Je
ne me propose pas de faire ici une présentation détaillée
du
Dictionnaire
du Français usuel,
qui a déjà fait l'objet de plusieurs recensions dans les
revues spécialisées, mais de montrer trois directions de
recherche différentes, à partir d'exemples de "leçons"
que nous proposons. Elles visent d'une façon globale le public
des collèges (premier cycle secondaire en France) et peuvent être
utilisées en totalité ou en partie, au cours d'une ou de
plusieurs séances, dans une classe ou dans une autre selon le niveau
des élèves et l'objectif que se propose le professeur. Des
leçons de ce type ont été effectivement utilisées
dans certaines classes à la satisfaction des professeurs. Je présente
des extraits d'un petit manuel d'application en cours d'élaboration
entre moi-même et Sébastien Souhaité, jeune professeur
dans un collège de la région parisienne. La première
leçon est de Sébastien Souhaité, les autres de Jacqueline
Picoche.
Ce
dictionnaire peut être aussi utilisé en français langue
étrangère et nous espérons que des exercices spécifiques
pour ce type d'enseignement pourront un jour être mis au point.
Le
sous-titre de l'ouvrage :
15000
mots utiles en 442 articles
laisse
entendre que notre objectif est de rendre possible un enseignement systématique
d'une partie importante du vocabulaire français et non un enseignement
"accidentel" à l'occasion d'autre chose, chacun des 442
articles constituant un vaste réseau lexical fortement structuré.
Et notre ambition est de faire reconnaître le vocabulaire, jusqu'ici
parent pauvre des études de français, comme une matière
d'enseignement à part entière. Les auteurs du DFU ont voulu
composer un ouvrage pédagogique grâce auquel, les apprenants
francophones ou allophones puissent acquérir la maitrise des outils
sémantiques que la langue française met à leur disposition
pour parler de tout sujet non étroitement spécialisé,
autrement dit d'un trésor d'une richesse moyenne de mots panfrancophones
dont les critères de choix sont longuement exposés dans
notre préface.
La
première de nos "leçons"
repose
sur l'étude d'un de nos réseaux, l'article RAISON du DFU,
en relation avec un texte, la fable de La Fontaine intitulée
Le
loup et l'agneau.
Elle suppose
que
les élèves ont sous les yeux
l'article
en question ainsi que le texte de la fable. Après s'être
assuré que l'histoire des deux protagonistes est bien comprise,
Sébastien pose les questions suivantes :
1-
D'après l'article RAISON, n.f. (partie I), en quoi peut-on dire
que l'agneau de la fable est un animal
doué
de raison
?
Relevez l'ensemble des verbes ayant trait à la raison dans cette
partie et employez-les dans une phrase.
2- L'agneau utilise des
arguments
:
cherchez dans le paragraphe I,3 le sens de ce mot puis relevez-y le champ
lexical de l'argumentation. Que signifie
invoquer
des
arguments selon vous ? Peut-on dire que le loup
réfute
ceux
de l'agneau ? Pourquoi ?
3- Après avoir lu la partie I,4, vous direz pourquoi le discours
de l'agneau peut être qualifié de
cohérent
et
chercherez dans la fable les marques de cette cohérence. Quels
sont les antonymes de
cohérence
et
cohérent
?
Employez-les chacun dans une phrase.
4- Après avoir lu la partie II, vous direz comment il se fait qu'on
puisse dire que l'agneau
a
raison de se défendre
mais
que le loup finalement
a
raison de l'agneau
(II,
1) ? Quel est le sens de ces expressions ?
5- D'après le paragraphe II,2, qu'est-ce qui permet d'affirmer
que le loup
a
tort
?
Comment peut-on qualifier ses propos ?
6- Cherchez dans le paragraphe III,2 les synonymes de
raison
et
employez-les dans une phrase qui éclaire leur sens. Cherchez ensuite
dans ce paragraphe la signification du premier vers de la fable.
La
question 1 amène aux verbes DÉDUIRE, INDUIRE, CONCLURE,
tirer une CONCLUSION, ARGUMENTER ; la question 2 ajoute DÉMONTRER,
ÉTAYER une OPINION, la JUSTIFIER, PROUVER la vérité
de ce qu'on dit grâce à des PREUVES qui soient vraiment PROBANTES.
