo, Léa, s'exclament les copains, c'était une bonne bouffe ! - Un invité important venu pour un déjeuner d'affaires dit, en prenant congé, Merci, chère Madame, de cet excellent repas. On peut faire entrer dans cette catégorie l'opposition entre archaïsmes et néologismes. Lorsque vous vous armez d'une boite de cirage et d'une brosse, est-ce pour cirer vos chaussures ou vos souliers ? Si c'est le mot soulier qui vous vient spontanément à l'esprit, vous devez être d'un âge certain. Car enfin, le marchand de chaussures, c'est bien des chaussures qu'il vous vend et pas des souliers. Le mot soulier tend à se cantonner dans des emplois spéciaux ou métaphoriques. Traditionnellement, les enfants, la veille de Noël, mettent devant la cheminée ou près du sapin leurs petits souliers, et vous direz peut-être à un solliciteur maladroit Je te vois venir, avec tes gros souliers. Et si une conversation vous a mis mal à l'aise, vous a fait souffrir comme des chaussures trop étroites, vous pourrez raconter la chose en disant J'étais dans mes petits souliers ! Si Léo et Léa ont fréquenté tardivement une de ces "boites" où l'on danse et où l'on boit, à moins qu'on ne fume, dans une sono assourdissante et des lumières colorées, leur grand-mère dira Les jeunes ont fait la java toute la nuit et les petits-enfants On s'est éclatés toute la nuit. Synonymes exprimant des points de vue différents sur la réalité Soit la phrase de base : Léo regarde Léa. Il y a bien des manières de "regarder" un être vivant et il peut y avoir intérêt à préciser : Léo contemple Léa : "profondément amoureux, il est en admiration devant sa beauté, sa grâce, l'expression de son visage". Léo examine Léa : "Léo est médecin et Léa est sa patiente". Léo dévisage Léa : "Le visage de cette dame lui dit quelque chose ; il l'a peut-être connue autrefois ; il cherche à la reconnaître". Ou bien, "il cherche à lire sur son visage quelque chose de ses sentiments". Léo surveille Léa : "il la regarde agir, de peur qu'elle ne fasse quelque bêtise". Léo observe Léa : "Il la regarde agir afin de pouvoir tirer une conclusion, un enseignement, de son comportement". Léo fixe Léa : "Il la regarde assez longtemps sans détourner les yeux. Dans quelle intention ? Pour qu'elle s'en aperçoive ? C'est un muet reproche ? une muette invitation ?" Soit la phrase de base : Léo est mort. Il y a bien des manières de parler de la mort d'un être humain, même sans recourir au riche vocabulaire de l'argot en ce domaine : Léo est décédé : "formule administrative". Léo s'est éteint : "tout doucement, en perdant ses forces, comme une bougie en fin de combustion". Léo nous a quittés " : Il est parti. Pour un monde meilleur ? Adieu, Léo". Léo a disparu : "Il n'est plus parmi nous. Il nous manque..." Supposons maintenant qu'il soit mort de mort violente. Les choses se corsent ! Léo a été enlevé par des terroristes ; ils l'ont assassiné : "Ce sont des criminels. Léo défendait la démocratie, la justice et le droit". Léo a été pris en otage par des résistants. Ils l'ont exécuté : "Triste nécessité dans une juste guerre. Après tout, Léo était dans le camp des méchants..." Léo a tenté de s'enfuir, ils l'ont abattu : "simple bavure, dans le feu de l'action. Ils l'ont abattu comme ils auraient abattu un animal dangereux". Selon que les journalistes racontent l'épisode d'une façon ou d'une autre, il est clair qu'ils se situent dans un camp ou dans l'autre. Difficile de rester neutre en pareil cas ! Et pour parler d'un genre de mort très médiatisé de nos jours : Léo a été euthanasié : "Un crime ? ou un acte de compassion ? La discussion est ouverte". Il existe un nombre considérable de mots "péjoratifs" ou "mélioratifs" qui permettent au locuteur d'influer, sans en avoir l'air, sur l'opinion de son interlocuteur. Supposons que Léo dirige une entreprise et y fasse régner une certaine discipline. Sans la moindre variation dans sa méthode, ses admirateurs diront Léo est ferme, il fait preuve de fermeté. Et ses adversaires Léo est dur, sa dureté n'est pas supportable. Dans le cas contraire, s'il laisse aller les choses, ses admirateurs diront Léo est souple, sa souplesse nous épargne bien des conflits et ses adversaires Léo est mou, sa mollesse engendre une certaine pagaille. S'ils veulent parler plus savamment, ils diront Léo est laxiste. Et c'est clair, le laxisme, ce n'est pas bien du tout. Ajoutons que dans le cas de différence de niveau de langue, le niveau le plus bas est souvent péjoratif. Il peut être normal, voir honorable, dans certaines circonstances, de porter un fusil. Mais être muni d'un flingue, c'est forcément louche et ne peut révéler que de mauvaises intentions... Tout cela nous amène à rappeler, aux puristes qui préconisent d'employer en tout discours "le mot juste", qu'il n'y a pas un seul mot juste, mais tout un éventail de "mots justes" possibles, dont la "justesse" dépend de la circonstance dans laquelle ils sont proférés, et de l'intention avec laquelle le locuteur les profère. REFORMULATIONS AU MOYEN DE PARAPHRASES Chaque fois qu'un interlocuteur vous dit en substance "je ne comprends pas ce que tu veux dire, peux-tu m'expliquer ?" vous lui répondez nécessairement par une paraphrase de votre énoncé initial. La paraphrase est comparable à la variation musicale sur un thème donné. Dans ce domaine le locuteur se sent libre d'employer les mots qu'il veut, de développer certains points et d'en omettre d'autres, et de laisser paraître son point de vue personnel. Pour l'élève, paraphraser un texte est un bon exercice qui montre qu'il a vraiment compris ce que l'auteur a voulu dire et permet de mettre en valeur son propre style. Nous ne choisirons pas ici de paraphraser un texte littéraire, mais nous nous