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« Les linguistes sont un peu lâches, il faut bien le dire, parce qu'ils abandonnent les domaines dans lesquels la mémoire est la plus importante, le lexique, pour se concentrer sur la syntaxe où la mémoire est secondaire. On abandonne le lexique aux praticiens. Regardez, il est presque impossible pour un linguiste de se distinguer en travaillant sur le lexique... et c'est un grammairien qui vous le dit ! Il faut donc ramener la linguistique vers le lexique où la complexité des langues parvient à son plus haut degré de force et d'épanouissement. »

Harald Weinrich, propos recueillis par Daniel Malbert, Le Français dans le Monde, nº 303, mars-avril 99, p. 27-29.

Chers utilisateurs



Présentation et mode d'emploi

Entre papier et cédérom

Vous avez choisi une version ou l'autre - ou vous avez opté pour les deux, qui ont chacune leurs avantages. Le livre se consulte n'importe où; il ne nécessite aucune installation ni machine particulière, et, tant qu'il fait jour, la lumière du soleil lui suffit. La nuit, vous pouvez le poser sur votre table de chevet et en faire le compagnon de vos insomnies.

Le cédérom que vous glissez dans le tiroir adéquat de votre ordinateur vous permet une circulation plus rapide d'un article à l'autre. En quelques clics, vous trouvez tous les emplois d'un mot qui vous intéresse, vous constituez vos propres réseaux, vous rassemblez le vocabulaire des thèmes que vous avez choisis, vous faites vos collections de mots marqués vulg. ou sav. ou fam., vous regroupez des proverbes ou des locutions, etc. C'est un instrument de liberté.

Tous, avant d'ouvrir ce livre, intrigués par son titre et son sous-titre, vous avez supposé que ce n'était pas un dictionnaire comme les autres. Vous l'avez feuilleté et vous avez pressenti qu'il vous rendrait des services différents de ceux que vous rendent les autres dictionnaires.

Vous n'avez pas été longs à vous apercevoir que son intérêt est d'abord pédagogique, que c'est un dictionnaire d'apprentissage plutôt qu'un dictionnaire de consultation.

Allons un peu plus loin dans son exploration. Voyons sur quels principes il repose et comment l'utiliser.

Qu'entendons-nous par usuel ?

Disons d'abord ce que, pour nous, n'est pas un mot usuel :

Ce n'est pas un mot propre à une région ou à une catégorie sociale particulière, ni un mot d'argot destiné par définition à ne pas être compris en dehors d'un certain milieu, ni un mot de spécialiste. Les dictionnaires courants donnent une quantité de mots savants, scientifiques et techniques, dont le non-spécialiste pourra être amené à chercher le sens à l'occasion d'une lecture, mais qu'il n'emploiera jamais de lui-même, et que le spécialiste n'emploiera qu'avec ses collègues, ou de professeur à élève, mais non dans une conversation ordinaire.

Un mot usuel n'est pas un mot archaïque. Nous ne citons aucun mot sorti de l'usage oral ou écrit, même si certains portent la mention « vieux ». Des mots d'âge différent coexistent dans l'usage comme des individus d'âge différent dans la société, et parfois un mot « vieux » éclaire utilement une expression plus récente.

Ce n'est pas non plus le dernier néologisme émergé. Sans exclure systématiquement les mots à la dernière mode, nous n'en sommes pas à l'affut comme certains autres auteurs de dictionnaires. Outre qu'ils sont en général le fait d'un milieu social particulier, il arrive qu'ils ne tardent pas à se démoder. Nous préférons ceux qui ont quelque peu résisté à l'épreuve du temps.

Notre objectif est de présenter, de façon cohérente et intelligible, un trésor de mots relativement modeste permettant à tous les francophones de communiquer aisément à travers le monde.

Une honnête aisance

Les mots sont les outils dont dispose l'esprit humain pour s'emparer de l'univers, le comprendre, en parler et y agir. Ils sont assez performants pour qu'un nombre limité d'entre eux permette de dire un nombre de choses illimité.

Quinze mille mots environ, c'est peu si l'on considère que le Littré en compte quelque 70 000 et le Petit Robert quelque 50 000. Mais c'est beaucoup si on considère qu'il n'a pas fallu plus de 4 000 mots à Corneille, ni plus de 3 500 à Racine pour écrire tout leur théâtre, et que, parmi les modernes, selon une estimation fondée sur la base Frantext (v. ci-dessous), des auteurs comme Paul Valéry, Jules Romains, Aragon, Bernanos, Giraudoux, Colette, Mauriac, Malraux, Sartre, Camus, se tiennent dans une moyenne de 10 000 mots pour l'ensemble de leur ?uvre dépouillée. Il y en a, bien sûr, de plus riches, tel Victor Hugo, à qui il en a bien fallu 20 000, mais notre ambition n'est pas de vous proposer tous les outils nécessaires pour écrire à la fois La Légende des Siècles et Les Travailleurs de la Mer. Elle est de vous présenter simplement une bonne et solide panoplie d'outils d'usage courant.

Une boîte à outils doit être maniable et un atelier ne peut pas posséder toutes les machines de la terre. La misère est paralysante, la pauvreté rend ingénieux, une honnête aisance facilite la vie, la surabondance peut devenir encombrement.