La question 3 nous amène à LOGIQUE, ILLOGIQUE, COHÉRENT,
INCOHÉRENT et à l'ENCHAINEMENT des raisons invoquées.
Les questions 4 et 5 permettent de réfléchir sur les locutions
avoir
raison
et
avoir
TORT,
dans des cas d'intérêt pratique et non purement intellectuels,
et leur relation avec le réseau précédent. Enfin
la question 6 fournit les mots MOTIF et MOBILE qui peuvent servir à
expliquer le type d'argumentation développé par les deux
personnages. Il est clair que l'agneau jouit d'une parfaite coïncidence
entre la raison raisonnante et la
bonne
raison
qu'il
a de se défendre contre le loup, et de ne pas vouloir être
mangé, tandis que le loup, souffrant de la faim, a une
bonne
raison
de
vouloir manger l'agneau, mais ne peut avancer, dans la discussion, que
des arguments illogiques et incohérents.
Ce
premier travail amène à proposer des exercices d'expression
écrite
dont
le dernier, au-delà de l'anecdote induit même à un
niveau très élémentaire, une certaine réflexion
de nature juridico-philosophique :
1-
Quelques jours plus tard, le loup se trouve face à un chasseur
qui menace de le tuer : imaginez le dialogue entre les deux personnages
et mettez en avant les arguments invoqués par le loup pour échapper
à son sort.
2-
Racontez une dispute entre vous et vos parents qui vous accusent d'une
bêtise que vous n'avez pas commise : vous mettrez en place une argumentation
solide en vue de vous disculper.
3-
«La raison du plus fort est toujours la meilleure.» En vous
appuyant sur des exemples, dites en quelques lignes dans quelle mesure
selon vous ce proverbe dit vrai. Quel est alors le recours du plus faible
?
Les
rares parties des
programmes
officiels
qui
traitent du vocabulaire conseillent de ne pas dissocier l'étude
du vocabulaire de celle des textes. Cette leçon leur est donc parfaitement
conforme. Son auteur a choisi un des articles du dictionnaire dans le
droit fil d'un des aspects principaux de la fable : celui de l'argumentation.
Il aurait pu, bien sûr, en choisir un autre et centrer son explication
sur la cruauté ou sur le droit. Cette manière de faire explique
un texte sous un certain angle, pas sous tous les angles possibles. L'élève
pourra ainsi prendre conscience de la principale articulation de la polysémie
du mot
raison,
son contenu pouvant être envisagé comme pur et simple mécanisme
logique ou comme ce même mécanisme mis au service d'intérêts
et de passions. Au terme de cette leçon, l'élève
devrait avoir mis au point et posséder un vocabulaire qui non seulement
lui permette de commenter très finement la fable en question mais
encore qui puisse lui resservir en toutes sortes de circonstances. Et
il aura mis en place des notions sur lesquelles, un jour, le professeur
de philosophie n'aura pas de mal à embrayer.
Mais
il est clair que certains articles se prêtent mieux que d'autres
à être utilisés à propos de textes littéraires
et que si on se limite à cette méthode, il y aura des laissés
pour compte qui ne sont pas linguistiquement moins intéressants,
et qu'on échouera à faire, dans le temps d'une scolarité
le tour complet du vocabulaire usuel et utile que nous proposons. C'est
pourquoi
une
seconde démarche
ne
me paraît pas moins importante que la première. Elle est
illustrée par une leçon qui met en cause l'article DUR et
l'article SOLIDE ET RÉSISTER. Il s'agit de faire comprendre que
Tout A1 qualifié de DUR par A2 humain demande un EFFORT à
A2 qui y est affronté ; que cet objet A1 peut être une matière
ou un adversaire et que, selon les cas, A1 résiste à A2
ou A2 résiste à A1. Cette leçon suppose que
seul
le professeur a accès au DFU
et
que le travail est, au moins dans un premier temps essentiellement
oral,
invitant l'apprenant à mobiliser des connaissances qu'il a déjà
de manière plus ou moins passive, de les affiner, et, à
partir de ce qu'il connaît, de se familiariser avec des mots inconnus.
I.
Emplois concrets
1.