paraphraserons nous-même en exploitant le riche réseau lexical du verbe suivre au moyen du meilleur exemple que nous avons pu trouver : celui du défilé du 14 juillet. Donc, les citoyens, badauds et touristes qui se pressaient le 14 juillet 2006 derrière les barrières de sécurité, ont vu passer, de l'Arc de Triomphe à la Concorde, 1. le Président Chirac debout dans une voiture blindée, en compagnie de quelques généraux, 2. la Garde Républicaine à cheval, 3. les fantassins de l'armée de terre, en tenue léopard, 4. les élèves de l'école Polytechnique avec leur bicorne, 5. les élèves de l'école de Coêtquidan, naguère de Saint-Cyr, avec leur casoar, 6. les légionnaires avec leur képi blanc, 7. différents corps d'armée avec leurs uniformes spécifiques, 8. des gendarmes tenant en laisse des chiens policiers, 9. des pompiers avec leur casque, 10. les Auxiliaires Féminines de l'Armée de Terre (AFAT), 11. des motards sur leurs motos et 12. les blindés, notamment le char Leclerc, avec ses canons. Nous allons essayer de raconter cela de diverses manières, des plus banales aux plus personnalisées. a) en employant les métaphores de la tête et de la queue, le verbe suivre et ses dérivés : La voiture du Président était en tête du cortège, suivie de la Garde Républicaine à cheval, et d'un détachement de l'armée de terre. Ensuite, passèrent les grandes écoles militaires, Polytechnique et Coêtquidan. Diverses formations, légionnaires, infanterie de marine, pompiers auxiliaires féminines, constituèrent la suite du cortège dont les blindés formèrent la queue. Mais quelle queue ! b) en employant les locutions ouvrir la marche et fermer la marche précéder, succéder, succession, et successivement : La voiture du Président ouvrait la marche ; elle précédait un détachement de la Garde Républicaine. Apparurent successivement les fantassins de l'armée de terre, les Polytechniciens et les Saint-Cyriens. Puis, ce fut une succession de corps d'armées parmi lesquels la légion, l'aviation, l'infanterie de marine et bien d'autres. Les blindés, avec le char Leclerc, fermaient la marche. c) en employant les mots premier et dernier, devant, derrière, et la suite des nombres : Le premier à passer ça a été Chirac avec les généraux. En numéro 2, la garde républicaine à cheval ; en numéro 3, l'infanterie. Après, les grandes écoles, Polytechnique devant Saint-Cyr. Par derrière les légionnaires, les pompiers, les AFAT, et les motards. Qu'est-ce que j'aimerais être motard plus tard quand je serai grand ! En dernier, on a vu passer les blindés. Mais c'était le plus intéressant. Le char Leclerc, il a des canons super ! d) en employant les adverbes d'abord, avant, après, puis, enfin : D'abord, les autorités ! Le Président de la République, qui nous saluait, entouré de généraux. Puis la Garde Républicaine qui avait sorti pour l'occasion ses plus beaux chevaux et ses plus brillants uniformes. Puis différents carrés de militaires, tous de la même taille, pas une tête dépassant l'autre, marchant au pas dans un ordre impeccable, les bicornes des polytechniciens avant les casoars des Saint-cyriens, les légionnaires avant les pompiers et les AFAT après. Tout ça, c'était plutôt folklo ! Enfin, on a vu apparaître ce qu'on attendait depuis le début, le char Leclerc armé de ses canons. Avec ça, ils peuvent "trembler", les "ennemis de la France" ! e) en mélangeant sans scrupule tous les mots ci-dessus : Cette année encore, nous revenons de la revue, heureux et fiers d'avoir pu, comme on le chantait jadis "voir et complimenter l'armée française". En tête du cortège, la voiture du Président de la République, se dirigeait vers la tribune qui l'attendait à la Concorde, dans une solitude majestueuse ; Jacques Chirac s'y tenait debout, saluant la foule, dépassant de sa haute taille les généraux qui l'accompagnaient. Elle était suivie, à bonne distance, de sa garde d'honneur, la Garde Républicaine à cheval en grand uniforme. On vit ensuite se succéder les représentants des d'institutions militaires et de corps d'armée, tous de la même taille, formés en carré, marchant dans un ordre impeccable : d'abord, les fantassins de l'armée de terre, en tenue léopard, puis l'élite des jeunes destinés au commandement de nos valeureux soldats : les Polytechniciens, parmi lesquels on remarquait une jeune femme qui portait le bicorne aussi crânement que ses camarades, précédant les Saint-cyriens portant casoar et gants blancs. On vit ensuite passer successivement, reconnaissables à leurs uniformes, l'armée de l'air, l'infanterie de marine, la légion, les pompiers, les AFAT, les motards. Nous avons remarqué particulièrement un détachement de militaires tenant en laisse des chiens, excellentes bêtes si utiles pour flairer la drogue, détecter les mines, et participer aux opérations de sauvetage en cas de catastrophe naturelle ou provoquée. Fermaient enfin la marche les blindés et notamment le char Leclerc, symbole de la puissance de notre armée, présent sur tous les champs de bataille où la France s'occupe à rétablir la paix dans un monde déchiré par la guerre. Revenons à Molière. Paraphraser vos beaux yeux me font mourir d'amour !" par "les feux de vos yeux réduisent mon cœur en cendres" est l'exploitation à la fois emphatique et très banale de l'isotopie entre le mot amour et le mot cœur et de la métaphore du feu traditionnellement associée à l'amour. Deux astuces de style, dans le cas présent : Primo, le feu censé bruler le cœur de monsieur Jourdain est assimilé à l'éclat du regard de la belle marquise, de sorte qu'il y a transmission de feu entre l'allumeuse et l'allumé, et que, secundo la métaphore du feu est "filée" puisqu'on passe directement du feu à la cendre. Il est clair que la métaphore est une grande