Donc, nous éliminons beaucoup ! Mais ne croyez pas que le vocabulaire que nous avons sélectionné soit un standard insipide. Nous jouons sur plusieurs niveaux de langage et nous les signalons, généralement par des abréviations dont la table figure ci-dessous. Ainsi, litt. (littéraire), sav. (savant), fam. (familier), vulg. (vulgaire), argot et techn. quand il nous arrive de signaler un mot d'argot ou un mot technique d'usage courant.

Un grand panorama

Bien sûr, nous ne nous dissimulons pas que la notion d'usuel est en partie subjective. Il n'y a pas de cloison étanche entre les mots techniques, les mots nouveaux, les mots d'argot, les mots provinciaux et ceux qui ne le sont pas. Ce qui est usuel à Paris ne l'est pas toujours à Montréal ni à Dakar, et vice-versa. Les auteurs de l'ouvrage sont des Français de France, de milieu universitaire. Partant de leur usage propre, ils ouvrent des pistes, ils ne dressent pas de barrières.

Les listes de mots lexicaux sont des listes « ouvertes » à la différence des listes de mots grammaticaux qui sont « fermées ». Il est impossible à quiconque d'ajouter un pronom personnel à la liste des pronoms personnels du français, mais il est presque toujours possible d'ajouter un nom de meuble à une liste de noms de meubles, ou de faire apparaitre un synonyme rare à côté d'un mot fréquent.

Ne soyez donc pas surpris de ne pas y trouver tous les mots que vous pourriez trouver dans un dictionnaire ordinaire. Nous vous offrons un panorama du vocabulaire français. L'observateur d'un panorama ne distingue pas tous les détails, mais il voit comment les grandes masses s'articulent et s'harmonisent entre elles.

Notre souhait, chers utilisateurs, serait que vous nous lisiez le crayon à la main notant ce qui n'est pas usuel chez vous, rajoutant par-ci par-là un mot qui vous est familier et que nous aurions omis, soit par oubli, soit que notre usage soit différent du vôtre. Nous pensons que tout mot nouveau, candidat à l'introduction, trouverait facilement sa place logique dans l'un ou l'autre de nos articles. Nous serions heureux si vous en faisiez la constatation. Nous comptons sur votre interactivité.

Mots fréquents et hyperfréquents

15 000 mots, en 442 articles ! Pourquoi ces chiffres et comment avons-nous fait nos choix ?

Il existe plusieurs listes de fréquences des mots de la langue française (v. ci-dessous, bibliographie). Une des plus anciennes et des plus connues des enseignants est celle du Français fondamental qui présente des caractères particuliers dus aux principes qui ont présidé à sa composition : corpus oral comportant des vulgarismes, introduction de mots usuels sans fréquence significative. Toutes les autres, fondées sur des corpus écrits, généralement littéraires, et avec de légères différences dans l'ordre des mots, ont la même composition jusqu'au rang 500 ; la dispersion due à la diversité des textes dépouillés se manifeste ensuite mais reste infime jusqu'au rang 800 et ne commence à prendre de l'importance qu'au-delà. On peut donc considérer que les mots que nous appelons hyperfréquents figurant en tête de ces listes constituent le « noyau dur » du lexique français, celui dont tout locuteur ou scripteur a constamment besoin quel que soit le genre ou le sujet de son discours.

Nous avons privilégié, parmi les listes existantes, le Dictionnaire des fréquences du Trésor de la Langue Française élaboré en marge du plus grand dictionnaire actuel du français moderne, le Trésor de la langue française (en abrégé TLF). Il faut savoir qu'il repose sur le dépouillement informatique de la quasi-totalité des grands textes littéraires du XIXe et du XXe s., jusqu'en 1965, représentant 70 millions d'occurrences et d'un certain nombre de textes non littéraires qui ont fourni 20 millions d'occurrences, corpus incomparablement plus important que celui des autres listes. Le dépouillement ne s'est d'ailleurs pas arrêté en 1965 ; il continue, et alimente une banque de données, la banque Frantext.

Ces 90 millions d'occurrences représentent environ 70 000 vocables. Or le travail statistique d'Étienne Brunet, dans son ouvrage intitulé Le vocabulaire français de 1789 à nos jours a révélé qu'environ 90 % du corpus est couvert par les mots de fréquence supérieure à 7 000, qui sont 907, 8 % par les mots de fréquence inférieure à 7 000 et supérieure à 500 qui sont environ 5 800 et 2 % par tout le reste, soit 64 000, dont 21 000 n'apparaissent qu'une seule fois. Il est vrai que ces mots rares, sans fréquence significative, sont généralement porteurs de beaucoup d'information, mais la plupart d'entre eux s'acquièrent « en situation », quand on en a besoin dans une circonstance particulière. Ils ne constituent pas la première urgence pour qui veut explorer de façon systématique et progressive le lexique français. Si 6 707 mots suffisent pour couvrir 98 % du corpus du TLF, un vocabulaire de 10 000 mots est déjà un bagage relativement riche.

Nous avons donc pris pour guide principal la liste du TLF, mais sans nous en rendre esclaves. Les mots-vedettes qui constituent les titres de nos articles sont soit des hyperfréquents, soit des mots d'une très haute fréquence, de peu inférieure à 7 000, ou parfois très supérieure, si l'on considère la somme de leur fréquence propre avec celles de leurs dérivés. Ils se trouvent être 613. L'objectif de 10 000 mots a été assez tôt préconçu au cours de notre travail. Nous comptions, à l'origine, devoir élaborer environ 500 articles pour l'atteindre. Le nombre de 442 articles s'est imposé à nous de façon tout à fait empirique et s'est de la même façon qu'en fin de parcours, nous sommes arrivés, non plus à 10 000 mais à 15 000 mots.

