J. Picoche
commande à Joseph
Vaillé - 66 rue Azalaïs d'Astier - 34080 Montpellier - Tél./ fax 04 67
10 98 11
L'auteur,
Élisabeth NUYTS (désormais E.N.) se présente ainsi
au début d'une conférence prononcée en avril 2004 :
« Après une formation de traductrice de conférence
internationale, j'ai été professeur de lycée puis
je me suis spécialisée dans l'aide aux personnes en difficulté
d'apprentissage ou de mémoire. J'ai travaillé neuf ans avec
un docteur en psychologie cognitive pour pouvoir comprendre comment se
développent les capacités langagières de l'être
et mettre au point une pédagogie qui respecte son développement
naturel. J'ai été très étonnée de retrouver
les mêmes difficultés chez des personnes très différentes
en âge (de 5 à 50 ans) et en motivations. C'est alors que
j'ai procédé à des recherches personnelles à
la fois sur la physiologie du cerveau, et sur les pédagogies scolaires.
J'ai analysé à ce jour plus de 80 manuels scolaires de français
et plus de 700 cas ».
La
bibliographie qui figure à la fin de son livre est classée
et commentée, ce qui témoigne de la réalité
de ses lectures et de l'étendue de son information. Elle a consulté
les travaux de neurologues dont certains sont des prix Nobel. Mais son
livre, loin d'être entièrement théorique et abstrait,
comporte l'analyse de manuels scolaires et l'étude de nombreux
cas de personnes en difficulté qu'elle a rééduquées.
Son
objet est de contester
les pédagogies nouvelles
progressivement
mises en place pendant le dernier demi-siècle par l'Éducation
Nationale. Nul doute que les partisans de ces méthodes ont des
arguments à lui opposer. Il serait donc utile qu'ils lisent ce
livre, pour le réfuter s'ils le peuvent, ou pour en faire leur
profit.
Sa
contestation repose sur ce que nous apprennent sur le fonctionnement
du cerveau les progrès des neuro-sciences :
Notre
cerveau comporte deux hémisphères ayant chacun leur spécialisation :
L'hémisphère
droit est le domaine de la vue, donc de la perception et de
la maîtrise de l'espace. Il est apte à comparer, à
reconnaître, par analogie, des informations déjà connues
selon un mode binaire (oui/non, conforme/non conforme) mais n'a pas accès
à leur interprétation. Il favorise les activités
de reconnaissance de règles mathématiques ou grammaticales
et les activités de synthèse. Il a l'intuition globale du
sens, du vrai, du beau, du bien.
L'hémisphère
gauche est le domaine de l'audition ainsi que de la perception
et de la maîtrise du temps. Il analyse les informations et permet
une perception fine du sens précis. Il filtre les pulsions et émotions
brutes. Chez 90 à 95% des droitiers et 65 à 70% des gauchers,
il est le siège du traitement de la parole. On peut voir par IRM,
dans le cerveau gauche, tout un réseau de connections fonctionnelles
s'activer au cours de la subvocalisation, l'aire de Wernicke traitant
la forme auditive du texte lu et l'aire de Broca, la séquence
graphique.
Entre
les deux hémisphères, le
"corps calleux" assure le transfert des informations.
Les circuits de transfert de l'information mis en place sont essentiels
à la réflexion. La concentration résulte de la convergence
des fonctions des deux hémisphères.
Il
semble que ce soit au cours du temps que, l'homme ayant évolué
vers plus de complexité, les deux hémisphères se
sont spécialisés, chacun dans un certain nombre de tâches
spécifiques, et de manière différente selon les cultures,
les occidentaux ayant particulièrement développé
l'hémisphère gauche et les orientaux l'hémisphère
droit. Leurs idéogrammes sollicitent surtout le cerveau droit,
alors que l'écriture alphabétique sollicite surtout le cerveau
gauche. Plus intuitifs, ils n'accèdent pas de la même façon
que nous à la connaissance du monde et de soi. Intuition et analyse,
voilà deux modes de pensée radicalement différents
que chacune de ces civilisations privilégie tout au long de l'éducation
du jeune.
