Molière,
dans le Bourgeois Gentilhomme nous donne successivement deux exemples
différents de "reformulation".
Monsieur Jourdain
voudrait "mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux
me font mourir d'amour !". Mais il voudrait "que cela
fût mis d'une manière galante ; que cela fût tourné
gentiment".
La première
reformulation, improvisée par le "maitre de philosophie"
consiste en une paraphrase plus longue que le texte de base, qui en développe
les différents éléments. Il propose de "mettre
que les feux de ses yeux réduisent votre coeur en cendres ; que
vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un ... "
Mais cela ne convient pas à Monsieur Jourdain : "Non,
non, non, je ne veux point tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai
dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Le
maître de philosophie objecte qu' "il faut bien étendre
un peu la chose", mais Monsieur Jourdain insiste : "Non,
vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet
; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il
faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières
dont on les peut mettre".
Le
maître de philosophie, devant tant d'entêtement, propose donc,
en un second temps, une série de paraphrases consistant en un simple
changement de l'ordre des mots de la phrase de départ : "On
les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle Marquise,
vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien : D'amour mourir
me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux
d'amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux
yeux, belle Marquise, d'amour me font. Ou bien : Me font vos yeux
beaux mourir, belle Marquise, d'amour. " - Mais de toutes ces
façons-là, laquelle est la meilleure?" demande Monsieur
Jourdain. "Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux
yeux me font mourir d'amour. "
À
vrai dire, il n'est pas toujours risible de reformuler un texte en se
contentant de changer l'ordre des mots. Nous en donnerons ci-dessous quelques
exemples
REFORMULATIONS
PAR SIMPLE CHANGEMENT DE L'ORDRE DES MOTS
Monsieur
Jourdain, par la plume de Molière, aurait pu, sans ridicule, écrire
"D'amour, belle marquise, vos beaux yeux me font mourir"
en focalisant fortement sur le sentiment. Mais non ! Ce qui l'intéressait,
c'était le rang social !
En
effet, ce type de reformulation, peut changer la relation thème
- rhème, et entrainer une orientation nouvelle du discours comme
dans l'exemple suivant :
Dans
la Rome antique, deux consuls se partageaient le pouvoir.
Je mets en position de thème un
certain type de civilisation et on pourrait attendre une suite telle que Mais dans la France médiévale etc.
Si
je dis Deux consuls se partageaient le pouvoir dans la Rome antique,
je thématise les détenteurs du pouvoir et on pourrait attendre
des suites comme Mais leur mandat était limité à
un an... ou Le prêteur, lui, était chargé de
la justice
Le
passage d'une phrase à l'actif à une phrase au passif est
un type de reformulation sans changement du stock lexical : La
loi a été votée par 123 députés sur
200 équivaut à peu près à 123 députés
sur 200 ont voté la loi, moyennant un changement du rapport
thème-rhème semblable à celui de l'exemple précédent.
Mais
la tournure passive permet de faire l'économie de l'expression
de l'agent et de dire simplement La loi a été votée si c'est l'essentiel de l'information, et si on s'attendait à
ce qu'elle ne le soit pas.
D'autre
part, il existe des "substituts du passif" commodes dans des
cas où l'actif, mais aussi le passif grammaticalement attendu serait
peu naturel. C'est le cas lorsque l'agent est un personnage collectif
un peu vague, un on, les gens, la société, et lorsque
le verbe, à l'actif, a deux compléments d'objet, un direct
et un indirect. Dans ce cas, l'auxiliaire avoir peut suppléer
l'auxiliaire être : Louis XVI a eu la tête tranchée est plus naturel que On a tranché la tête à/de
Louis XVI et que La tête de Louis XVI a été
tranchée. Il est évident que dans ce cas, l'intérêt
est de mettre en valeur la personne de la victime.