Comment sommes-nous passés de 907 à 613 puis à 442 ?

En procédant par éliminations et par regroupements. De la liste des mots-vedettes nous avons éliminé les mots grammaticaux (pronoms, articles, prépositions, conjonctions, à l'exception de quelques prépositions plus riches de sens que les autres), un certain nombre de mots sans grand intérêt sémantique comme Monsieur, Madame, dont la place est sous HOMME et FEMME , et la collection des titres de noblesse véhiculée par les romans du XIXe s. Surtout, nous avons regroupé en une entrée unique des mots dont le rapprochement et le traitement dans un unique article nous a paru particulièrement éclairant :

On notera à ce propos qu'il n'y a parfois entre un verbe et sa nominalisation aucun rapport de forme, comme c'est le cas avec TOMBER et CHUTE , DORMIR et SOMMEIL , et que des mots qui ont entre eux d'étroits rapports de forme et de sens, comme RELIER et RELATION , BRAS et BRASSER , ont des étymologies différentes. Par principe, nous privilégions les relations sémantiques par rapport aux relations morphologiques et étymologiques.

Nous devons aussi reconnaitre que nous avons été parfois moins exigeants, en matière de fréquence, pour le mot qui apparaît en deuxième ou en troisième place que pour le premier.

Cette manière de procéder, qui est une des principales originalités de notre dictionnaire, évite de nombreuses répétitions et surtout permet de rendre plus sensibles les différences et les ressemblances sémantiques et syntaxiques entre ces mots, leurs traits communs et leurs oppositions.

Certains mots nous ont paru former des couples plus « forts » que d'autres et il est certain que nous n'avons pas fait tous les regroupements qui auraient été possibles. C'est ainsi que, ayant regroupé SAVOIR et CONNAITRE, nous avons renoncé au regroupement SAVOIR et SCIENCE , ayant pris le parti de faire de ce dernier mot la vedette d'un article autonome. Nous avons préféré associer FAUX à VRAI et RÉEL plutôt qu'à TROMPER . Il fallait tenir compte de la longueur et de la complexité des articles qui ne devaient pas devenir excessives, ce qui aurait été le cas si nous avions regroupé, par exemple, PARLER , DIRE , MOT et PAROLE . Un certain empirisme a présidé à ces choix. Là encore, pour vous montrer créatifs et opérer d'autres disjonctions et d'autres regroupements, grâce à l'index et surtout au cédérom, nous comptons, chers utilisateurs, sur votre interactivité.

Comment sommes-nous passés de 442 à 15 000 ?

En constituant autour des hyperfréquents de grosses grappes de mots de moindre fréquence en utilisant toutes les ressources de la synonymie, de l'antonymie, des relations de genre à espèce, et de de la dérivation. On aura remarqué à ce sujet que beaucoup de nos articles commencent par la mise en valeur de bases savantes, d'origine latine ou grecque. En effet, la langue française présente cette particularité que les mots fréquents et surtout hyperfréquents, qui sont pour la plupart des mots d'origine populaire depuis longtemps, sinon toujours, installés dans la langue, présentent de faibles possibilités de dérivation. Ainsi, un mot aussi fondamental que EAU ne possède aucun dérivé morphologique. Les dérivés sémantiques qui existent sont fondés sur la base latine AQU- ou sur la base grecque HYDR- . C'est un phénomène fondamental qu'il était nécessaire de mettre en lumière, tant la connaissance de ces bases savantes est nécessaire pour comprendre non seulement nombre de mots répertoriés dans les dictionnaires mais encore toutes sortes de néologismes en formation.

Les réseaux ainsi constitués mettent en lumière les relations qui s'établissent normalement à l'intérieur d'une phrase simple entre des mots de toutes catégories morpho-syntaxiques ayant entre eux certaines affinités sémantiques que d'aucuns appellent « isotopie », et qui sont le gibier habituel des dictionnaires dits « analogiques ».

Reportons nous, par exemple, à notre article SUPPOSER dont nous reproduisons ci-dessous les trois premières sous-parties, qui représentent à peu près la moitié de l'ensemble:

Le général suppose que des renforts vont arriver.

  1. A1 suppose A2 qu'il ne sait pas.

Il suppose que A2 phrase à l'ind. ou nom : A1, ayant un problème à résoudre , en connait certaines données , mais pas toutes. Il voudrait bien savoir si A2 a eu lieu dans le passé / a lieu actuellement / aura lieu dans l'avenir. Étant donné ce qu'il sait , il fait une supposition concernant A2. Telles et telles conditions étant réalisées, A1 peut penser logiquement que A2 est plus probable que son contraire. Mais de toutes façons, A2 est douteux . Le général suppose que les renforts vont arriver. - Le général suppose l'arrivée des renforts.

On constate que la moitié d'un article qui n'est pas des plus longs regroupe déjà 27 mots en capitales grasses, ceux qui ont leur place préférentielle et leur explication ici, et un nombre plus considérable de mots en capitales maigres qui constituent des renvois à des articles où ils sont traités plus complètement.