ressource de la paraphrase. Il y a des métaphores d'une grande banalité, quasi lexicalisées, comme ici. Il en est d'autres de plus personnelles et dans ce domaine, le professeur de français s'efface devant la "créativité" de ses élèves. Il s'efface aussi devant un autre personnage, le psychothérapeute. L'auteure de cet article, en demandant à Google le mot reformulation, a eu la surprise de tomber sur un article dont le signataire : Thierry Tournebise, donnait toutes sortes de conseils aux "écoutants" pour les aider à "reformuler" au mieux ce qu'expriment leurs "écoutés" traumatisés par d'horribles expériences. Elle croit avoir compris que la "reformulation" est une manière d'aider l' "écouté" à parler davantage, de l'inciter à ajouter à la reformulation de l'écoutant des compléments et des corrections qui le libéreront de son angoisse. Elle a découvert que l'écoutant devait tenir compte du "verbal", certes, des mots de l'écouté, mais surtout du "non verbal", l'intonation de la voix ainsi que la gestuelle et les mimiques et que loin d'être accessoire, le non verbal représente 90% du message envoyé ! À la limite, quand un "écouté" se mure dans le silence, l' "écoutant" pourra "reformuler" son attitude en se contentant de lui dire sur un ton légèrement interrogatif "Vous avez vraiment de la difficulté à parler ?" Bref, elle craint que tout ce discours sur la "reformulation" ne soit pas très utile au psychiatre. Elle espère toutefois qu'il sera de quelque utilité au professeur de français, et elle remercie Sylvianne Rémi-Giraud, professeur à l'université de Lyon II, de l'avoir aidée à relire cet article BIBLIOGRAPHIE DAUMAS M. (1991), Orthographe-vocabulaire, pratiques différenciées - Paris - Armand Colin. HOLEC H. (1974), Structures lexicales et enseignement du vocabulaire - Janua Linguarum - The Hague - Mouton LÉON R. (1998), Enseigner la grammaire et le vocabulaire à l'école Paris - Hachette. PICOCHE J. (1993), Didactique du vocabulaire français, Paris, Nathan, 206 p. (épuisé) réédition prévue pour septembre 20007 aux éditions Allouche sous la forme d'un CD intitulé Enseigner le vocabulaire, la théorie et la pratique. PICOCHE J. (1971 et constamment réédité) Dictionnaire étymologique du français. Paris - Les Usuels du Robert. PICOCHE J. (1999) Dialogue autour de l'enseignement du vocabulaire dans Études de linguistique appliquée n° 116 - octobre - décembre 1999 pp. 421 à 434 PICOCHE J. (2001) L'outillage lexical. dans Cahiers de lexicologie, n° 78, 2001, 1, Hommage à Robert Galisson, (Ed. Champion,) PICOCHE J. et ROLLAND, J-C Dictionnaire du français usuel - 15000 mots utiles en 442 articles - Bruxelles - Duculot-De Boeck - 2002 - 1064 p. - Version cédérom (PC et Mac) et cédérom en réseau. ROLLAND J-C (1995) Vers des dictionnaires d'apprentissage ? dans Le français dans le monde, n°275, p. 67 TRÉVILLE M.-C. DUQUETTE L. (1996), Enseigner le vocabulaire en classe de langue - Paris - Hachette. MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE (2002), Qu'apprend-on à l'école élémentaire, les nouveaux programmes - CNDP - Paris. - Enseigner au collège, Français, Programmes et accompagnement - CNDP - Paris, 2002.
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Elisabeth NUYTS L'ÉCOLE DES ILLUSIONNISTES, 2002, autoédité, 352 p. 20 euros | |
commande à Joseph Vaillé - 66 rue Azalaïs d'Astier - 34080 Montpellier - Tél./ fax 04 67 10 98 11 L'auteur, Élisabeth NUYTS (désormais E.N.) se présente ainsi au début d'une conférence prononcée en avril 2004 : « Après une formation de traductrice de conférence internationale, j'ai été professeur de lycée puis je me suis spécialisée dans l'aide aux personnes en difficulté d'apprentissage ou de mémoire. J'ai travaillé neuf ans avec un docteur en psychologie cognitive pour pouvoir comprendre comment se développent les capacités langagières de l'être et mettre au point une pédagogie qui respecte son développement naturel. J'ai été très étonnée de retrouver les mêmes difficultés chez des personnes très différentes en âge (de 5 à 50 ans) et en motivations. C'est alors que j'ai procédé à des recherches personnelles à la fois sur la physiologie du cerveau, et sur les pédagogies scolaires. J'ai analysé à ce jour plus de 80 manuels scolaires de français et plus de 700 cas ». La bibliographie qui figure à la fin de son livre est classée et commentée, ce qui témoigne de la réalité de ses lectures et de l'étendue de son information. Elle a consulté les travaux de neurologues dont certains sont des prix Nobel. Mais son livre, loin d'être entièrement théorique et abstrait, comporte l'analyse de manuels scolaires et l'étude de nombreux cas de personnes en difficulté qu'elle a rééduquées. Son objet est de contester les pédagogies nouvelles progressivement mises en place pendant le dernier demi-siècle par l'Éducation Nationale. Nul doute que les partisans de ces méthodes ont des arguments à lui opposer. Il serait donc utile qu'ils lisent ce livre, pour le réfuter s'ils le peuvent, ou pour en faire leur profit. Sa contestation repose sur ce que nous apprennent sur le fonctionnement du cerveau les progrès des neuro-sciences : Notre cerveau comporte deux hémisphères ayant chacun leur spécialisation : L'hémisphère droit est le domaine de la vue, donc de la perception et de la maîtrise de l'espace. Il est apte à comparer, à reconnaître, par analogie, des informations déjà connues selon un mode binaire (oui/non, conforme/non conforme) mais n'a pas accès à leur interprétation. Il favorise les activités de reconnaissance de règles mathématiques ou grammaticales et les activités de synthèse. Il a l'intuition globale du sens, du vrai, du beau, du bien. L'hémisphère gauche est le domaine de l'audition ainsi que