Mais
il y a des cas ou l'agent, l'objet 1 et l'objet 2 sont d'importance pratiquement
égale et où le locuteur a le choix de la focalisation, donc
de l'ordre des mots, donc de formuler sa phrase à l'actif, au passif
où par une tournure pronominale, grâce à un emploi
subduit, grammaticalisé, du verbe voir : Le préfet
a remis la légion d'honneur à Monsieur le Maire peut
être aussi bien reformulé par La légion d'honneur
a été remise à Monsieur le Maire par le préfet, que par Monsieur le Maire s'est vu remettre la légion d'honneur
par le préfet.
Le
sujet on est tout à fait utilisable dans des énoncés
d'un certaine banalité, mais il ne peut pas servir de complément
d'agent à un verbe passif On a retiré au chauffard son
permis de conduire est parfaitement naturel. Mais si je veux prendre
pour thème le chauffard, je suis obligée de dire (ou plutôt
d'écrire, car la formule est plus recherchée) Le chauffard
s'est vu retirer son permis de conduire.
On
peut citer encore un emploi du verbe faire comme auxiliaire de
mise au passif, propre à la langue familière. Supposons
qu'un camion a renversé un piéton. Au passif : un piéton a été renversé par un camion.
Mais nous entendrons facilement dans la conversation : Un piéton
s'est fait renverser par un camion. Ce malheureux piéton
avait-il une part de responsabilité dans l'accident ?
Inattention ? Traversée à un endroit interdit ?
Cherchait-il à se suicider ? Possible, mais pas certain. Bien
souvent, cette formule est un pur et simple substitut du passif.
Ce
premier type de reformulation, particulièrement simple et économique,
a donc l'intérêt de permettre des variations dans la mise
en valeur de tel ou tel élément de la phrase de départ,
et d'orienter dans un sens ou un autre la suite du discours. C'est un
caractère fondamental qu'il partage, comme nous le verrons, avec
d'autres types qui jouent eux aussi du rôle dans la phrase des différents
actants d'un verbe. Mais il ne peut enrichir en rien le vocabulaire de
l'apprenant.
Il
est clair que d'une façon générale, reformuler un
énoncé donné, c'est dire
la même chose avec d'autres mots.
La
même chose ? Exactement la même chose, vraiment ?
C'est ce que nous verrons en envisageant successivement
-
La
reformulation au moyen de dérivés
-
La
reformulation au moyen de synonymes
-
La
reformulation au moyen de paraphrases
L'intérêt
pédagogique de la reformulation est qu'elle permet à la
fois de travailler la syntaxe, de confronter des parasynonymes, d'exploiter
des métaphores, et de donner ainsi à l'apprenant le moyen
d'assouplir et de varier sa manière de s'exprimer. C'est en somme
un premier exercice de style.
Dans
d'autres travaux, notamment dans le dictionnaire d'apprentissage
de Jacqueline PICOCHE et Jean-Claude ROLLAND, intitulé Dictionnaire
du français usuel - 15000 mots utiles en 442 articles paru à Bruxelles chez Duculot - De Boeck en 2002 les
actants sont représentés par des symboles vides (A numérotés).
On trouvera la justification de ce procédé dans la préface
de cet ouvrage, accessible sur le site internet http://jpicochelinguistique.free.fr
Toutefois,
pour rendre la lecture de cet article plus agréable, nous recourrons,
à propos d'actants humains à deux prénoms aussi "vides"
que des numéros : un prénom masculin Léo et un prénom féminin Léa (empruntés
à une méthode d'apprentissage de la lecture, récente
et déjà célèbre).
REFORMULATIONS
AU MOYEN DE DÉRIVÉS
Il
s'agit de faire travailler l'apprenant sur les "familles" morpho
-sémantiques où un lexème produit des mots de différentes
catégories grammaticales, avec différents effets de sens,
par le jeu des préfixes et des suffixes. Des règles de dérivation
relativement simples permettent de passer du verbe réparer
aux dérivés réparation
(nom d'action), réparateur
(nom d'agent) à
l'adjectif réparable,
et à son antonyme irréparable
ou du nom courage à
l'adjectif courageux et
à l'adverbe courageusement.
Certains
noms sont dérivés de verbes : bricolage de bricoler, certains verbes sont dérivés de noms : chagriner de chagrin. Certains adjectifs sont dérivés de noms : honteux de honte. Certains noms sont dérivés
d'adjectifs : blancheur de blanc. Peu importe au locuteur
qui se livre aux joies de la reformulation.