Quoi
qu'il en soit, c'est en assurant un va et vient permanent entre les deux
hémisphères de notre cerveau, en abrégé, entre
nos "deux cerveaux", le "cerveau gauche" et le "cerveau
droit" que nous développons au mieux l'ensemble de leurs facultés.
C'est ce va et vient qui permet à l'homme de devenir un être
raisonnable et équilibré.
Ce
qu'Elisabeth Nuyts reproche à la pédagogie moderne enseignée
dans les IUFM, c'est d'avoir pris le parti de réduire l'activité
du cerveau gauche au profit du cerveau droit, à l'encontre de la
pédagogie des générations précédentes
qui consistait à faire sans arrêt basculer l'information
d'un hémisphère à l'autre. Elle considère
cela comme contraire au cheminement naturel de l'information dans notre
cerveau et une sorte de mutilation de l'individu. On a le tort aujourd'hui
de faire travailler tout le monde par des méthodes qui ne sont
valables que pour une petite minorité de véritables visuels
et qui même pour ceux-là ne sont pas sans inconvénient.
Et on n'exploite même pas toutes les possibilités du cerveau
droit, laissant trop souvent inutilisées ses aptitudes à
l'intuition du beau, du vrai et du bien.
Les
élèves n'ont pas tous le même "profil pédagogique"
selon que leur capacité d'apprentissage passe surtout par la vue
(chez les "visuels", généralement plus doués
pour les mathématiques), ou par l'audition, (chez les "auditifs"
de loin les plus nombreux en Occident, généralement plus
doués pour les lettres) ou par le geste et le toucher, qui s'ajoute
aux deux voies d'accès précédentes chez les "kinesthésiques".
Chaque individu a une dominance hémisphérique qui, au moment
des apprentissages fondamentaux doit être respectée, avant
qu'il puisse, ultérieurement s'adapter à d'autres modes.
Si on ne la respecte pas on court le risque de gêner sa latéralisation
cérébrale et d'engendrer problèmes psychologiques
et inadaptation sociale. Les auditifs, essentiellement analytiques, ne
peuvent intégrer la moindre information qu'après l'avoir
analysée. Leur corps calleux, et tout particulièrement celui
des musiciens, est plus gros que celui des visuels, chose normale, le
va et vient droite-gauche étant chez eux particulièrement
important.
Tout
apprentissage consiste à monter des circuits neuronaux que
l'information empruntera par la suite automatiquement, qui seront réactivés
chaque fois que l'individu s'adonnera à la même activité.
L'enfant ne naît pas "fini", son cerveau est en construction,
la taille du corps calleux croît progressivement pendant l'enfance
jusqu'à l'âge de 16 ans environ. C'est à l'adulte
de l'aider à acquérir ses outils essentiels. Il faut donc
mettre en place les meilleurs circuits pour chacun, en respectant ses
voies d'entrée. Or, notre enseignement ayant été
révolutionné de fond en comble, le cerveau de nos enfants
a été véritablement remodelé ; les nouveaux
circuits neuronaux inscrits dans leur cerveau, considérablement
différents de ceux des générations précédentes,
semblent à l'auteur responsables de troubles plus ou moins graves.
Un cerveau, en période de formation, peut se bloquer plus ou moins
durablement, si on ne lui donne pas ce dont il a besoin. Il faut éduquer
correctement, pour ne pas avoir rééduquer, ce qui est toutefois
possible. E. N. affirme qu'on peut reconstruire l'outil cognitif des gens,
quel que soit leur âge, si on ne l'a pas endommagé par des
drogues mal adaptées. Elle en a l'expérience.
Au
commencement est la parole, la "mise en mots" de nos informations
sensorielles qui permet le passage à la conscience. Elle lie les
diverses données sensorielles captées par des aires différentes
du cerveau et en fait un tout. Ainsi elle synthétise des sensations
visuelles, tactiles, olfactives pour que le sujet arrive à penser
et à dire "Ceci est un arbre". Elle permet aux auditifs
et aux kinesthésiques de procéder à l'analyse consciente
des données, qui débouche sur l'identification et la compréhension.