Au cours de notre rédaction, nous avons intégré bon nombre de mots qui, sans atteindre une fréquence de 500, nous ont paru indispensables, mais l'absence d'un mot sur la liste des plus de 500 a été dans certains cas un critère d'exclusion. Nous n'avons pas travaillé de façon rigide mais avec notre expérience du monde où nous vivons et notre sentiment de la plus ou moins grande utilité d'un élément ou d'un autre. La liste des fréquence a été notre servante, pas notre maitresse.

Index-papier ou cédérom, sachez vous en servir

Comment trouver un mot qui vous intéresse particulièrement, s'il n'est pas un mot vedette ? En le cherchant dans l'index, qui vous renverra à un article où vous le trouverez écrit en capitales grasses (pour la recherche sur cédérom, voir aide). Soit le mot POUMON qui, dans la liste du TLF, a la fréquence 1 000. Vous le trouverez en compagnie du verbe RESPIRER (fréquence 5 415) dans l'article AIR (fréquence 41 759). C'est là qu'il est traité de la façon la plus explicite. Mais bien sûr, cette place n'était pas la seule possible. Pourquoi ne pas traiter POUMON sous POITRINE (fréquence 6 515, que nous avons préféré, comme tête d'article, à SEIN , fréquence 7 771, qui apparait en deuxième position) ? Nous avons préféré l'associer à RESPIRER parce que, lorsque le référent d'un nom est un objet concret ayant une fonction, nous traitons ce mot de préférence avec le verbe qui exprime cette fonction. Ainsi les noms d'objets dont la fonction est de « contenir » d'autres objets sont répertoriés dans l'article CONTENIR .

Il arrive que l'index vous oriente vers plusieurs articles différents. C'est le cas lorsque nous n'avons pas trouvé de raison de préférer une place à une autre. Soit le mot PLATRE (fréquence 812). À quoi sert le plâtre ? Principalement à enduire les murs des maisons, à faire des moulages, à réparer les membres cassés. Vous trouverez donc ce mot, sans renvoi d'un article à l'autre, dans CONSTRUIRE (qui, avec son dérivé construction atteint la fréquence 6 337), ART , (fréquence 16 440) et CASSER (fréquence 4 128) que nous avons préféré, comme titre, à son synonyme BRISER (fréquence 6 989), comme plus usuel en français contemporain. Mais dans les cas de double possibilité ou de possibilités multiples, dont l'une s'impose plus que les autres, l'index donne une seule référence et nous pratiquons des renvois, en utilisant les capitales maigres. Ainsi, dans l'article AIR , on trouvera le mot POITRINE en capitales maigres et dans l'article POITRINE , le mot POUMON en capitales maigres.

Avec de fréquents retours à l'index si vous préférez la version papier, avec de simples clics de votre souris si vous avez opté pour le cédérom, le jeu des capitales grasses et des capitales maigres vous permet, chers utilisateurs, de circuler d'un article à un autre et de constituer des réseaux transversaux à ceux que nous vous proposons. Vous aurez ainsi la possibilité de travailler par thèmes alors que les articles que nous vous proposons sont des réseaux lexicaux.

Thèmes et réseaux

Celui qui travaille par thèmes prend pour point de départ un certain secteur de la réalité extralinguistique. (C'est la méthode qu'emploient la plupart des auteurs qui entreprennent de classer un vocabulaire.) La question qu'il se pose est : de quels mots ai-je besoin pour parler de cette réalité ? Supposons qu'il prenne pour thème la forêt : il constituera un ensemble linguistiquement hétérogène de noms d'arbres, de noms d'autres végétaux (mousses, champignons), de noms de parties non boisées (clairières, voies de communication), de noms d'animaux qui y vivent, de noms de personnes qui en vivent (bûcherons, gardes forestiers) avec quelques adjectifs, et très peu de verbes. Il constituera une documentation certainement utile aux randonneurs et aux professionnels du bois, mais de faible intérêt linguistique.

Le travail par thèmes aboutit à disjoindre les diverses acceptions des mots polysémiques, à isoler celle qui convient au thème retenu et à la coller comme une étiquette sur une certaine portion de notre univers extérieur ou intérieur. C'est le propre d'une conception encyclopédique de l'étude du lexique.

À l'inverse, celui qui travaille par réseaux prend pour point de départ un hyperfréquent, grosse machine sémantique, fortement polysémique, c'est-à-dire produisant nombre d'effets de sens divers, et la question qu'il se pose est : De quoi puis-je parler avec cet outil que la langue met à ma disposition, et avec son escorte de dérivés, de synonymes et d'antonymes ? Supposons qu'il prenne pour point de départ le mot feu : il permet, bien sûr de parler de chauffage et d'incendies mais aussi de toutes sortes de passions de l'âme, et la relation métaphorique entre l'un et l'autre a un véritable intérêt linguistique.

Le travail par réseaux aboutit à rendre compte de la polysémie du mot pris pour point de départ, qui n'est pas un fâcheux accident, mais un caractère fondamental du langage humain et de la cohérence sémantique interne du réseau qu'il commande. C'est le propre d'une conception linguistique de l'étude du lexique.

Si vous voulez constituer un vocabulaire sur le thème de la maison, circulez entre les articles MAISON , CONSTRUIRE , CHATEAU , HABITER , etc. Vous aurez l'embryon d'un vocabulaire technique, mais cela ne vous apportera aucune lumière sur la relation qui existe entre le verbe CONSTRUIRE , le mot STRUCTURE , et l'ensemble assez imposant des mots français à référents concrets ou abstraits formés sur une base -STRUCT- , ni sur le fait qu'on peut construire une phrase, un raisonnement et toutes sortes d'autres choses qui ne sont pas des bâtiments.