de la perception et de la maîtrise du temps. Il analyse les informations et permet une perception fine du sens précis. Il filtre les pulsions et émotions brutes. Chez 90 à 95% des droitiers et 65 à 70% des gauchers, il est le siège du traitement de la parole. On peut voir par IRM, dans le cerveau gauche, tout un réseau de connections fonctionnelles s'activer au cours de la subvocalisation, l'aire de Wernicke traitant la forme auditive du texte lu et l'aire de Broca, la séquence graphique. Entre les deux hémisphères, le "corps calleux" assure le transfert des informations. Les circuits de transfert de l'information mis en place sont essentiels à la réflexion. La concentration résulte de la convergence des fonctions des deux hémisphères. Il semble que ce soit au cours du temps que, l'homme ayant évolué vers plus de complexité, les deux hémisphères se sont spécialisés, chacun dans un certain nombre de tâches spécifiques, et de manière différente selon les cultures, les occidentaux ayant particulièrement développé l'hémisphère gauche et les orientaux l'hémisphère droit. Leurs idéogrammes sollicitent surtout le cerveau droit, alors que l'écriture alphabétique sollicite surtout le cerveau gauche. Plus intuitifs, ils n'accèdent pas de la même façon que nous à la connaissance du monde et de soi. Intuition et analyse, voilà deux modes de pensée radicalement différents que chacune de ces civilisations privilégie tout au long de l'éducation du jeune. Quoi qu'il en soit, c'est en assurant un va et vient permanent entre les deux hémisphères de notre cerveau, en abrégé, entre nos "deux cerveaux", le "cerveau gauche" et le "cerveau droit" que nous développons au mieux l'ensemble de leurs facultés. C'est ce va et vient qui permet à l'homme de devenir un être raisonnable et équilibré. Ce qu'Elisabeth Nuyts reproche à la pédagogie moderne enseignée dans les IUFM, c'est d'avoir pris le parti de réduire l'activité du cerveau gauche au profit du cerveau droit, à l'encontre de la pédagogie des générations précédentes qui consistait à faire sans arrêt basculer l'information d'un hémisphère à l'autre. Elle considère cela comme contraire au cheminement naturel de l'information dans notre cerveau et une sorte de mutilation de l'individu. On a le tort aujourd'hui de faire travailler tout le monde par des méthodes qui ne sont valables que pour une petite minorité de véritables visuels et qui même pour ceux-là ne sont pas sans inconvénient. Et on n'exploite même pas toutes les possibilités du cerveau droit, laissant trop souvent inutilisées ses aptitudes à l'intuition du beau, du vrai et du bien. Les élèves n'ont pas tous le même "profil pédagogique" selon que leur capacité d'apprentissage passe surtout par la vue (chez les "visuels", généralement plus doués pour les mathématiques), ou par l'audition, (chez les "auditifs" de loin les plus nombreux en Occident, généralement plus doués pour les lettres) ou par le geste et le toucher, qui s'ajoute aux deux voies d'accès précédentes chez les "kinesthésiques". Chaque individu a une dominance hémisphérique qui, au moment des apprentissages fondamentaux doit être respectée, avant qu'il puisse, ultérieurement s'adapter à d'autres modes. Si on ne la respecte pas on court le risque de gêner sa latéralisation cérébrale et d'engendrer problèmes psychologiques et inadaptation sociale. Les auditifs, essentiellement analytiques, ne peuvent intégrer la moindre information qu'après l'avoir analysée. Leur corps calleux, et tout particulièrement celui des musiciens, est plus gros que celui des visuels, chose normale, le va et vient droite-gauche étant chez eux particulièrement important. Tout apprentissage consiste à monter des circuits neuronaux que l'information empruntera par la suite automatiquement, qui seront réactivés chaque fois que l'individu s'adonnera à la même activité. L'enfant ne naît pas "fini", son cerveau est en construction, la taille du corps calleux croît progressivement pendant l'enfance jusqu'à l'âge de 16 ans environ. C'est à l'adulte de l'aider à acquérir ses outils essentiels. Il faut donc mettre en place les meilleurs circuits pour chacun, en respectant ses voies d'entrée. Or, notre enseignement ayant été révolutionné de fond en comble, le cerveau de nos enfants a été véritablement remodelé ; les nouveaux circuits neuronaux inscrits dans leur cerveau, considérablement différents de ceux des générations précédentes, semblent à l'auteur responsables de troubles plus ou moins graves. Un cerveau, en période de formation, peut se bloquer plus ou moins durablement, si on ne lui donne pas ce dont il a besoin. Il faut éduquer correctement, pour ne pas avoir rééduquer, ce qui est toutefois possible. E. N. affirme qu'on peut reconstruire l'outil cognitif des gens, quel que soit leur âge, si on ne l'a pas endommagé par des drogues mal adaptées. Elle en a l'expérience. Au commencement est la parole, la "mise en mots" de nos informations sensorielles qui permet le passage à la conscience. Elle lie les diverses données sensorielles captées par des aires différentes du cerveau et en fait un tout. Ainsi elle synthétise des sensations visuelles, tactiles, olfactives pour que le sujet arrive à penser et à dire "Ceci est un arbre". Elle permet aux auditifs et aux kinesthésiques de procéder à l'analyse consciente des données, qui débouche sur l'identification et la compréhension. Il semblerait qu'il faille avoir un jour verbalisé ses sensations pour pouvoir les percevoir consciemment. Or, dès 2 ou 3 ans, l'enfant auditif sait parler avec des mots significatifs, faire de jolies phrases au vocabulaire souvent très bien choisi. Mais sa discrimination visuelle et auditive n'est pas encore parfaite. Il s'agit de l'affiner