Il semblerait qu'il faille avoir un jour verbalisé ses sensations
pour pouvoir les percevoir consciemment.
Or,
dès 2 ou 3 ans, l'enfant auditif sait parler avec des mots significatifs,
faire de jolies phrases au vocabulaire souvent très bien choisi.
Mais sa discrimination visuelle et auditive n'est pas encore parfaite.
Il s'agit de l'affiner et pas de la déprogrammer.
L'apprentissage
de la lecture et de l'écriture, ainsi que celui du calcul,
qui n'est pas l'objet du livre, va conditionner le devenir cognitif, culturel,
voire comportemental de toute une génération. Il est donc
souhaitable, dans une classe réunissant naturellement des enfants
de types différents, d'utiliser des méthodes sollicitant
à la fois l'œil, l'oreille, la bouche et la main, pour que
chacun puisse y trouver son compte, car un enfant qui ne peut utiliser
ses repères naturels pour apprendre à lire devient dyslexique.
Il
y a des étapes à respecter :
1.
Découverte de la lettre par toutes les voies d'accès, visuelle,
orale, et même kinésique par l'emploi de lettres rugueuses.
Apprendre à lire à partir des sons les plus simples, B.
A. BA, construit la discrimination et la mémoire auditives. Apprendre
à écrire en faisant des lignes de bâtons, de cannes
et de ronds, en disant ce qu'on fait, construit la discrimination visuelle
des lettres : m : trois cannes, n, deux cannes, distinction
de p, b, g, d par la place relative des ronds et des bâtons.
E.
N. juge nuisible l'apprentissage de mots alphabétiques par leur
image globale, ce qui les transforme en idéogrammes, avant d'avoir
la perception claire des lettres. Les visuels et les kinésiques
chez qui vue et mémoire visuelle sont couplés parviennent
à "reconnaître" des mots, et les ayant reconnus,
par les apprendre. Les auditifs n'ont pas cette possibilité.
2.
Passage au mot et syllabation, nécessaire à l'apprentissage
de l'orthographe et à la perception des rimes. Dans des manuels
qu'elle a dépouillés, la syllabation, tardivement pratiquée,
repose non sur une perception auditive, mais sur des consignes concernant
le découpage graphique de mots (on peut couper un mot devant une
consonne ou entre deux consonnes). Or, ce n'est pas la même chose,
en ce qui concerne par exemple le mot allumette, de le découper,
phonétiquement en /a-lu-mèt/ ou de le découper graphiquement
en / al-lu-met-te /.
3.
Passage à la phrase, permettant la lecture à haute voix
de textes simples, mais porteurs de sens, imprimés en gros caractères,
en suivant du doigt les lignes de gauche à droite, pour habituer
l'œil à ce mouvement qui n'est pas spontané. Et puis,
viennent la copie, puis l'écriture sous la dictée de ces
textes simples.
Il
est indispensable de faire verbaliser aux enfants toute activité
d'écriture ou de lecture et surtout de ne pas exiger la rapidité
qui risque de déconnecter les deux hémisphères. Il
faut qu'écriture et parole soient liées et synchronisées.
Plus tard, seulement, et peu à peu intériorisée,
la "haute voix" deviendra "subvocalisation", permettant
la lecture silencieuse.
Ceux
qui ont appris à lire oralement, de la lettre vers la syllabe,
puis de la syllabe vers le mot et ensuite la phrase, et qui ont travaillé
la lecture oralement en la menant de pair avec des exercices d'écriture,
ont mis en place une quantité de liens entre le signe, le son,
le sens et l'écriture alors que les méthodes actuelles ne
sollicitent que les aires visuelles et manuelles.