Le travail par thèmes, parfaitement justifié dans sa perspective propre, présente l'inconvénient de laisser de côté de grands verbes et des noms abstraits qui sont parmi les plus intéressants au point de vue linguistique. Quel est l'éventail des possibilités qu'offrent aux francophones ces extraordinaires machines sémantiques que sont des verbes comme FAIRE , PRENDRE , PASSER , PORTER , DONNER , ALLER et VENIR , MARCHER , etc. ? Ou des outils aussi usuels que les noms CHOSE , SUJET , OBJET , MÉTHODE , SYSTÈME , INTÉRÊT , etc. ?

Notre dictionnaire privilégie le travail par réseaux, mais permet, grâce au système des renvois, de travailler aussi par thèmes.

La structure de nos articles

Priorité à la polysémie et à l'ordre des acceptions

Il n'existe pas, de ce phénomène fondamental du langage, un type unique mais plusieurs. On peut même dire que chaque mot important est un système à lui tout seul, irréductible à un autre système, et qu'en lexicologie, passé le niveau de quelques grands principes généraux, il n'y a que des cas particuliers. Ne vous attendez donc pas à ce que nos articles soient, artificiellement, tous construits sur le même plan, ce qui aurait été contraire à la nature des choses. Nous avons essayé de traiter la polysémie de chaque hyperfréquent en profondeur, en classant ses différentes acceptions dans l'ordre le plus intelligible possible, qui souvent s'impose de façon contraignante et parfois, laisse au lexicographe une certaine latitude de choix.

Il existe toutefois deux types particulièrement importants de polysémie.

Reportez-vous à l'article OR et ARGENT . Vous ne serez pas surpris que nous traitions d'abord des emplois où il s'agit de ces métaux précieux dans leur usage le plus concret, ensuite de leur emploi particulier dans la frappe des monnaies, et en troisième lieu de l'argent abstrait, matérialisé par une ligne sur un relevé bancaire ou une puce dans une carte électronique. Passer de l'un à l'autre dans l'ordre inverse serait inintelligible. Nous avons affaire, ici, à un mouvement de pensée qui a donné naissance à la figure de rhétorique appelée « métonymie ». Chaque emploi utilise un élément sémantique du précédent en le combinant avec d'autres, de sorte que le dernier n'a plus qu'un rapport ténu, sinon parfois inexistant avec le premier. Les articles de ce type sont relativement rares parce que la métonymie engendre des polysémies à cohérence faible, avec des emplois très disjoints, qui se trouvent souvent dispersés dans plusieurs articles.

Reportez-vous maintenant à l'article DEVOIR . Dans la première partie, où Jean doit de l'argent à son garagiste, Jean, en contractant une dette a engagé son avenir ; il a maintenant une obligation, mais il reste possible qu'il ne s'acquitte pas de cette obligation ; s'il s'en acquitte, ce qui reste à l'état d'hypothèse, ce qu'il fera au terme fixé aura pour cause ce qu'il a fait le jour où il a contracté cette dette. D'une partie à l'autre, vous verrez s'appauvrir cet ensemble sémantique riche et complexe et apparaitre l'obligation qui ne résulte pas d'un contrat formel mais d'un simple « contrat social » non négociable ni négocié, individuellement du moins (Tout le monde doit respecter le code de la route), avec son corollaire, le nom devoir (En soignant ses malades, le médecin fait son devoir), puis la « dette de reconnaissance » dont on ne connait pas le montant et qu'on n'a jamais fini de payer (Nous devons la vie à nos parents) puis la simple relation de cause à effet (L'épidémie de choléra est due à une mauvaise hygiène) avec son corollaire la nécessité (Max doit se soigner, pour guérir) et enfin la simple probabilité (Le typhon doit atteindre l'ile dans les prochaines heures). Passer de l'un à l'autre dans l'ordre inverse serait inintelligible. Nous avons affaire, ici, à un mouvement de pensée qui a donné naissance à la figure de rhétorique appelée «métaphore ». Les articles de ce type sont relativement fréquents parce que la métaphore engendre des polysémies à cohérence forte, avec des emplois très conjoints, qu'il est facile de regrouper dans un seul article. Nous avons trouvé chez le linguiste Gustave Guillaume, qui n'était pas lexicologue, et nous l'avons adapté au lexique, la notion de « mouvement de pensée » et la raison d'être théorique de cet ordre qui va du plus riche au plus pauvre, et dans le cas de mots à référent concret, du plus concret au plus abstrait.

Nous prenons en grande considération les locutions figurées figées où le mot étudié ne peut être remplacé par aucun autre, toujours signalées par le signe ¶ , qui révèlent souvent, dans le mot concerné, un symbolisme secret. Dans le cas où elles sont nombreuses et cohérentes entre elles, nous les regroupons en fin de partie ou en fin d'article (comme c'est le cas dans l'article OR et ARGENT ). Dans le cas où elles sont plus isolées, nous les traitons au plus près des emplois libres et du sens propre des mots concernés.

 

Parties, sous parties et exemples-titres

Nos articles sont divisés en plusieurs grandes parties ayant pour titre une phrase simple précédée d'un chiffre romain. Ensuite viennent des sous-parties signalées par des chiffres arabes. Chacune de ces grandes parties est consacrée à une des acceptions principales du mot-vedette.