Mais
tout n'est pas aussi simple, et il y a des cas où un petit travail
de mémorisation est nécessaire. Par exemple, nouer a
pour dérivé nœœud, aboutissement en français
d'un ancien dérivé latin. Dormir et sommeil, tomber et chute, qui n'ont aucun lien étymologique,
fonctionnent exactement, au point de vue sémantique et syntaxique
comme des couples mot de base / dérivé.
Il
faut aussi prendre l'habitude de jouer des lexèmes savants sur
lesquels sont formés les dérivés de mots de base
populaire. Ainsi, les dérivés de eau et de feu,
tous formés sur des bases savantes ayant avec eux un rapport étymologique plus
ou moins étroit : aqu-, hydr-, ign- etc.
Les
dérivés étant d'une autre catégorie grammaticale
que le mot de base, leur emploi oblige à reconstruire complètement
la phrase de base ce qui constitue un excellent exercice de syntaxe en
même temps que de sémantique. C'est particulièrement
intéressant dans le cas de noms dérivés de verbes,
qui peuvent occuper dans la phrase toutes les places réservées
à un nom et, en même temps, conserver les compléments
du verbe, si le locuteur l'estime utile. Supposons que Léo pratique
le saut à la perche. Léo a sauté trois mètres ;
tous ses camarades en ont été étonnés se reformule très naturellement en Léo a fait un saut
de trois mètres ; tous ses camarades en ont été
étonnés. D'où la possibilité de dire Le
saut de Léo a étonné tous ses camarades. Ou bien Léo a étonné tous ses camarades par un saut de
trois mètres ou bien Tu as vu le saut de Léo ?
Trois mètres !
Bien
entendu, on retrouve, dans ce type de reformulations, les mêmes
différences dans le rapport thème-rhème que dans
le type précédent.
Reformulations
fondées sur la relation nom/adjectif
Dans
ce cas, il y a un jeu entre les verbes être et avoir qui
assurent le passage du nom de qualité à l'adjectif et vice-versa.
On
annonce une grande nouvelle : Léa s'apprête à
traverser l'Atlantique en solitaire. Le commentaire Elle est courageuse laisse entendre que c'est chez elle une disposition permanente et
la suite pourrait être Ça ne m'étonne pas d'elle.
Le
commentaire Elle a du courage est ambigu. Il peut être interprété
exactement comme le précédent ou bien signifier que c'est
la révélation ponctuelle de cette qualité.
Si
je veux préciser la deuxième interprétation, je devrai
dire elle a le courage d'entreprendre cette traversée auquel
cas le commentaire pourrait être Ça m'étonne d'elle !
ou Eh ! bien, je l'admire.
Léo
a des rhumatismes est ambigu. Il en a d'ordinaire ou pour une fois ?
Si je veux privilégier un état habituel je devrai dire Léo
est rhumatisant. Si je veux parler d'un état passager il faudra
que je précise l'articulation où il a mal aujourd'hui ou
que j'introduise le mot crise : Il a des rhumatismes aux
deux genoux ou bien il a une crise de rhumatismes.
Mais
l'opposition duratif / ponctuel ne fonctionne pas toujours : Léo
a la grippe
et Léo
est grippé sont
exactement équivalents, la grippe n'ayant pas de forme chronique.
Et
le jeu nom / adjectif n'est pas possible dans tous les cas, selon, par
exemple que l'adjectif a pour support un nom catégorisé
"humain" ou un nom catégorisé "non humain"
(concret ou abstrait).
Léo,
artisan, n'a pas fait payer une petite réparation à sa vieille
voisine Ursule. Commentaire Il est trop bon, Ursule est moins pauvre
qu'elle n'en a l'air. Reformulation : Il est d'une bonté
excessive, il pousse la bonté trop loin.
Mais Ce vin est très bon, je l'apprécie ne peut
pas se reformuler en *J'apprécie la grande bonté de ce
vin. Il faudra que je trouve un synonyme pour cette *grande bonté,
par exemple J'apprécie l'excellente qualité de ce vin.