Une
fois accompli le grand passage de la lettre à un texte simple,
E. N. pense qu'avant de passer à la lecture silencieuse subvocalisée,
il faut continuer pendant plusieurs années la pratique de la
lecture à haute voix. Et le maître doit poser
de multiples questions pour que l'enfant arrive à comprendre vraiment
le texte et à le mémoriser: 1. des questions de reconnaissance
des éléments du texte, 2. des "questions d'intelligence"
(à quoi le vois-tu ?) portant sur les informations implicites
contenues dans le texte, et 3. des questions du type "leçon
de choses" mettant le texte en relation avec la connaissance du monde
que possède l'élève. Il faut évoquer la scène
dont il est question, analyser le texte, et le paraphraser avec d'autres
mots que celui qu'il contient, faute de quoi l'élève n'accède
pas vraiment au sens et ne mémorise pas ce qu'il lit.
Les
histoires qu'on racontait autrefois aux enfants, en les faisant participer
constamment, montaient ce mécanisme de l'analyse verbale. E. N.
regrette qu'elles aient été le plus souvent remplacées
par des films télévisés qui font de l'enfant un réceptacle
passif.
Si
les premiers circuits montés au cours de l'apprentissage ne sont
pas passés correctement par le sens, toute lecture ultérieure,
même effectuée à haute voix, ne permettra pas facilement
d'accéder au sens. C'est pourquoi il est dangereux de faire étudier
trop tôt des textes surréalistes dénués de
sens, simples chapelets de mots choisis pour leur forme ou leur sonorité,
de faire inventer aux élèves des non-mots, de les faire
travailler sur des phrases grammaticalement correctes et dénuées
de sens. Par contre, si tout est fait correctement, l'élève
deviendra un bon lecteur capable de subvocaliser et d'analyser ce qu'il
lit, de façon spontanée.
Étant
donné les principes ci-dessus, on comprendra qu'E.N. déplore
la complexité des programmes du primaire, qui ne permet de consacrer
que trop peu de temps à un apprentissage qui prend normalement
des années. Elle s'oppose à la pratique de la lecture silencieuse,
rapide et prédictive, c'est à dire procédant par
hypothèses en ce qui concerne les mots qu'on ne connaît pas,
inspirée par les méthodes d'apprentissage de la lecture
rapide, qui ne peuvent convenir, selon elle, qu'à des adultes déjà
bons lecteurs.
Il
faut laisser les élèves parler pour lire, écrire,
analyser, travailler, si on veut qu'ils soient heureux et efficaces. Des
enfants qu'elle a eu à rééduquer avaient été
empêchés de labialiser ce qu'ils lisaient, autrement dit,
de remuer les lèvres en lisant. Pour leur rendre la chose impossible
et les obliger à lire seulement des yeux, on leur avait collé
du scotch sur la bouche. On avait contrôlé au chronomètre
la rapidité de leur lecture, pratique qui confisque la parole intérieure
à ceux qui lisent lentement, en réfléchissant. E.
Barone, spécialiste de l'hypnopédagogie écrit:
"il y a une lenteur jusqu'à laquelle la conscience contrôle
tout et il y a nécessairement une vitesse à partir de laquelle
elle ne peut plus contrôler les actes qui se produisent". Ainsi
conçue, la lecture devient "un marathon visuel doublé
de devinettes". La lecture à haute voix n'est pratiquée,
dans les classes, que tardivement, et encore trop peu, et on obtient des
intonations correctes, sinon très expressives, par des consignes
liées à la ponctuation : marquer une petite pause aux
virgules, baisser la voix aux points, etc.
E.
N. critique aussi les exercices à trous et les questions à
choix multiples, auxquelles on répond, le texte caché, pour
en retrouver les mots. Ces exercices peuvent être traités
par une simple mémoire visuelle sans que le texte ait été
compris, l'activité de lecture étant déconnectée
de la recherche du sens. Cet entraînement à un travail de
visualisation purement mécanique, est parfois accompli au chronomètre,
la note dépendant du temps passé. Or, la vitesse est nuisible,
elle empêche de comprendre et de réfléchir. Il faut
prendre son temps !