Avant toute définition, la phrase simple a pour raison d'être de présenter le mot-vedette en contexte. Il arrive même que le contexte soit assez clair pour qu'on puisse faire l'économie d'une définition ou se contenter d'une définition sommaire. Les verbes ont besoin de noms et les noms ont besoin de verbes pour fonctionner. Tout nom ne s'associe pas à n'importe quel verbe, tout nom ne s'associe pas à n'importe quel adjectif. L'étude et la mise en lumière de ces compatibilités est évidemment une partie importante de notre tâche.

Nous ne définissons pas les verbes à l'infinitif, qui présente l'inconvénient d'occulter le sujet. Nous les définissons à un temps conjugué, le plus souvent à la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif.

En effet, nous considérons qu'ils ne peuvent être valablement définis sans que soient catégorisés leur sujet et leurs compléments essentiels, que nous appelons leurs « actants » comme le linguiste Lucien Tesnière. Mais nous ne nous limitons pas comme lui, qui était syntacticien alors que nous sommes lexicologues, à trois actants. Nous n'utilisons la syntaxe que comme auxiliaire de l'analyse du sens et nous avons étendu l'emploi de ce terme selon les nécessités de notre travail.

N'ayez pas peur des « A » ! Ce ne sont que des actants !

La phrase-titre est toujours accompagnée de sa structure actancielle abstraite, car il est évident qu'un exemple est toujours trop particulier pour être entièrement significatif. Soit, dans l'article ASSOCIER :

Jean a associé Marie à ses travaux.

x A1 humain associe A2 à A3.

Cette structure abstraite, permettant toutes les généralisations, est la base de nos définitions. Tout collégien frotté d'un peu d'algèbre sait qu'une variable peut prendre diverses valeurs comme c'est le cas ici.

« A » signifie actant et le numéro qui lui est attribué restera toujours le même, quelque transformation que puisse subir la phrase de base. Ainsi Marie est associée aux travaux de Jean se réécrira : A2 est associé à A3 de A1.

Nous considérons qu'un mot ne perd pas sa qualité d'actant en entrant dans une structure nominale. Ainsi l'association de Marie aux travaux de Jean se réécrira : l'association de A2 à A3 de A1.

Certains verbes, comme PASSER , nous imposent d'en distinguer un plus grand nombre, et ces actants ne sont pas nécessairement des noms. Ils peuvent être un infinitif, une proposition - complétive par que ou interrogative indirecte -, un adjectif, dans le cas où un verbe appelle nécessairement un attribut, et même parfois un adverbe, par exemple dans un cas comme Les affaires de Marc vont mal, soit A1 va A2 adv.

Nous considérons comme compléments « essentiels » au fonctionnement de certains verbes des compléments traditionnellement tenus pour « circonstanciels ». Il est bien évident que le verbe ALLER ne peut pas fonctionner sans un complément de lieu : Je vais à Paris ni le verbe DURER sans un complément de temps : Le voyage dure deux heures. Comparons, par ex. le « complément de moyen » et le « complément de lieu » dans les deux phrases : Marc lit son journal avec ses lunettes, dans son fauteuil et L'agresseur a frappé sa victime à la tête avec un bâton. Nous ne les prenons pas en compte dans le cas du verbe LIRE alors que nous les prenons en compte et leur attribuons un « A » numéroté dans le cas du verbe FRAPPER . Pourquoi ? Parce que, à la différence de la première, la seconde phrase se prête à des transformations dans lesquelles ces deux compléments dits « circons-tantiels » mais en fait presque aussi essentiels que des compléments d'objet direct, deviennent sujet, complément d'objet, complément d'agent : Le bâton de l'agresseur a frappé la victime à la tête. - Le bâton a frappé la tête de la victime. - La tête de la victime a été frappée par le bâton.

Dans l'ensemble, les structures actancielles suffisent à préciser la syntaxe particulière aux mots étudiés. Néanmoins, il nous a paru parfois nécessaire de signaler par l'abréviation GR. une sous-partie consacrée à certaines remarques grammaticales : certaines règles d'accord, certaines particularités morphologiques, les constructions d'un verbe à la syntaxe un peu compliquée.

Nos actants sont spécifiés de façon très souple

Un « A » peut être non seulement humain, concret, abstrait mais recevoir des déterminants beaucoup plus précis. Exemple : Jeannot ¶ fait ses devoirs : A1 enfant ¶ fait ses devoirs. - Luc porte sa valise à la gare : A1 humain porte A2 concret à A3 spatial. - Luc porte un blouson noir : A1 humain porte A2 vêtement.

Nous employons parfois la spécification « vivant » lorsqu'il s'agit d'états, de processus ou de fonctions élémentaires et fondamentaux comme la naissance, la croissance, la mort, la respiration, la nutrition, la reproduction, qui sont communes au règne végétal et au règne animal, mais rarement la spécification « animé » ou « animal ». Nous savons bien qu'il y a des chiens intelligents et fidèles, des chats affectueux, des poules qui sont des mères attentives, mais nous avons remarqué que linguistiquement, les animaux dits « supérieurs » sont traités comme des hommes lorsque leur comportement peut être assimilé, au moins en apparence, à un comportement humain. Nous ne leur faisons donc pas un sort particulier.