Reformulations
fondées sur la relation verbe / nom
Il
existe en français un grand nombre de noms d'action ou d'état
dérivés de verbes, qui ont besoin, pour fonctionner dans
la phrase de verbes très usuels, qui ne conservent dans ce type
d'emploi, qu'une faible partie de leur sémantisme et qui forment
avec eux des locutions plus ou moins synonymes du verbe de base. On appelle
de tels verbes des "verbes opérateurs" ou "verbes
supports". Le plus fréquent est faire qui s'associe
avec toutes sortes de noms (Marcher, faire de la marche). Donner, (Alerter, donner l'alerte) prendre (Succéder,
prendre la succession), mettre (embarrasser, mettre dans
l'embarras) ont aussi leur importance. Certains, très spécifiques,
comme commettre (un crime, une faute) ou accomplir (une
tâche un devoir) ne s'associent qu'avec un tout petit nombre
de noms.
La
plupart des noms ne s'associent qu'avec un seul support, mais quelques-uns
en acceptent plusieurs : Léa se promène peut
se reformuler : Léa fait une promenade / est en
promenade.
Il
y a dans certains cas un rapport de réciprocité entre les
verbes supports :
Léo
a giflé Léa peut se reformuler en Léo a donné
une gifle à Léa et Léa a reçu une gifle
de Léo. Et le locuteur pourra trouver commode de supprimer
l'expression de l'agent et de dire simplement Léa a reçu
une gifle.
Différents
supports peuvent signifier différentes étapes d'un processus.
Exemple : L'armée
contrôle l'aéroport,
reformulé
en L'armée
prend / a / perd le contrôle de l'aéroport. Même
cas pour ordonner
de + infinitif
reformulé en donner
l'ordre, recevoir l'ordre, avoir l'ordre de
+ inf.
L'opposition
duratif / ponctuel fonctionne ici tout aussi bien que dans le cas précédent. Léa
dessine est
ambigu, si aucun complément d'objet n'apparaît. Est-elle
dessinatrice ou fait-elle en ce moment un dessin ? Un simple changement
d'article devant le nom dérivé suffit à lever l'ambigüité.
Si je dis Elle
fait du dessin,
c'est une occupation habituelle, voire professionnelle. Si je dis Elle
fait un dessin,
c'est une action ponctuelle. Ah ! ces "petits mots", qui
n'ont l'air de rien, quelle efficacité !
Je
peux même, dans le cas d'un verbe dérivé d'un nom
d'instrument, raffiner en utilisant la locution un
coup de
et
opposer Léa
balaie la salle de séjour / fait un bon balayage de la salle de
séjour, donne un coup de balai à la salle de séjour.
De même on peut opposer peigner,
brosser
à donner
un coup de peigne, de brosse, marteler à donner
un coup de marteau.
Une
autre opposition importante est la différence de niveau de langue
qui résulte de l'emploi du nom dérivé.
Léo
est tombé dans son escalier vous annonce, tout émue,
la femme de ménage ! Reformulation : Léo a
fait une chute dans son escalier. Pas de doute ! vous êtes
dans le cabinet du médecin.
La
chose est plus nette encore quand on ajoute un adjectif dérivé et
l'emploi d'un verbe opérateur n'est pas toujours indispensable
: Léo et Léa expliquent leur projet à des amis sous
une forme orale parfaitement naturelle : On va construire notre
maison. On a le droit de la construire sur notre terrain. Ça va
couter cher. Reformulation : Nous envisageons la construction
de notre maison sur notre terrain qui est constructible. Le cout de cette
construction sera élevé. Pas de doute ! Ils écrivent
à l'administration compétente pour obtenir un permis de
construire, ou à leur banque pour obtenir un prêt.
Dans
de nombreux cas, la reformulation par le nom dérivé que
ce soit d'un adjectif ou d'un verbe, donne à l'énoncé
quelque chose d'intellectuel, de savant, d'officiel, éventuellement,
selon la circonstance, d'un peu prétentieux.