Ajoutons
que par souci de rendre les enfants "autonomes", on recommande
aux enseignants de les observer et de les laisser se débrouiller
seuls, alors qu'ils ont besoin d'être guidés et d'imiter
des gestes. Par surcroît des enseignants ne luttent plus contre
le bruit et le considèrent au contraire comme "un volume sonore
stimulant" alors qu'il empêche la concentration.
Mêmes
critiques en ce qui concerne la grammaire : E. N. a eu entre les
mains des manuels de français du primaire qui ne distinguent le
nom du verbe que par la nature des "petits mots" qui les accompagnent.
On ne distingue le sujet de l'objet, tous deux étant des GN, que
par les variations du verbe, ce qui entrave la perception d'un Je/moi
actif. On n'étudie les conjugaisons que sur critères formels
ce qui entrave la création de repères temporels, et tout
à l'avenant.
E.
N. déplore que l'enseignant n'ait aucune initiative dans les tests
envoyés par l'Académie : on lui impose, au mot près,
la façon de présenter les exercices, leur ordre, le temps
accordé aux enfants, enfin et surtout, la grille de correction.
C'est ainsi qu'on obtient un pourcentage stupéfiant d'enfants qui
arrivent au collège sans savoir lire.
Passons
au collège. L'emploi, par les manuels, des mots "analyse"
et "explication de textes" lui semble trompeur. Les rares questions
sur le texte ne font appel qu'à la reconnaissance. La "réduction
de texte" est autre chose qu'un résumé employant librement
d'autres mots que ceux du texte. On demande seulement de couper ce qui
(d'après les règles visuelles apprises : reconnaissance
des formes, découpage spatial de la structure de la phrase) à
supprimer les compléments non essentiels. Certains élèves,
ayant développé une grande mémoire visuelle et gestuelle,
y réussissent très bien, mais sont incapables de reformuler
avec leurs mots à eux ce qu'ils ont lu. Comme on avait pris la
visualisation pour de la lecture et la mémoire de reconnaissance
pour du raisonnement, on prend la réduction de texte pour sa synthèse.
Les sciences de l'éducation chassent le plaisir de découvrir
par soi même le sens profond d'un texte tel qu'il va éclairer
toute une vie
Même
critique en ce qui concerne l'enseignement des langues qui
consiste en grande partie aujourd'hui à apprendre des phrases toutes
faites correspondant à des "situations d'énonciation",
alors que l'aisance dans la langue étrangère passe normalement
par la traduction, aujourd'hui interdite.
C'est
ainsi que beaucoup d'enfants, ayant lu sans comprendre, sont incapables
de se souvenir et de parler de ce qu'ils ont lu. En effet, la mémoire
visuelle est une mémoire à court terme. La mémoire
à long terme se construit en respectant l'ordre normal :
parole, conscience, mémoire, balancement entre la découverte,
l'encodage par le cerveau gauche et la reconnaissance, l'automatisation
par le cerveau droit. C'est cela qui assure la mise en phase des deux
aires responsables, l'une de la séquence phonique (celle de Wernicke)
et l'autre de la séquence graphique (celle de Broca), ce qui permet
d'établir la chronologie des faits, d'accéder aux souvenirs,
et d'organiser logiquement et chronologiquement les souvenirs rappelés.
Ce n'est pas le cas lorsque que les montages ont été faits
dans l'ordre inverse. Ainsi "programmés" ces enfants
ne lisent pas vraiment, ils donnent l'illusion de savoir lire, d'où
le titre : "l'école des illusionnistes".
Et
qui pis est, au-delà de la mémorisation des textes, c'est
la faculté de penser et de décider qui est atteinte.
Le raisonnement, verbal, analytique, c'est de la parole intériorisée,
permettant de filtrer les données émotionnelles brutes.
Sans la mémoire, il ne peut y avoir de logique puisque elle n'est
que l'organisation des données mémorisées. Comment
décider, faire des choix et des projets, sans penser ? Pour
traiter les informations, l'analyse est la porte ouverte à l'autonomie
de la pensée, et pour beaucoup d'individus, penser, c'est se parler.
L'homme qui doit sans cesse s'adapter à des conditions de vie changeantes
ne peut vivre sans esprit d'analyse, son libre arbitre en dépend.