Donner des noms de choses A1 pouvant être qualifiées par
les adjectifs
dur,
résistant, inusable, raide, rigide, malléable, mou, moelleux,
tendre, souples, flexibles.
Quels sont les noms abstraits (noms de qualités) correspondant
à ces adjectifs ? Avec lesquels des noms de choses concrètes
emploierez vous de préférence les verbes
user,
casser, briser, rompre, céder, enfoncer, plier, plisser, froisser,
chiffonner
?
Dur
et
solide
sont-ils
synonymes ? Quelles sont leurs relations de sens ? Que signifie la locution
la
résistance
des matériaux
?
2.
Trouver des contextes où
dur
est
péjoratif et des contextes où
dur
est
mélioratif. Trouvez-vous des emplois mélioratifs ou du moins
non péjoratifs de
mou
?
Des emplois péjoratifs ou au moins non mélioratifs de
souple,
tendre, moelleux ? Flexible
est-il
soit péjoratif, soit mélioratif ?
3.
Quels sont les verbes qui permettent de dire que quelque chose de
mou,
ou de
liquide
devient
dur,
que quelque chose de
dur
devient
mou,
ou
liquide,
ou
pâteux
ou
se réduit en
poussière
?
Que quelque chose de
raide
devient
souple
?
Quels sont les verbes qui disent que A2 agit pour obtenir ce résultat
? De quels outils peut-il se servir pour cela ? Employer le verbe
résister
à
propos de matériaux, par exemple dans une séance de bricolage.
4.
Qu'est-ce qui est le plus
dur
? du pain dur ? un œuf dur ? de la pierre tendre ? un métal
malléable
?
Qu'est-ce qui permet au corps humain d'être soit
raide
soit
souple
?
Employer le verbe
fléchir
et
son dérivé
flexion
dans
un contexte de mouvement.
II.
Emplois soit concrets, soit abstraits
-
Construire des phrases commençant par
C'est
dur de
+
infinitif
Qu'est-ce qui se passe en toi quand tu fais un
effort
?
Que signifie être
fort
?
- Est-ce que c'est agréable de faire un
effort
?
Dans quels cas ?
Que veut-on dire quand on emploie des expressions comme
l'escalier
est dur, cet enfant est dur, ce problème est dur
?
III.
Emplois abstraits
-
Reprendre les mots étudiés dans la partie I et essayer de
voir s'ils sont compatibles avec un A1 humain. Imaginer des situations
où ces divers adjectifs ou verbes s'emploient naturellement.
Envisager
un contexte familial où chacun veut obtenir quelque chose des autres,
plus ou moins difficilement, et en employant diverses stratégies.
Que signifient les locutions
avoir
la tête dure ? avoir quelqu'un à l'usure ? des plaisanteries
inusables
?
Une
fois ce vocabulaire bien mis en place, on pourra proposer des exercices
d'expression
écrite
:
Sujets tirés de la pratique de divers métiers : ceux de
la métallurgie - le ferronnier - le tailleur de pierre - Le sculpteur
- Le potier, etc.
Un
monument historique si solide qu'il a traversé les siècles.
Y
a-t-il des moyens de résister à un ouragan, à un
tremblement de terre ?
La
résistance à l'oppression. Quelles qualités cela
demande-t-il ?
À
la guerre, l'attaqué résiste à l'attaquant. Comment
?
Je
veux obtenir de mon père la permission de ... Comment est-ce que
je m'y prends ?
Une personne rigide vit avec une personne souple ; leurs portraits contrastés
et leurs relations.
On
pourra aussi, à l'aide de ce vocabulaire,
commenter
des textes
qui
s'y prêtent particulièrement pour l'un ou l'autre de leurs
aspects, comme
Le
chêne et le roseau
de
La Fontaine,
Antigone,
d'Anouilh
ou
de Sophocle,
Horace,
de Corneille, etc.