Exemples et noms d'actants

Pour atténuer l'aspect rebutant des formules d'allure algébrique, nous donnons un grand nombre d'exemples forgés par nous. Ils ont trait, pour la plupart, sans la moindre recherche d'originalité, à la vie la plus quotidienne, et, l'actant humain ayant une importance toute particulière, nous avons toute une panoplie de prénoms qui nous servent à saturer les places où apparait cet actant. Bien entendu, ces prénoms sont de purs bouche-trous. Nous écrivons un dictionnaire, pas un roman. Néanmoins, au fil du temps, et d'un article à l'autre, ces actants sont devenus des sortes d'acteurs, ont pris un semblant de personnalité, et nous leur avons distribué certains rôles.

Jean et Sylvie sont mariés et font bon ménage. Ils ont deux enfants, Sylviane et Jeannot, Mais le diminutif -ot signalant immédiatement son porteur comme un enfant, nous utilisons beaucoup plus souvent Jeannot que Sylviane, qui se cantonne dans les rôles de petite fille ou de jeune fille. Jean est directeur d'école, Sylvie professeur d'anglais. Ils habitent à Caen. Max et Léa forment un couple orageux, en instance de divorce. Léa fait une thèse (dont le sujet varie d'un article à l'autre). Ils habitent à la campagne. Marc est chef d'entreprise et gagne bien sa vie, non sans problèmes. Il nous est utile notamment quand il est question d'économie et de finances. Luc, comptable, célibataire, est son employé. Éric est un individu de moralité douteuse que nous chargeons de tous les délits, procès, affaires avec la justice dont nous avons besoin dans nos exemples. Lucie est pianiste. Marie n'a d'autre utilité que de fournir un personnage féminin quand nous sommes embarrassés de faire faire à Sylvie ou à Léa des actions en contradiction avec leur personnage tel qu'il s'est peu à peu esquissé.

Ces personnages apparaissent, selon les besoins de l'article en cours, à divers moments de leur existence. Jean et Sylvie sont tantôt fiancés et jeunes mariés, tantôt chargés de famille. Jeannot est tantôt un bébé, tantôt un écolier, tantôt un grand adolescent. Tel quel, nous espérons que ce petit réseau d'amis et connaissances donnera un certain attrait à notre travail.

On verra aussi surgir, de-ci, de-là, des personnages plus illustres. Vous rencontrerez le coureur de Marathon, la Pythie et l'oracle de Delphes, Abel et Caïn, la belle Hélène, Jules César et Napoléon, des personnages mythologiques ou historiques, de loin en loin, une citation passée en proverbe, une allusion à la Bible et aux Évangiles, au théâtre de Molière ou aux fables de La Fontaine. Tout cela fait partie d'un fonds culturel français que nous n'avons pas exploité systématiquement, mais que nous n'avons pas occulté non plus.

Le panorama lexical

Caractères principaux de notre sélection

Le caractère verbal et abstrait des mots de haute fréquence saute aux yeux. C'est le verbe qui structure la phrase et offre aux noms les places qu'ils occuperont. On ne sera donc pas étonné de la prédominance des verbes dans les hyperfréquents utilisés comme entrées : la liste de nos articles comporte un grand tiers de verbes, un grand quart de noms à référent abstrait, environ un huitième d'adjectifs et un huitième de noms à référents concrets dans leurs emplois propres, plus une pincée de prépositions et d'adverbes plus chargés de sens que d'autres mots grammaticaux.

La plupart des adjectifs sont des dérivés, et ceux qui ont un caractère fondamental, adjectifs de sensations ou de sentiments, reposent, en dernière analyse, sur des structures verbales : dans la définition de dur, interviendront nécessairement les verbes appuyer, résister, casser, etc.

La plupart des noms à référent abstrait reposent sur des structures verbales : on ne peut pas définir le mot liberté sans avoir défini préalablement le verbe contraindre.

L'expérience nous a montré qu'il existe deux types d'articles fondamentalement différents : Ceux dont le mot-vedette est un verbe et ceux dont le mot-vedette est un nom, notamment un nom à référent concret, cas relativement rare, on l'a vu, dans ce dictionnaire. Cette rareté tient à ce qu'ils dénotent pour la plupart des objets particuliers dont on ne parle, de façon aléatoire, que lorsque le contexte et la situation l'exigent, et qui n'ont donc pas de fréquence significative du point de vue statistique. Dans le domaine animal, par exemple, nous ne trouvons, parmi les hyperfréquents, que les mots ANIMAL , BÊTE , OISEAU , CHIEN et CHEVAL . Nous avons donc regroupé les noms des animaux les plus familiers sous ces entrées et occasionnellement sous quelques autres, sans aucune recherche d'exhaustivité ni de précision zoologique.

Lexique et culture

Les articles qui ont pour entrée un nom nous ont posé le problème de l'encyclopédisme.

Les noms hyperfréquents à référent concret désignent des réalités tout à fait basiques : les quatre éléments, le jour et la nuit, le soleil et la lune, le ciel, la terre et la mer, les parties du corps, la maison, etc. Soit l'article SOLEIL et LUNE sous lequel on trouve entre autres mots savants, certes, mais universellement connus, ÉQUINOXE , SATELLITE , ÉCLIPSE , RAYONNEMENT , RADIATION , les mots en HÉLIO- et les quatre points cardinaux. Allons-nous en faire une leçon d'astronomie ou de physique ? Certainement pas.