et pas de la déprogrammer. L'apprentissage de la lecture et de l'écriture, ainsi que celui du calcul, qui n'est pas l'objet du livre, va conditionner le devenir cognitif, culturel, voire comportemental de toute une génération. Il est donc souhaitable, dans une classe réunissant naturellement des enfants de types différents, d'utiliser des méthodes sollicitant à la fois l'œil, l'oreille, la bouche et la main, pour que chacun puisse y trouver son compte, car un enfant qui ne peut utiliser ses repères naturels pour apprendre à lire devient dyslexique. Il y a des étapes à respecter : 1. Découverte de la lettre par toutes les voies d'accès, visuelle, orale, et même kinésique par l'emploi de lettres rugueuses. Apprendre à lire à partir des sons les plus simples, B. A. BA, construit la discrimination et la mémoire auditives. Apprendre à écrire en faisant des lignes de bâtons, de cannes et de ronds, en disant ce qu'on fait, construit la discrimination visuelle des lettres : m : trois cannes, n, deux cannes, distinction de p, b, g, d par la place relative des ronds et des bâtons. E. N. juge nuisible l'apprentissage de mots alphabétiques par leur image globale, ce qui les transforme en idéogrammes, avant d'avoir la perception claire des lettres. Les visuels et les kinésiques chez qui vue et mémoire visuelle sont couplés parviennent à "reconnaître" des mots, et les ayant reconnus, par les apprendre. Les auditifs n'ont pas cette possibilité. 2. Passage au mot et syllabation, nécessaire à l'apprentissage de l'orthographe et à la perception des rimes. Dans des manuels qu'elle a dépouillés, la syllabation, tardivement pratiquée, repose non sur une perception auditive, mais sur des consignes concernant le découpage graphique de mots (on peut couper un mot devant une consonne ou entre deux consonnes). Or, ce n'est pas la même chose, en ce qui concerne par exemple le mot allumette, de le découper, phonétiquement en /a-lu-mèt/ ou de le découper graphiquement en / al-lu-met-te /. 3. Passage à la phrase, permettant la lecture à haute voix de textes simples, mais porteurs de sens, imprimés en gros caractères, en suivant du doigt les lignes de gauche à droite, pour habituer l'œil à ce mouvement qui n'est pas spontané. Et puis, viennent la copie, puis l'écriture sous la dictée de ces textes simples. Il est indispensable de faire verbaliser aux enfants toute activité d'écriture ou de lecture et surtout de ne pas exiger la rapidité qui risque de déconnecter les deux hémisphères. Il faut qu'écriture et parole soient liées et synchronisées. Plus tard, seulement, et peu à peu intériorisée, la "haute voix" deviendra "subvocalisation", permettant la lecture silencieuse. Ceux qui ont appris à lire oralement, de la lettre vers la syllabe, puis de la syllabe vers le mot et ensuite la phrase, et qui ont travaillé la lecture oralement en la menant de pair avec des exercices d'écriture, ont mis en place une quantité de liens entre le signe, le son, le sens et l'écriture alors que les méthodes actuelles ne sollicitent que les aires visuelles et manuelles. Une fois accompli le grand passage de la lettre à un texte simple, E. N. pense qu'avant de passer à la lecture silencieuse subvocalisée, il faut continuer pendant plusieurs années la pratique de la lecture à haute voix. Et le maître doit poser de multiples questions pour que l'enfant arrive à comprendre vraiment le texte et à le mémoriser: 1. des questions de reconnaissance des éléments du texte, 2. des "questions d'intelligence" (à quoi le vois-tu ?) portant sur les informations implicites contenues dans le texte, et 3. des questions du type "leçon de choses" mettant le texte en relation avec la connaissance du monde que possède l'élève. Il faut évoquer la scène dont il est question, analyser le texte, et le paraphraser avec d'autres mots que celui qu'il contient, faute de quoi l'élève n'accède pas vraiment au sens et ne mémorise pas ce qu'il lit. Les histoires qu'on racontait autrefois aux enfants, en les faisant participer constamment, montaient ce mécanisme de l'analyse verbale. E. N. regrette qu'elles aient été le plus souvent remplacées par des films télévisés qui font de l'enfant un réceptacle passif. Si les premiers circuits montés au cours de l'apprentissage ne sont pas passés correctement par le sens, toute lecture ultérieure, même effectuée à haute voix, ne permettra pas facilement d'accéder au sens. C'est pourquoi il est dangereux de faire étudier trop tôt des textes surréalistes dénués de sens, simples chapelets de mots choisis pour leur forme ou leur sonorité, de faire inventer aux élèves des non-mots, de les faire travailler sur des phrases grammaticalement correctes et dénuées de sens. Par contre, si tout est fait correctement, l'élève deviendra un bon lecteur capable de subvocaliser et d'analyser ce qu'il lit, de façon spontanée. Étant donné les principes ci-dessus, on comprendra qu'E.N. déplore la complexité des programmes du primaire, qui ne permet de consacrer que trop peu de temps à un apprentissage qui prend normalement des années. Elle s'oppose à la pratique de la lecture silencieuse, rapide et prédictive, c'est à dire procédant par hypothèses en ce qui concerne les mots qu'on ne connaît pas, inspirée par les méthodes d'apprentissage de la lecture rapide, qui ne peuvent convenir, selon elle, qu'à des adultes déjà bons lecteurs. Il faut laisser les élèves parler pour lire, écrire, analyser, travailler, si on veut qu'ils soient heureux et efficaces. Des enfants qu'elle a eu à rééduquer avaient été empêchés de labialiser ce qu'ils lisaient, autrement dit, de remuer les lèvres en lisant. Pour leur rendre la chose impossible et les obliger à lire seulement des yeux, on leur avait collé du