REFORMULATIONS
AU MOYEN DE SYNONYMES
Les
vrais synonymes, substituables les uns aux autres sans aucune différence
de sens sont des oiseaux très rares. Mais de nombreux "parasynonymes"
peuvent se substituer sans changer fondamentalement le sens de l'énoncé.
Ils peuvent le rendre plus précis ou plus vague, changer son niveau
de langue ou impliquer un jugement, un autre point de vue sur son contenu,
le moins marqué jouant le rôle d'hypéronyme et les
autres celui d'hyponymes.
Synonymes
jouant sur différents degrés de précision :
Il
s'agit surtout de noms ayant entre eux un "genre commun" et
quelques "différences spécifiques". Ils constituent
des "paradigmes" d'unités plus ou moins nombreuses qui
nous aident à structurer notre vision de la réalité
et sont enregistrés tout prêts à l'usage, au fond
de notre mémoire.
On
apprend à des chiens à guider les aveugles, dit Léa.
- Oui, répond Léo surtout des Labradors; ce sont les chiens
les plus aptes à ce dressage.
Combien
coutent ces deux fauteuils, demande Léo à l'antiquaire ? Réponse : La bergère coute 5000 euros ;
le cabriolet n'en coute que 2000.
Léo
parle comme tout le monde. L'antiquaire parle en spécialiste de
l'ameublement.
Tous
les vocabulaires techniques comportent - et pas seulement dans la catégorie
"noms" - différents niveaux de précision.
Synonymes
jouant sur le niveau de langue :
C'est
un lieu commun de dire qu'on n'écrit pas comme on parle, qu'on
ne parle pas de la même façon dans toutes les situations,
et que même dans une situation donnée, des choix sont possibles.
Apprenant
la triste nouvelle Léa s'est mise à pleurer. Si
je substitue chialer à pleurer,
je parle "vulgaire". Si je dis Léa
a fondu en larmes
je
m'exprime d'une façon plus recherchée, outre que j'insiste
sur la violence du phénomène.
Sortez,
Monsieur est
le cri de la vertu indignée. Casse-toi,
salaud la
conclusion d'une dispute entre voyous.
Léo
est content : Le
déjeuner était bon, Léa - Bravo, Léa, s'exclament
les copains, c'était
une bonne bouffe ! -
Un invité important venu pour un déjeuner d'affaires dit,
en prenant congé, Merci,
chère Madame, de cet excellent repas.
On
peut faire entrer dans cette catégorie l'opposition entre archaïsmes
et néologismes. Lorsque vous vous armez d'une boite de cirage
et d'une brosse, est-ce pour cirer vos chaussures ou vos souliers ?
Si c'est le mot soulier qui vous vient spontanément à
l'esprit, vous devez être d'un âge certain. Car enfin, le
marchand de chaussures, c'est bien des chaussures qu'il vous
vend et pas des souliers. Le mot soulier tend à se
cantonner dans des emplois spéciaux ou métaphoriques. Traditionnellement,
les enfants, la veille de Noël, mettent devant la cheminée
ou près du sapin leurs petits souliers, et vous direz peut-être
à un solliciteur maladroit Je te vois venir, avec tes gros souliers. Et si une conversation vous a mis mal à l'aise, vous a fait souffrir
comme des chaussures trop étroites, vous pourrez raconter la chose
en disant J'étais dans mes petits souliers !
Si
Léo et Léa ont fréquenté tardivement une de
ces "boites" où l'on danse et où l'on boit, à
moins qu'on ne fume, dans une sono assourdissante et des lumières
colorées, leur grand-mère dira Les jeunes ont fait la
java toute la nuit et les petits-enfants On s'est éclatés
toute la nuit.
Synonymes
exprimant des points de vue différents sur la réalité
Soit
la phrase de base : Léo regarde Léa. Il y a
bien des manières de "regarder" un être vivant
et il peut y avoir intérêt à préciser :
Léo
contemple Léa : "profondément amoureux, il
est en admiration devant sa beauté, sa grâce, l'expression
de son visage".
Léo
examine Léa : "Léo est médecin et Léa
est sa patiente".