On
reconnaît dans les pratiques modernes l'influence d'une linguistique
orientée vers l'intelligence artificielle et la manière
de programmer un ordinateur pour le rendre capable non seulement de classement
de données et de calculs, mais, en mettant les choses au mieux,
de traduction automatique. Or il est bien impossible de demander à
un ordinateur s'il a bien compris ce qu'on a tapé sur le clavier
et s'il a perçu certains sous-entendus ! Il ne peut que reconnaître
mécaniquement des conformités à des règles,
et cela, il le fait de façon tout à fait efficace !
On
traite le cerveau d'un enfant comme s'il était un ordinateur.
Les spécialistes savent que lorsqu'il échappe au contrôle
de la conscience, le cerveau fonctionne en automate. Visualisation, comparaison,
couper/coller : je lis, je visualise, je reproduis, et je m'entraîne
à faire une foule d'exercices analogues. Apprendre des réflexes
et les automatiser, remplacer la réflexion multiple par la réflexion
binaire "robotise" l'individu et revient à priver
du droit à l'éducation des êtres que la nature avait
doués pour les lettres. Ce conditionnement est renforcé
par la télévision, purement visuelle, et des jeux vidéos
qui sollicitent surtout l'œil et la main.
Il
faut bien comprendre qu'un cerveau est plus fragile qu'un ordinateur,
et que ses blocages sont plus graves, mais qu'il est aussi beaucoup plus
perfectionné. Un ordinateur est incapable d'analyser une réalité
totalement différente de ce pour quoi il a été initialement
programmé. Un cerveau, lui, peut non seulement le faire, mais encore
induire des conduites nouvelles à condition qu'il ait appris à
glaner des informations (cerveau droit) à choisir celles qui sont
importantes (cerveau gauche), à les décomposer (cerveau
gauche), à en découvrir la logique (cerveau gauche), à
les comparer et à les relier à ses connaissances antérieures
(cerveau droit), en induire les conséquences et les intégrer
dans le choix de ses décisions. Les pédagogies actuelles
montent un circuit mécanique œil/main qui ne passe pas par
la parole et qui est l'outil principal de l'hypnopédagogie, technique
de montage de fonctions réflexes qui transforment l'individu en
"logiciel humain".
Le
résultat de cette éducation est que l'échec scolaire
va croissant. 40% des collégiens souffrent de graves lacunes de
lecture et 35% des allocataires du RMI sont des illettrés. Or,
les dyslexies congénitales dues à une malformation
cérébrale ou un accident sont très rares, la plupart
sont acquises. L'absence de va et vient entre les deux hémisphères
résulte d'une privation et non d'une incapacité spécifique
du dyslexique. Si elle résultait d'une pathologie cérébrale
on ne pourrait pas la guérir, or E. N. en a guéri beaucoup.
Quand on fait faire aux dyslexiques des exercices sur la perception du
temps et qu'on les fait lire à haute voix (car pour 95% de la population
occidentale, le lecteur a besoin de s'entendre dans sa tête) et
répondre à des questions analytiques sur le texte, ils sont
soulagés et reprennent goût à la vie.
La
profession d'orthophoniste est née au lendemain de la guerre avec
l'arrivée de la méthode globale de lecture, pour en pallier
les carences. De même c'est à partir des années 50
qu'il est beaucoup question de l'autisme. Les cas de dyslexie induite
des auditifs, qui utilisent trop leur cerveau droit, se sont multipliés
de façon exponentielle depuis une quinzaine d'années. Des
troubles apparaissent dès la fin du premier trimestre de cours
préparatoire. On les attribue à des problèmes familiaux,
On en vient même à penser que la dyslexie est une maladie
qui se soigne chez des thérapeutes dont le salaire est remboursé
par la sécurité sociale. Le centre Régional de Documentation
Pédagogique de Grenoble a monté un programme d'entraînement
visuel des enfants de 4 à 6 ans, puis un programme d'entraînement
auditif appliqué à des classes de CE2 par des personnels
de santé au terme desquels des confusions tout à fait normales
sont diagnostiquées comme "troubles visuels" ou
"troubles auditifs". Résultat : sur 537 enfants
de 5-6 ans testés, seuls 47% auraient été indemnes
de troubles visuels ! E.N. montre qu'il n'en est rien et que ce qu'on
recense comme un trouble de la vue disparaît chez l'auditif dès
que celui-ci apprend à verbaliser ce qu'il observe, et à
verbaliser les mouvements de sa main.