La
question 1. permet de montrer l'étroite relation sémantique
qui existe entre la catégorie verbe et la catégorie adjectif
et de travailler les différences d'emplois entre parasynonymes,
et la dérivation (nominalisations d'adjectifs). Dans la première
partie, la question 2. permet de montrer qu'une même situation peut
être qualifiée de façon péjorative ou méliorative
au gré du locuteur selon le mot qu'il choisit d'employer. La question
3. permet de construire des verbes dérivés d'adjectifs et
de manipuler les actants dont l'usage symbolisé par des A numérotés
est une des principales originalités de notre dictionnaire, qui
nous permet d'éviter au maximum le jargon des linguistes. La question
4 permet de montrer que la qualité exprimée par un adjectif
n'est pas un absolu mais n'a de sens que rapportée à des
objets comparables.
La
partie II introduit le schéma syntaxique
c'est
dur
pour
A2 de faire A1 qui met l'accent sur la relation entre la notion de dureté
et celle de force et d'effort. Elle permet de prendre conscience de la
relation entre l'actant A1, concret ou abstrait, et l'actant humain A2
qui le prend pour objet de son action et qualifie de
dur.
Enfin
la partie III permet de travailler la métaphore de la dureté
attribuée à des objets qui ne provoquent pas chez A2 des
sensations mais des sentiments.
Tous
les faits linguistiques ci-dessus : dérivation, jeu des parasynonymes,
péjoration et mélioration, schémas syntaxiques, polysémies,
métaphores, sont des objets d'étude hautement recommandés
par les
instructions
officielles.
Reste que dans son ensemble, la leçon en question risque de ne
pas être acceptée sans réticences. Elle est d'une
espèce non prévue dans ces instructions et risque d'être
confondue à première vue avec une autre méthode dont
elles parlent de façon assez restrictive. Je recopie par petits
paragraphes le passage en question et je le commente au fur et à
mesure.
«
L'approche thématique du lexique, traditionnellement pratiquée
reste envisageable : elle consiste à regrouper les mots d'un champ
lexical autour d'un thème (la montagne, la ville, l'amitié,
la colère) et parfois à les classer selon des formes d'organisation
diverses (les variations d'intensité de la colère, par exemple,
de la simple irritation à l'exaspération, de celle-ci à
la fureur ou à la rage ; de même pour la peur, ou pour la
lexicalisation des autres passions) »
Première
remarque : Notre approche n'est pas thématique. Bien au contraire
! Elle ne part pas d'une réalité extra-linguistique pour
en nommer les différents éléments. Elle part de l'analyse
sémantique d'un mot de très haute fréquence auquel
nous rattachons, par le biais des dérivations, des isotopies, des
synonymies et des antonymies un nombre considérable de mots de
moyenne fréquence. Notre questionnement n'est pas "Comment
s'appelle telle chose ? Quelle étiquette lui coller?" mais
"De quelles choses puis-je parler avec cette machine sémantique
plurifonctionnelle qu'est un mot polysémique?" Notre démarche
n'est pas encyclopédique, elle est linguistique, et il y a fort
à parier qu'une méthode d'enseignement par "thèmes"
n'aurait pas songé à choisir un "thème de la
dureté".
«
Ce travail, toutefois, pour être bénéfique, doit être
mené en relation avec la lecture et l'observation des textes, lorsqu'on
y explore un champ sémantique. Il passe alors par une activité
de recherche qui amène à effectuer des relevés, à
établir des réseaux (isotopies) et à les analyser.
»
Je
conteste ce principe. Jamais un texte ne fournit un réseau sémantique
complet et organisé. Si l'on s'en était tenu, dans le
Loup
et l'Agneau,
aux mots employés par La Fontaine, on n'aurait pu relever, en fait
de mots relatifs à la
raison
que
donc,
par
conséquent, comment
et
si.
De plus, les exemples fournis par un texte littéraire sont souvent
subtils, n'utilisant que des mots relativement rares et ne permettent
pas d'accéder directement aux faits sémantiques fondamentaux.
Enfin, les mots d'un texte ne sont, comme il est normal, employés
que dans une seule de leurs acceptions, ce qui rend impossible ou artificielle
l'étude des polysémies.
J'insiste
pour qu'un réseau sémantique soit étudié pour
lui-même, en relation ou non avec un texte, mais sans qu'on se rende
esclave du texte.
Ceci dit, une étude de réseau lexical peut conduire à
chercher des exemples dans des textes étudiés par ailleurs.