Léo
dévisage Léa : "Le visage de cette dame lui
dit quelque chose ; il l'a peut-être connue autrefois ;
il cherche à la reconnaître". Ou bien, "il cherche
à lire sur son visage quelque chose de ses sentiments".
Léo
surveille Léa : "il la regarde agir, de peur qu'elle
ne fasse quelque bêtise".
Léo
observe Léa : "Il la regarde agir afin de pouvoir
tirer une conclusion, un enseignement, de son comportement".
Léo
fixe Léa : "Il la regarde assez longtemps sans détourner
les yeux. Dans quelle intention ? Pour qu'elle s'en aperçoive ?
C'est un muet reproche ? une muette invitation ?"
Soit
la phrase de base : Léo
est mort.
Il y a bien des manières de parler de la mort d'un être humain,
même sans recourir au riche vocabulaire de l'argot en ce domaine :
Léo
est décédé : "formule administrative".
Léo
s'est éteint : "tout
doucement, en perdant ses forces, comme une bougie en fin de combustion".
Léo
nous a quittés " : Il est parti. Pour un monde meilleur ?
Adieu, Léo".
Léo
a disparu : "Il n'est plus parmi nous. Il nous manque..."
Supposons
maintenant qu'il soit mort de mort violente. Les choses se corsent !
Léo
a été enlevé par des terroristes ; ils l'ont
assassiné : "Ce sont des criminels. Léo défendait
la démocratie, la justice et le droit".
Léo
a été pris en otage par des résistants. Ils l'ont
exécuté : "Triste nécessité
dans une juste guerre. Après tout, Léo était dans
le camp des méchants..."
Léo
a tenté de s'enfuir, ils l'ont abattu : "simple bavure,
dans le feu de l'action. Ils l'ont abattu comme ils auraient abattu un
animal dangereux".
Selon
que les journalistes racontent l'épisode d'une façon ou
d'une autre, il est clair qu'ils se situent dans un camp ou dans l'autre.
Difficile de rester neutre en pareil cas !
Et
pour parler d'un genre de mort très médiatisé de
nos jours :
Léo
a été euthanasié :
"Un crime ? ou un acte de compassion ? La discussion est
ouverte".
Il
existe un nombre considérable de mots "péjoratifs"
ou "mélioratifs" qui permettent au locuteur d'influer,
sans en avoir l'air, sur l'opinion de son interlocuteur.
Supposons
que Léo dirige une entreprise et y fasse régner une certaine
discipline. Sans la moindre variation dans sa méthode, ses admirateurs
diront Léo est ferme, il fait preuve de fermeté. Et
ses adversaires Léo est dur, sa dureté n'est pas supportable.
Dans le cas contraire, s'il laisse aller les choses, ses admirateurs diront Léo est souple, sa souplesse nous épargne bien des conflits et ses adversaires Léo est mou, sa mollesse engendre une
certaine pagaille. S'ils veulent parler plus savamment, ils diront Léo est laxiste. Et c'est clair, le laxisme, ce n'est
pas bien du tout.
Ajoutons
que dans le cas de différence de niveau de langue, le niveau le
plus bas est souvent péjoratif. Il peut être normal, voir honorable, dans certaines circonstances, de porter un fusil. Mais être muni d'un flingue, c'est forcément louche
et ne peut révéler que de mauvaises intentions...
Tout
cela nous amène à rappeler, aux puristes qui préconisent
d'employer en tout discours "le mot juste", qu'il n'y a pas
un seul mot juste, mais tout un éventail de "mots justes" possibles,
dont la "justesse" dépend de la circonstance dans laquelle
ils sont proférés, et de l'intention avec laquelle le locuteur
les profère.
REFORMULATIONS
AU MOYEN DE PARAPHRASES
Chaque
fois qu'un interlocuteur vous dit en substance "je ne comprends pas
ce que tu veux dire, peux-tu m'expliquer ?" vous lui répondez
nécessairement par une paraphrase de votre énoncé
initial. La paraphrase est comparable à la variation musicale sur
un thème donné. Dans ce domaine le locuteur se sent libre
d'employer les mots qu'il veut, de développer certains points et
d'en omettre d'autres, et de laisser paraître son point de vue personnel.