On
peut se demander pourquoi, dans ces conditions, tous les élèves
ne deviennent pas dyslexiques. C'est que certains développent une
grande mémoire visuelle et gestuelle, qu'il peut y avoir un fossé
entre la pédagogie officielle et la pédagogie réelle
des maîtres, que les enfants ont des parents qui leur parlent et
les font parler, que la vie extra-scolaire impose certaines analyses et
discriminations.
Transformer
un enfant en ordinateur le fatigue considérablement ; fonctionner
toujours à l'intuition par le cerveau droit, sans possibilité
de vérifier ses hypothèses par le cerveau gauche, est très
éprouvant pour les nerfs. Dyslexiques ou non, beaucoup d'enfants
présentent des troubles du comportement qui sont les
symptômes de leur immense désarroi : désordre, incapacité
à ranger ses affaires, fringale compulsive de chocolat, enfants
fébriles, ou amorphes, au visage lisse et au regard vide, violence
sans précédent dans notre histoire récente, délinquance,
perte du goût à vivre, conduites suicidaires. Chez ceux qui
ne peuvent apprendre sans comprendre, on diagnostique une "déficience
logico-mathématique", nouvelle pathologie qu'on s'apprête
à soigner. Après avoir rendu notre enseignement inintelligible
aux êtres analytiques, on commence à préconiser des
médicaments qui les guériraient de l'anxiété,
de l'excitabilité, de l'agressivité, des somatisations de
toutes sortes que génère une telle pathologie; on fait appel
aux psychologues scolaires, on leur fait suivre des psychothérapies
On les oriente vers les Sections d'Enseignement Spécialisées.
Quel sera leur avenir ? E. N. cite un collège où 90
enfants sur 400 sont dans les SES. Quelle est l'entreprise qui accepterait
qu'un quart de sa production soit reconnu défectueux sans remettre
en question ses techniques de production ? C'est pour en arriver
là que l'État dépense des fortunes ?
Même
les élites, à qui on va confier des responsabilités,
ont du mal à comprendre le sens d'un texte complexe ; l'étudiant
en médecine qui n'a pas appris à analyser pendant son parcours
scolaire, a du mal à établir un diagnostic, des étudiants
qui transcrivent littéralement les cours magistraux deviennent
agressifs contre celui ou celle qui leur fait perdre du temps en posant
des questions pour comprendre. D'ailleurs les enseignants nouvellement
formés se soucient peu de donner des explications.
Qui
sont donc les responsables de cet état de choses ?
Des
gens qui férus de "disciplines d'éveil" et d'un
certain aspect ludique de l'enseignement, rognent le temps consacré
aux apprentissages de base et recherchent, en ce qui les concerne, la
rapidité.
Certains,
ayant étudié l'"hypnopédagogie", sont convaincus
que, passant par le montage de réflexes, une pédagogie permettant
à l'hémisphère droit de devenir dominant, par blocage
de l'hémisphère gauche, est "plus égalitaire" que
la pédagogie analytique. C'est le cas de G. Racle selon qui elle
toucherait "la masse" qui, ose-t-il affirmer, serait "non-réflexive".
Il
y a aussi la mode du New Age qui tend à promouvoir une pensée
intuitive, non verbale, holistique, atemporelle, préférant
les grandes représentations mystiques et spirituelles de toutes
les religions orientales, spécialement le tao chinois qui est tout
l'inverse de la pensée cartésienne essentiellement analytique,
et de la pensée chrétienne pour laquelle la Parole est vie.