Il est certain que dans le
Chêne
et
le
Roseau
(encore
La Fontaine), l'un des deux personnages est dur et solide et l'autre souple,
mais que le plus résistant des deux n'est pas celui qu'on pense.
La littérature fournit des exemples de personnages rigides :
Horace,
Antigone,
etc.
Tout cela peut être cité à l'occasion.
«
Il conduit ensuite à des formes de réemploi immédiates
ou différées (suivant en cela une démarche inductive)
c'est à dire à des productions écrites ou orales
s'intégrant à la séquence.»
Entièrement
d'accord ! Toutes nos leçons commencent par des dialogues entre
professeur et élève et se terminent par des propositions
d'expression écrite.
«
Cette approche thématique du lexique paraît en revanche très
contestable lorsque, coupée de toute réalisation textuelle,
et rapportée aux seuls univers d'expérience, elle entraine
l'élaboration de simples listes de mots à mémoriser
en dehors de tout contexte. La signification lexicale est une signification
contextuelle.»
Je
conteste ! Ce n'est pas parce qu'elle est "rapportée aux seuls
univers d'expérience" qu'elle entraine l'élaboration
de simples listes de mots. C'est parce que les gens qui la pratiquent
manquent d'imagination. Notre approche non thématique, mais sans
référence à un texte littéraire particulier,
nous permet de forger des contextes simples et clairs en nombre suffisant
pour rendre compte des polysémies et des emplois particuliers à
chaque mot étudié.
«
seule l'extension du contexte permet de lever bien souvent les ambigüités
et de réduire la polysémie, aussi bien en situation de réception
(lecture ou écoute) que de production écrite. L'analyse
lexicale ne peut donc rester centrée sur le mot isolé. »
C'est
bien évident, et c'est pourquoi nous fournissons d'abondants contextes.
«
L'apprentissage thématique du lexique pose dans tous les cas le
problème du choix. (Quels thèmes étudier prioritairement
?) et de la cohérence (Comment passer d'un thème à
l'autre ? Quels transferts possibles chez l'élève ?) Il
est donc impossible d'en rester à l'étude d'ensembles thématiques
successifs. »
On
pourrait en dire autant de nos réseaux. À cela, je peux
répondre que 442 n'est pas un nombre astronomique et qu'on pourrait
très bien envisager, comme dans d'autres matières, un programme
et une progression. Et que le passage d'un thème à l'autre
est extrêmement facilité par tout un système de renvois,
particulièrement souple pour les utilisateurs du cédérom.
Ainsi, de l'article RAISON, on est renvoyé à ANALYSER, EXPLIQUER,
CAUSE, EFFET, CONSÉQUENCE, RAPPORT, etc. De l'article DUR, on est
renvoyé à APPUYER, RÉSISTER, EFFORT, ENFONCER, DÉFORMER,
DIFFICILE, etc. Il ne serait pas impossible de constituer quelques réseaux
de réseaux et de les attribuer à telle ou telle classe.
Proposons
maintenant un
troisième
type de leçon
qui
ne peut être pratiqué qu'occasionnellement, en classe, avec
des élèves qui auraient le dictionnaire entre les mains
ou qui auraient la chance de bénéficier d'un cédérom
en réseau, ou bien qui pourrait faire l'objet d'une recherche aboutissant
à un exposé, menée par un petit groupe d'élèves
qui auraient à leur disposition non seulement le DFU, mais le
Dictionnaire
Étymologique du français
de
Jacqueline Picoche, le
Petit
Robert,
et
le
Dictionnaire
Historique de la langue française
d'Alain
Rey. Nous l'avons appelé "Une grappe de mots autour d'une
difficulté." En effet, selon les statistiques d'Étienne
Brunet, parmi les 15000 mots que signale l'index du DFU, 613, qui servent
d'entrée à nos articles, sont des "hyperfréquents"
: ils dépassent la fréquence 7000 dans le corpus du
Trésor
de la Langue Française,
et, augmentés de quelques 150 mots grammaticaux, couvrent 90% de
ce corpus. Environ 5800, de fréquence supérieure à
500, couvrent 8% du même corpus. Restent environ 8500 vocables sélectionnés
parmi les 60000, sans fréquence significative, qui couvrent 2%
du corpus. Certains d'entre eux sont relativement rares et peuvent être
ignorés ou mal interprétés par un apprenant en tous
cas incapable, au départ, de les utiliser.