Pour l'élève, paraphraser un texte est un bon exercice qui
montre qu'il a vraiment compris ce que l'auteur a voulu dire et permet
de mettre en valeur son propre style.
Nous
ne choisirons pas ici de paraphraser un texte littéraire, mais
nous nous paraphraserons nous-même en exploitant le riche réseau
lexical du verbe suivre au moyen du meilleur exemple que nous avons
pu trouver : celui du défilé du 14 juillet.
Donc,
les citoyens, badauds et touristes qui se pressaient le 14 juillet 2006
derrière les barrières de sécurité, ont vu
passer, de l'Arc de Triomphe à la Concorde, 1. le Président
Chirac debout dans une voiture blindée, en compagnie de quelques
généraux, 2. la Garde Républicaine à cheval,
3. les fantassins de l'armée de terre, en tenue léopard,
4. les élèves de l'école Polytechnique avec leur
bicorne, 5. les élèves de l'école de Coêtquidan,
naguère de Saint-Cyr, avec leur casoar, 6. les légionnaires
avec leur képi blanc, 7. différents corps d'armée
avec leurs uniformes spécifiques, 8. des gendarmes tenant en laisse
des chiens policiers, 9. des pompiers avec leur casque, 10. les Auxiliaires Féminines de l'Armée de Terre (AFAT), 11. des motards sur leurs motos et 12. les blindés, notamment le char
Leclerc, avec ses canons.
Nous
allons essayer de raconter cela de diverses manières, des
plus banales aux plus personnalisées.
a)
en employant les métaphores de la tête et de la queue, le verbe suivre et ses dérivés :
La
voiture du Président était en tête du cortège,
suivie de la Garde Républicaine à cheval, et d'un détachement
de l'armée de terre. Ensuite, passèrent les grandes écoles
militaires, Polytechnique et Coêtquidan. Diverses formations, légionnaires,
infanterie de marine, pompiers auxiliaires féminines, constituèrent
la suite du cortège dont les blindés formèrent la
queue. Mais quelle queue !
b)
en employant les locutions ouvrir
la marche
et fermer
la marche
précéder,
succéder, succession, et successivement :
La
voiture du Président ouvrait la marche ; elle précédait
un détachement de la Garde Républicaine. Apparurent successivement
les fantassins de l'armée de terre, les Polytechniciens et les
Saint-Cyriens. Puis, ce fut une succession de corps d'armées parmi
lesquels la légion, l'aviation, l'infanterie de marine et bien
d'autres. Les blindés, avec le char Leclerc, fermaient la marche.
c)
en employant les mots premier et dernier, devant, derrière, et la suite des nombres :
Le
premier à passer ça a été Chirac avec les
généraux. En numéro 2, la garde républicaine
à cheval ; en numéro 3, l'infanterie. Après,
les grandes écoles, Polytechnique devant Saint-Cyr. Par derrière
les légionnaires, les pompiers, les AFAT, et les motards. Qu'est-ce
que j'aimerais être motard plus tard quand je serai grand !
En dernier, on a vu passer les blindés. Mais c'était
le plus intéressant. Le char Leclerc, il a des canons super !
d)
en employant les adverbes d'abord, avant, après, puis, enfin :
D'abord,
les autorités ! Le Président de la République,
qui nous saluait, entouré de généraux. Puis la Garde
Républicaine qui avait sorti pour l'occasion ses plus beaux chevaux
et ses plus brillants uniformes. Puis différents carrés
de militaires, tous de la même taille, pas une tête dépassant
l'autre, marchant au pas dans un ordre impeccable, les bicornes des polytechniciens
avant les casoars des Saint-cyriens, les légionnaires avant
les pompiers et les AFAT après. Tout ça, c'était
plutôt folklo ! Enfin, on a vu apparaître ce qu'on
attendait depuis le début, le char Leclerc armé de ses canons.