scotch sur la bouche. On avait contrôlé au chronomètre la rapidité de leur lecture, pratique qui confisque la parole intérieure à ceux qui lisent lentement, en réfléchissant. E. Barone, spécialiste de l'hypnopédagogie écrit: "il y a une lenteur jusqu'à laquelle la conscience contrôle tout et il y a nécessairement une vitesse à partir de laquelle elle ne peut plus contrôler les actes qui se produisent". Ainsi conçue, la lecture devient "un marathon visuel doublé de devinettes". La lecture à haute voix n'est pratiquée, dans les classes, que tardivement, et encore trop peu, et on obtient des intonations correctes, sinon très expressives, par des consignes liées à la ponctuation : marquer une petite pause aux virgules, baisser la voix aux points, etc. E. N. critique aussi les exercices à trous et les questions à choix multiples, auxquelles on répond, le texte caché, pour en retrouver les mots. Ces exercices peuvent être traités par une simple mémoire visuelle sans que le texte ait été compris, l'activité de lecture étant déconnectée de la recherche du sens. Cet entraînement à un travail de visualisation purement mécanique, est parfois accompli au chronomètre, la note dépendant du temps passé. Or, la vitesse est nuisible, elle empêche de comprendre et de réfléchir. Il faut prendre son temps ! Ajoutons que par souci de rendre les enfants "autonomes", on recommande aux enseignants de les observer et de les laisser se débrouiller seuls, alors qu'ils ont besoin d'être guidés et d'imiter des gestes. Par surcroît des enseignants ne luttent plus contre le bruit et le considèrent au contraire comme "un volume sonore stimulant" alors qu'il empêche la concentration. Mêmes critiques en ce qui concerne la grammaire : E. N. a eu entre les mains des manuels de français du primaire qui ne distinguent le nom du verbe que par la nature des "petits mots" qui les accompagnent. On ne distingue le sujet de l'objet, tous deux étant des GN, que par les variations du verbe, ce qui entrave la perception d'un Je/moi actif. On n'étudie les conjugaisons que sur critères formels ce qui entrave la création de repères temporels, et tout à l'avenant. E. N. déplore que l'enseignant n'ait aucune initiative dans les tests envoyés par l'Académie : on lui impose, au mot près, la façon de présenter les exercices, leur ordre, le temps accordé aux enfants, enfin et surtout, la grille de correction. C'est ainsi qu'on obtient un pourcentage stupéfiant d'enfants qui arrivent au collège sans savoir lire. Passons au collège. L'emploi, par les manuels, des mots "analyse" et "explication de textes" lui semble trompeur. Les rares questions sur le texte ne font appel qu'à la reconnaissance. La "réduction de texte" est autre chose qu'un résumé employant librement d'autres mots que ceux du texte. On demande seulement de couper ce qui (d'après les règles visuelles apprises : reconnaissance des formes, découpage spatial de la structure de la phrase) à supprimer les compléments non essentiels. Certains élèves, ayant développé une grande mémoire visuelle et gestuelle, y réussissent très bien, mais sont incapables de reformuler avec leurs mots à eux ce qu'ils ont lu. Comme on avait pris la visualisation pour de la lecture et la mémoire de reconnaissance pour du raisonnement, on prend la réduction de texte pour sa synthèse. Les sciences de l'éducation chassent le plaisir de découvrir par soi même le sens profond d'un texte tel qu'il va éclairer toute une vie Même critique en ce qui concerne l'enseignement des langues qui consiste en grande partie aujourd'hui à apprendre des phrases toutes faites correspondant à des "situations d'énonciation", alors que l'aisance dans la langue étrangère passe normalement par la traduction, aujourd'hui interdite. C'est ainsi que beaucoup d'enfants, ayant lu sans comprendre, sont incapables de se souvenir et de parler de ce qu'ils ont lu. En effet, la mémoire visuelle est une mémoire à court terme. La mémoire à long terme se construit en respectant l'ordre normal : parole, conscience, mémoire, balancement entre la découverte, l'encodage par le cerveau gauche et la reconnaissance, l'automatisation par le cerveau droit. C'est cela qui assure la mise en phase des deux aires responsables, l'une de la séquence phonique (celle de Wernicke) et l'autre de la séquence graphique (celle de Broca), ce qui permet d'établir la chronologie des faits, d'accéder aux souvenirs, et d'organiser logiquement et chronologiquement les souvenirs rappelés. Ce n'est pas le cas lorsque que les montages ont été faits dans l'ordre inverse. Ainsi "programmés" ces enfants ne lisent pas vraiment, ils donnent l'illusion de savoir lire, d'où le titre : "l'école des illusionnistes". Et qui pis est, au-delà de la mémorisation des textes, c'est la faculté de penser et de décider qui est atteinte. Le raisonnement, verbal, analytique, c'est de la parole intériorisée, permettant de filtrer les données émotionnelles brutes. Sans la mémoire, il ne peut y avoir de logique puisque elle n'est que l'organisation des données mémorisées. Comment décider, faire des choix et des projets, sans penser ? Pour traiter les informations, l'analyse est la porte ouverte à l'autonomie de la pensée, et pour beaucoup d'individus, penser, c'est se parler. L'homme qui doit sans cesse s'adapter à des conditions de vie changeantes ne peut vivre sans esprit d'analyse, son libre arbitre en dépend. On reconnaît dans les pratiques modernes l'influence d'une linguistique orientée vers l'intelligence artificielle et la manière de programmer un ordinateur pour le rendre capable non seulement de classement de données et de calculs, mais, en mettant les choses au mieux, de traduction automatique. Or il est bien impossible de