Nous
avons traité ainsi AUTHENTIQUE, COLLATÉRAL, ATYPIQUE, S'INGÉRER,
TRANSCENDANT et LAXISTE. Nous ne voulons pas en donner une sèche
définition, dont les termes abstraits risqueraient de déconcerter
davantage l'apprenant, mais de faire vivre ces mots grâce à
des contextes variés suggérant des situations d'emploi particulières
et rendant sensibles les niveaux de langue. Nous allons donner ci-dessous
une idée de la marche à suivre.
Ci-dessous
un dialogue théorique enseignant (en romain) - enseigné
(en italiques) concernant le mot TRANSCENDANT, trouvé dans un contexte
relatif à la musique, qui nous donne l'occasion d'un bon exercice
de morphologie lexicale :
«
Cherchez TRANSCENDANT dans l'index Il y est en compagnie de TRANSCENDER
avec un renvoi à
HAUT
ET
BAS
et
à
DIEU.
Dans ces deux articles, nous apprenons que les monothéistes pensent
que Dieu est
transcendant
parce
qu'il est "au-dessus" de sa création qu'il
transcende.
Mais nous ne trouvons pas les autres emplois de ce mot, notamment celui
qui nous occupe. Cherchons donc autrement. Voyez-vous dans cet index d'autres
mots, en particulier d'autres verbes commençant par ce préfixe
TRANS- ?
Oui,
beaucoup
!
Relevez ceux qui se composent de
trans-
+ un mot que vous connaissez.
Transatlantique,
transalpin, transporter, transmettre, transfigurer, transformer etc.
- D'après le sens de ces mots, que signifie le préfixe TRANS
? Il
signifie qu'on va au-delà de quelque chose, qu'on passe à
autre chose.
Le
verbe TRANSCENDER fait partie des composés de trans- + une base
que vous ne connaissez pas
(ex.
transiter, transfuser, transgresser...)
Allez
maintenant dans le moteur de recherche et inscrivez dans le rectangle
*scend* Quelle est la réponse ?
Renvoi
à 62 articles
!
Parmi ces 62, voyez-vous un titre d'article où apparaît la
base
scend
?
Oui,
MONTER ET DESCENDRE
Nous
nous contenterons de celui-là. Inutile d'ouvrir les autres. Le
professeur fait repérer, dès la première ligne de
l'article, la base savante -ASCENS- écrite en caractères
gras et explique (éventuellement à l'aide du Dictionnaire
étymologique de J. Picoche) que - SCENS- est une variante de -
SCEND. Il fait trouver 1. l'ASCENSEUR et l'ASCENSION et 2. DESCENDRE d'un
ancêtre, REMONTER jusqu'à cet ancêtre, ce qui conduit
à ouvrir FAMILLE où se trouvent les ASCENDANTS et les DESCENDANTS.
Donc
que signifie cette base SCEND ? Elle signifie
MONTER
et
DESCENDRE
-
Oui, mais vous remarquerez qu'il n'existe pas de *DESCENSEUR ni de *DESCENSION.
L'idée dominante est celle de MONTER, celle de DESCENDRE est secondaire,
construite par opposition. Et l'article HAUT ET BAS, partie IV, ouvert
tout à l'heure, vous explique pourquoi le haut symbolise le bien
et le bas le mal. Vous voyez que rien qu'en analysant comment est formé
ce mot savant, on peut comprendre que son sens est "Passer plus haut,
en montant". Mais seulement au sens figuré. Vous ne pouvez
pas dire que vous *transcendez
le 3e étage de votre immeuble
en
passant au quatrième. Mais, en parlant d'un virtuose, vous pouvez
dire qu'il est
transcendant
parce
qu'il joue beaucoup mieux que n'importe quel autre interprète,
d'une manière extraordinaire, que son jeu a quelque chose de divin.
L'adjectif
transcendant
a
encore d'autres emplois. On pourra en faire une moisson complète
dans les deux dictionnaires Robert.