Avec ça, ils peuvent "trembler", les "ennemis de
la France" !
e)
en mélangeant sans scrupule tous les mots ci-dessus :
Cette
année encore, nous revenons de la revue, heureux et fiers d'avoir
pu, comme on le chantait jadis "voir et complimenter l'armée
française". En tête du cortège, la voiture du
Président de la République, se dirigeait vers la tribune
qui l'attendait à la Concorde, dans une solitude majestueuse ;
Jacques Chirac s'y tenait debout, saluant la foule, dépassant de
sa haute taille les généraux qui l'accompagnaient. Elle
était suivie, à bonne distance, de sa garde d'honneur, la
Garde Républicaine à cheval en grand uniforme.
On
vit ensuite se succéder les représentants des d'institutions
militaires et de corps d'armée, tous de la même taille, formés
en carré, marchant dans un ordre impeccable : d'abord, les
fantassins de l'armée de terre, en tenue léopard, puis l'élite
des jeunes destinés au commandement de nos valeureux soldats :
les Polytechniciens, parmi lesquels on remarquait une jeune femme qui
portait le bicorne aussi crânement que ses camarades, précédant
les Saint-cyriens portant casoar et gants blancs. On vit ensuite passer
successivement, reconnaissables à leurs uniformes, l'armée
de l'air, l'infanterie de marine, la légion, les pompiers, les
AFAT, les motards. Nous avons remarqué particulièrement
un détachement de militaires tenant en laisse des chiens, excellentes
bêtes si utiles pour flairer la drogue, détecter les mines,
et participer aux opérations de sauvetage en cas de catastrophe
naturelle ou provoquée.
Fermaient
enfin la marche les blindés et notamment le char Leclerc, symbole
de la puissance de notre armée, présent sur tous les champs
de bataille où la France s'occupe à rétablir la paix
dans un monde déchiré par la guerre.
Revenons
à Molière. Paraphraser vos beaux yeux me font mourir
d'amour !" par "les feux de vos yeux réduisent
mon cœur en cendres" est l'exploitation à la fois
emphatique et très banale de l'isotopie entre le mot amour et le mot cœur et de la métaphore du feu traditionnellement
associée à l'amour. Deux astuces de style, dans le cas présent : Primo, le feu censé bruler le cœur de monsieur
Jourdain est assimilé à l'éclat du regard de la belle
marquise, de sorte qu'il y a transmission de feu entre l'allumeuse et
l'allumé, et que, secundo la métaphore du feu est
"filée" puisqu'on passe directement du feu à
la cendre.
Il
est clair que la métaphore est une grande ressource de la paraphrase.
Il y a des métaphores d'une grande banalité, quasi lexicalisées,
comme ici. Il en est d'autres de plus personnelles et dans ce domaine,
le professeur de français s'efface devant la "créativité"
de ses élèves.
Il
s'efface aussi devant un autre personnage, le psychothérapeute.
L'auteure de cet article, en demandant à Google le mot reformulation, a eu la surprise de tomber sur un article dont le signataire : Thierry
Tournebise, donnait toutes sortes de conseils aux "écoutants"
pour les aider à "reformuler" au mieux ce qu'expriment
leurs "écoutés" traumatisés par d'horribles
expériences. Elle croit avoir compris que la "reformulation"
est une manière d'aider l' "écouté" à
parler davantage, de l'inciter à ajouter à la reformulation
de l'écoutant des compléments et des corrections qui le
libéreront de son angoisse. Elle a découvert que l'écoutant
devait tenir compte du "verbal", certes, des mots de l'écouté,
mais surtout du "non verbal", l'intonation de la voix ainsi
que la gestuelle et les mimiques et que loin d'être accessoire,
le non verbal représente 90% du message envoyé ! À
la limite, quand un "écouté" se mure dans le silence,
l' "écoutant" pourra "reformuler" son attitude
en se contentant de lui dire sur un ton légèrement interrogatif
"Vous avez vraiment de la difficulté à parler ?"
Bref,
elle craint que tout ce discours sur la "reformulation" ne soit
pas très utile au psychiatre. Elle espère toutefois qu'il
sera de quelque utilité au professeur de français, et elle
remercie Sylvianne Rémi-Giraud, professeur à l'université
de Lyon II, de l'avoir aidée à relire cet article
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Enseigner au collège, Français, Programmes et accompagnement
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