On ridiculise le test de QI qui permet d'évaluer les capacités
d'observation, d'analyse, de synthèse et d'abstraction et on le
remplace par un QE "coefficient émotionnel" particulièrement
élevé chez les sujets dont on n'a pas monté l'analyse.
On stigmatise le terme de "linéaire", les lois de la
raison et les impératifs chronologiques de la pensée temporelle.
La nouvelle pensée récuse le "totalitarisme" de
la pensée analytique.
Comment
des enseignants, qui aiment leur métier et sont soucieux
de l'intérêt de leurs élèves, peuvent-ils pratiquer
de pareilles méthodes ? Il a suffi qu'on leur présente
la nouvelle pédagogie comme scientifique pour qu'ils l'acceptent.
Et il est vrai qu'elle l'est, que ceux qui la préconisent sont
savants en certaines disciplines linguistiques. Mais tout type de linguistique
ne convient pas forcément à des esprits enfantins.
Depuis
quelque temps, toutes les formations qu'ils reçoivent les éloignent
de la logique analytique. Qui va leur dire qu'elle est indispensable à
tous ? qu'elle se bâtit lentement ? que c'est pour les
auditifs le seul moyen d'accès à la connaissance ?
que c'est enfin par l'analyse que l'on accède à la conscience
de soi, à l'ouverture aux autres et au sens de la vie ? Personne
ne leur a dit que la pédagogie qu'on leur enseigne les induit en
erreur sur les mécanismes de l'apprentissage. On leur a fait faire
des jeux de rôles et une foule d'activités inoffensives mais
dévoreuses de temps et d'attention où l'on glisse des jeux
de mots, des phrases ineptes. On a fait d'eux de bonnes "courroies
de transmission" d'une manipulation.
Y
aurait-il vraiment manipulation ? E. N. ne l'exclut pas, rejoignant
Pascal Bernardin qui, dans un livre déjà ancien intitulé
Machiavel pédagogue a réuni un nombre considérable
de textes émanant des plus hautes instances politiques (ONU, UNESCO,
UNICEF, Commission Européenne etc.) s'exprimant sur le sujet de
l'éducation. Les idées et les conseils exprimés tendent
à former des citoyens dociles, réceptifs à la propagande
d'État et heureux de leur conditionnement. Or, sans accès
possible au cerveau analytique le cerveau droit est extrêmement
influençable, en attente des directives d'une autorité supérieure,
prêt à les accepter ou à les rejeter intuitivement
en bloc sans les discuter.
Veut-on
changer la société en transformant le cerveau de l'homme
occidental ? Dissoudre l'individualité dans le collectif en
vue d'un "nouvel ordre "mondial à la fois totalitaire
et doux ?
Or,
sans analyse, il n'est pas d'esprit d'initiative, et sans esprit d'initiative,
il n'est pas de démocratie.
Quelques
citations tirées de ce livre inquiétant : "Les
hommes de lettres ... ont toujours fait trembler les pays totalitaires.
Dans un pays dont on écarte les poètes, les écrivains,
les historiens et les philosophes, il est évident qu'on n'aura
pas besoin de censure. D'ailleurs, à quoi servirait la censure,
si plus personne n'aime lire, parce que la lecture ainsi proposée
est totalement inintéressante, et si plus personne ne mémorise
ce qu'il a lu parce que la visualisation est éphémère ?
La pédagogie nouvelle est en train de transformer à notre
insu l'Occidental dont la force reposait sur l'analyse. Le faisant basculer
sur son cerveau analogique, elle le rend manipulable à souhait".
"Toute société non suicidaire choisit en principe
une pédagogie capable de construire des hommes qui assurent sa
pérennité. Notre société occidentale dont
l'économie est basée sur la libre entreprise, a besoin d'une
élite analytique pour survivre. Si donc nous voulons conserver
ce type de société, il faut impérativement construire
le raisonnement analytique de nos enfants".
Si
tout cela n'est pas fantasme mais vérité, rien n'est plus
important que la manière dont on apprend à lire aux petits
enfants dans les classes de notre Éducation Nationale.
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