demander à un ordinateur s'il a bien compris ce qu'on a tapé sur le clavier et s'il a perçu certains sous-entendus ! Il ne peut que reconnaître mécaniquement des conformités à des règles, et cela, il le fait de façon tout à fait efficace ! On traite le cerveau d'un enfant comme s'il était un ordinateur. Les spécialistes savent que lorsqu'il échappe au contrôle de la conscience, le cerveau fonctionne en automate. Visualisation, comparaison, couper/coller : je lis, je visualise, je reproduis, et je m'entraîne à faire une foule d'exercices analogues. Apprendre des réflexes et les automatiser, remplacer la réflexion multiple par la réflexion binaire "robotise" l'individu et revient à priver du droit à l'éducation des êtres que la nature avait doués pour les lettres. Ce conditionnement est renforcé par la télévision, purement visuelle, et des jeux vidéos qui sollicitent surtout l'œil et la main. Il faut bien comprendre qu'un cerveau est plus fragile qu'un ordinateur, et que ses blocages sont plus graves, mais qu'il est aussi beaucoup plus perfectionné. Un ordinateur est incapable d'analyser une réalité totalement différente de ce pour quoi il a été initialement programmé. Un cerveau, lui, peut non seulement le faire, mais encore induire des conduites nouvelles à condition qu'il ait appris à glaner des informations (cerveau droit) à choisir celles qui sont importantes (cerveau gauche), à les décomposer (cerveau gauche), à en découvrir la logique (cerveau gauche), à les comparer et à les relier à ses connaissances antérieures (cerveau droit), en induire les conséquences et les intégrer dans le choix de ses décisions. Les pédagogies actuelles montent un circuit mécanique œil/main qui ne passe pas par la parole et qui est l'outil principal de l'hypnopédagogie, technique de montage de fonctions réflexes qui transforment l'individu en "logiciel humain". Le résultat de cette éducation est que l'échec scolaire va croissant. 40% des collégiens souffrent de graves lacunes de lecture et 35% des allocataires du RMI sont des illettrés. Or, les dyslexies congénitales dues à une malformation cérébrale ou un accident sont très rares, la plupart sont acquises. L'absence de va et vient entre les deux hémisphères résulte d'une privation et non d'une incapacité spécifique du dyslexique. Si elle résultait d'une pathologie cérébrale on ne pourrait pas la guérir, or E. N. en a guéri beaucoup. Quand on fait faire aux dyslexiques des exercices sur la perception du temps et qu'on les fait lire à haute voix (car pour 95% de la population occidentale, le lecteur a besoin de s'entendre dans sa tête) et répondre à des questions analytiques sur le texte, ils sont soulagés et reprennent goût à la vie. La profession d'orthophoniste est née au lendemain de la guerre avec l'arrivée de la méthode globale de lecture, pour en pallier les carences. De même c'est à partir des années 50 qu'il est beaucoup question de l'autisme. Les cas de dyslexie induite des auditifs, qui utilisent trop leur cerveau droit, se sont multipliés de façon exponentielle depuis une quinzaine d'années. Des troubles apparaissent dès la fin du premier trimestre de cours préparatoire. On les attribue à des problèmes familiaux, On en vient même à penser que la dyslexie est une maladie qui se soigne chez des thérapeutes dont le salaire est remboursé par la sécurité sociale. Le centre Régional de Documentation Pédagogique de Grenoble a monté un programme d'entraînement visuel des enfants de 4 à 6 ans, puis un programme d'entraînement auditif appliqué à des classes de CE2 par des personnels de santé au terme desquels des confusions tout à fait normales sont diagnostiquées comme "troubles visuels" ou "troubles auditifs". Résultat : sur 537 enfants de 5-6 ans testés, seuls 47% auraient été indemnes de troubles visuels ! E.N. montre qu'il n'en est rien et que ce qu'on recense comme un trouble de la vue disparaît chez l'auditif dès que celui-ci apprend à verbaliser ce qu'il observe, et à verbaliser les mouvements de sa main. On peut se demander pourquoi, dans ces conditions, tous les élèves ne deviennent pas dyslexiques. C'est que certains développent une grande mémoire visuelle et gestuelle, qu'il peut y avoir un fossé entre la pédagogie officielle et la pédagogie réelle des maîtres, que les enfants ont des parents qui leur parlent et les font parler, que la vie extra-scolaire impose certaines analyses et discriminations. Transformer un enfant en ordinateur le fatigue considérablement ; fonctionner toujours à l'intuition par le cerveau droit, sans possibilité de vérifier ses hypothèses par le cerveau gauche, est très éprouvant pour les nerfs. Dyslexiques ou non, beaucoup d'enfants présentent des troubles du comportement qui sont les symptômes de leur immense désarroi : désordre, incapacité à ranger ses affaires, fringale compulsive de chocolat, enfants fébriles, ou amorphes, au visage lisse et au regard vide, violence sans précédent dans notre histoire récente, délinquance, perte du goût à vivre, conduites suicidaires. Chez ceux qui ne peuvent apprendre sans comprendre, on diagnostique une "déficience logico-mathématique", nouvelle pathologie qu'on s'apprête à soigner. Après avoir rendu notre enseignement inintelligible aux êtres analytiques, on commence à préconiser des médicaments qui les guériraient de l'anxiété, de l'excitabilité, de l'agressivité, des somatisations de toutes sortes que génère une telle pathologie; on fait appel aux psychologues scolaires, on leur fait suivre des psychothérapies On les oriente vers les Sections d'Enseignement Spécialisées. Quel sera leur avenir ? E. N. cite un collège où 90 enfants sur 400 sont dans les SES. Quelle est l'entreprise qui accepterait qu'un quart de