L'étude
de AUTHENTIQUE, concurrent spécialisé de VRAI, nous emmène,
par le biais des exemples du DFU, dans un magasin d'antiquités,
dans une étude de notaire, devant un tribunal, et fait surgir les
personnages de l'EXPERT et du FAUSSAIRE. Elle nous fait réfléchir
sur le fait que non seulement une proposition peut être dite
vraie
mais
aussi une objet concret, selon qu'il est conforme ou non à ce qu'on
dit de lui, et que c'est dans ce cas, important, pouvant avoir des conséquences
juridiques et financières, qu'intervient le synonyme
authentique.
Passons
au cas de LAXISTE. L'index nous dirige vers trois articles : LAISSER,
MORAL, et PEINE, où nous trouvons des renvois à PERMETTRE
et à EMPECHER. Les exemples de laxiste figurant dans ces cinq articles
nous permettent déjà de caractériser le A1 humain
laxiste à l'égard d'un certain type de A2 humain, comme
une relation de supérieur à subordonné, le premier
n'usant pas de son autorité à l'égard du second comme
il pourrait et même devrait le faire.
On
utilise ensuite le moteur de recherche (ou plus simplement le dictionnaire
étymologique de J. Picoche) pour trouver d'autres mots français
formés sur la base LAX- évidemment savante, calquée
sur l'étymon de LAISSER (LAXATIF, RELAXER, RELAXE, RELAXATION)
et on constate que cette base savante a un équivalent populaire
: LACH-, ce qui permet de gloser sur les relations entre le laxisme, la
LACHETÉ, le RELACHEMENT.
Le
Petit Robert nous révèle que
laxisme
et
laxiste
ne
sont apparus qu'au XXe s. (respectivement 1912 et 1914). Comment disait-on
ça autrefois ? COULANT ? FACILE ? MOU ? INDULGENT ? En langage
familier, (une bonne) POIRE ? Mais au XXe s. on parle des choses de façon
objective, sans connotation morale ni jugement de valeur, donc il faut
des mots intellectuels, savants et neutres.
Grâce
au Dictionnaire historique d'Alain Rey, on apprend que ces deux néologismes
sont nés en contexte théologique pour désigner des
doctrines préconisant une TOLÉRANCE excessive, et se sont
répandus (il ne dit pas par quels canaux) dans le langage courant.
Dès le collège on peut introduire quelques réflexions
sur ce qui est
tolérable
ou
intolérable.
Où s'arrête la
tolérance
et
où commence le
laxisme
?
Selon le point de vue du locuteur, une même attitude ne peut-elle
pas être qualifiée de
tolérante
ou
de
laxiste
?
Et qui sait si, plus tard, l'apprenant, se souvenant de cette modeste
leçon, n'aura pas l'idée d'entreprendre une thèse
qui s'intitulerait "LAXISME ET TOLÉRANCE" dans un corpus
de textes du XXe s." ?
Nous
ne prétendons pas avoir le monopole des approches, mais nous pensons
que nos réseaux en intègrent déjà un nombre
considérable et qu'aucune autre, prise isolément, ne "structurera"
davantage et de façon plus naturelle le lexique. Les structures
auxquelles nous aboutissons, sans être les seules possibles, car
on peut privilégier, dans un réseau, une organisation ou
une autre, font partie des structures mêmes de la pensée
telle qu'elle se trouve préformée par la langue française.
En donnant, dans l'apprentissage de la langue, une place essentielle au
vocabulaire, selon une méthode fondamentalement linguistique, on
enseigne non seulement à parler, mais à se penser soi-même,
et à se situer dans le monde, et à s'intégrer à
la société qui a, au cours des siècles, élaboré
cette langue.
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du français usuel
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15000 mots utiles en 442 articles - Bruxelles - Duculot - De Boeck, Version
cédérom et possibilité de cédérom en
réseau. Diffusion pour la France : De Boeck
Diffusion,
7 rue Jacquemont, 75017 Paris - Pour le monde entier : Accès, Fond
Jean Pâques 4 - B1348 Louvain la Neuve.
REY
A. (1992)
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TRÉVILLE
M.-C. DUQUETTE L. (1996),
Enseigner
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Qu'apprend-on
à l'école élémentaire, les nouveaux programmes
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Enseigner
au collège, Français, Programmes et accompagnement
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CNDP - Paris, 2002.
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