sa production soit reconnu défectueux sans remettre en question ses techniques de production ? C'est pour en arriver là que l'État dépense des fortunes ? Même les élites, à qui on va confier des responsabilités, ont du mal à comprendre le sens d'un texte complexe ; l'étudiant en médecine qui n'a pas appris à analyser pendant son parcours scolaire, a du mal à établir un diagnostic, des étudiants qui transcrivent littéralement les cours magistraux deviennent agressifs contre celui ou celle qui leur fait perdre du temps en posant des questions pour comprendre. D'ailleurs les enseignants nouvellement formés se soucient peu de donner des explications. Qui sont donc les responsables de cet état de choses ? Des gens qui férus de "disciplines d'éveil" et d'un certain aspect ludique de l'enseignement, rognent le temps consacré aux apprentissages de base et recherchent, en ce qui les concerne, la rapidité. Certains, ayant étudié l'"hypnopédagogie", sont convaincus que, passant par le montage de réflexes, une pédagogie permettant à l'hémisphère droit de devenir dominant, par blocage de l'hémisphère gauche, est "plus égalitaire" que la pédagogie analytique. C'est le cas de G. Racle selon qui elle toucherait "la masse" qui, ose-t-il affirmer, serait "non-réflexive". Il y a aussi la mode du New Age qui tend à promouvoir une pensée intuitive, non verbale, holistique, atemporelle, préférant les grandes représentations mystiques et spirituelles de toutes les religions orientales, spécialement le tao chinois qui est tout l'inverse de la pensée cartésienne essentiellement analytique, et de la pensée chrétienne pour laquelle la Parole est vie. On ridiculise le test de QI qui permet d'évaluer les capacités d'observation, d'analyse, de synthèse et d'abstraction et on le remplace par un QE "coefficient émotionnel" particulièrement élevé chez les sujets dont on n'a pas monté l'analyse. On stigmatise le terme de "linéaire", les lois de la raison et les impératifs chronologiques de la pensée temporelle. La nouvelle pensée récuse le "totalitarisme" de la pensée analytique. Comment des enseignants, qui aiment leur métier et sont soucieux de l'intérêt de leurs élèves, peuvent-ils pratiquer de pareilles méthodes ? Il a suffi qu'on leur présente la nouvelle pédagogie comme scientifique pour qu'ils l'acceptent. Et il est vrai qu'elle l'est, que ceux qui la préconisent sont savants en certaines disciplines linguistiques. Mais tout type de linguistique ne convient pas forcément à des esprits enfantins. Depuis quelque temps, toutes les formations qu'ils reçoivent les éloignent de la logique analytique. Qui va leur dire qu'elle est indispensable à tous ? qu'elle se bâtit lentement ? que c'est pour les auditifs le seul moyen d'accès à la connaissance ? que c'est enfin par l'analyse que l'on accède à la conscience de soi, à l'ouverture aux autres et au sens de la vie ? Personne ne leur a dit que la pédagogie qu'on leur enseigne les induit en erreur sur les mécanismes de l'apprentissage. On leur a fait faire des jeux de rôles et une foule d'activités inoffensives mais dévoreuses de temps et d'attention où l'on glisse des jeux de mots, des phrases ineptes. On a fait d'eux de bonnes "courroies de transmission" d'une manipulation. Y aurait-il vraiment manipulation ? E. N. ne l'exclut pas, rejoignant Pascal Bernardin qui, dans un livre déjà ancien intitulé Machiavel pédagogue a réuni un nombre considérable de textes émanant des plus hautes instances politiques (ONU, UNESCO, UNICEF, Commission Européenne etc.) s'exprimant sur le sujet de l'éducation. Les idées et les conseils exprimés tendent à former des citoyens dociles, réceptifs à la propagande d'État et heureux de leur conditionnement. Or, sans accès possible au cerveau analytique le cerveau droit est extrêmement influençable, en attente des directives d'une autorité supérieure, prêt à les accepter ou à les rejeter intuitivement en bloc sans les discuter. Veut-on changer la société en transformant le cerveau de l'homme occidental ? Dissoudre l'individualité dans le collectif en vue d'un "nouvel ordre "mondial à la fois totalitaire et doux ? Or, sans analyse, il n'est pas d'esprit d'initiative, et sans esprit d'initiative, il n'est pas de démocratie. Quelques citations tirées de ce livre inquiétant : "Les hommes de lettres ... ont toujours fait trembler les pays totalitaires. Dans un pays dont on écarte les poètes, les écrivains, les historiens et les philosophes, il est évident qu'on n'aura pas besoin de censure. D'ailleurs, à quoi servirait la censure, si plus personne n'aime lire, parce que la lecture ainsi proposée est totalement inintéressante, et si plus personne ne mémorise ce qu'il a lu parce que la visualisation est éphémère ? La pédagogie nouvelle est en train de transformer à notre insu l'Occidental dont la force reposait sur l'analyse. Le faisant basculer sur son cerveau analogique, elle le rend manipulable à souhait". "Toute société non suicidaire choisit en principe une pédagogie capable de construire des hommes qui assurent sa pérennité. Notre société occidentale dont l'économie est basée sur la libre entreprise, a besoin d'une élite analytique pour survivre. Si donc nous voulons conserver ce type de société, il faut impérativement construire le raisonnement analytique de nos enfants". Si tout cela n'est pas fantasme mais vérité, rien n'est plus important que la manière dont on apprend à lire aux petits enfants dans les classes de notre Éducation Nationale. |
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UTILLAGE LEXICAL
i du DFU pour l'enseignement du vocabulaire
FORMULATION, BASE DE L'ENSEIGNEMENT DU VOCABULAIRE
isabeth NUYTS - L'éc des illusionnistes - autoédité - 2002 - 352 p. - 20 euros;