Soit l'article CHEVAL : fallait-il y intégrer tout ce qu'en disent les zoologistes et les moniteurs d'équitation ? Pas davantage. Par contre nous avons collectionné soigneusement ce qui nous parait avoir le plus d'intérêt linguistique : les locutions fort nombreuses du genre ¶ donner un coup de collier, ¶ prendre le mors aux dents, ¶ mettre le pied à l'étrier, etc. Nous les avons élucidées, classées, et elles nous ont servi de guide pour sélectionner, dans l'ensemble du vocabulaire du cheval les mots qui permettent de parler de choses non chevalines, et qui révèlent, dans l'inconscient des francophones, une certaine image du cheval qu'il y aurait grand intérêt à comparer avec l'image du cheval qui doit exister dans l'inconscient des locuteurs d'autres langues. Est-ce que le cheval arabe, par exemple, ressemble, linguistiquement parlant, au cheval français ?

Notre point de vue n'est nullement encyclopédique, parce que notre but est de montrer le fonctionnement de la langue et non d'apporter un enseignement scientifique sur le monde. Les mots « concrets » usuels étant, pour tout un chacun, le point d'ancrage de la langue sur l'univers, leur définition ne suppose rien d'autre que la connaissance commune des réalités auxquelles ils réfèrent. Nous faisons donc état, en étudiant leur vocabulaire, de ce qui nous semble être le savoir du non spécialiste moyen, quitte à ce que le spécialiste y voie parfois sinon une erreur du moins de l'à-peu-près.

Qui veut approfondir sa connaissance du vaste monde devra acquérir les termes propres aux différentes spécialités qui s'apprennent tout naturellement quand on pratique ladite spécialité et ne sont pas le gibier de l'enseignant de français. En ce domaine, les meilleurs professeurs sont les spécialistes.

Les noms hyperfréquents à référent abstrait dénotent souvent des réalités sociologiques et institutionnelles comme FAMILLE , ÉCOLE , ÉTAT , NATION , POLITIQUE , RELIGION , etc. Là pas plus que dans le cas des noms concrets notre intention n'est de faire de brèves monographies sur les réalités en question.. Notre article CUISINE n'est pas un abrégé de livre de cuisine. Notre article POLITIQUE n'est pas un cours élémentaire d'instruction civique. Notre article CHRÉTIEN n'est pas un petit catéchisme. Nous nous contentons de présenter de façon ordonnée le vocabulaire de base dont un francophone a besoin pour parler des dites réalités.

Reste que le regroupement en un seul article de mots qui sont dispersés dans les autres dictionnaires entre les 26 lettres de l'alphabet dessine un certain tableau de la culture française. Nous ne traitons pas ici de mots grammaticaux particulièrement neutres et passe-partout. Nous traitons de mots lexicaux porteurs de sens qui tous ont une histoire dont nous n'ignorons pas qu'elle peut encore soulever des passions. Nous nous efforçons de présenter paisiblement et honnêtement dans son usage en français moderne un lexique qui porte le poids de son passé.

Étant donné l'évolution incessante du vocabulaire, consécutive à celle de la société, la partie nominale de ce dictionnaire est celle qui devrait vieillir le plus rapidement. Par contre la partie verbale et adjectivale devrait résister plus longtemps à l'épreuve des années.

Étant donné la nature du corpus sur lequel repose la liste de fréquence du TLF, nos articles, à supposer qu'ils soient bien assimilés, devraient permettre à l'utilisateur non seulement de s'exprimer en français du XXIe s., oralement ou par écrit, mais aussi d'accéder sans difficulté majeure à la littérature française des XIXe et XXe s. S'ils rendaient relativement facile aux jeunes d'aujourd'hui la lecture de grands romans comme ceux de Balzac, de Zola, de Camus, ou l'accès au théâtre de Musset, d'Anouilh, de Montherlant, et, bien entendu, aux ?uvres des auteurs contemporains, nos v?ux seraient comblés.

Des exercices de vocabulaire suggérés aux enseignants

Enseignants, qui éprouvez peut-être, devant l'immensité apparente du lexique, une sorte de vertige, et n'êtes pas entièrement satisfaits de n'expliquer que des mots rares au hasard de ce que vous apportent les textes ou les situations vécues, nous voudrions attirer votre réflexion sur quelques faits et quelques principes.

Les chiffres que nous vous avons donnés : 442 articles, 15 000 mots, ne sont pas astronomiques. On peut, au cours d'une scolarité primaire et de premier cycle du secondaire, faire le tour et l'acquisition d'un vocabulaire utile relativement étendu.

Il n'est pas nécessaire d'attendre que l'élève « en sente le besoin » et il est hasardeux de compter sur les lectures de jeunes qui lisent peu ; une « base affective» ne s'impose pas plus pour ce genre d'enseignement que pour celui de la grammaire, du calcul, de l'histoire ou de la géographie. nous pensons vous fournir les bases d'une présentation systématique de cette partie de la langue permettant de faire de vraies leçons de vocabulaire.

Il est amusant et instructif pour de petits enfants de coller des noms sur les choses, mais cet étiquetage est d'un faible rendement linguistique. Qu'on n'oublie jamais le rôle central du verbe dans la phrase et que l'apprentissage du vocabulaire lui réserve sa juste place, qui est grande.

Vous avez deux tâches à remplir, en matière lexicale : enrichir le vocabulaire de vos élèves, et les aider, au milieu de cette richesse, à trouver le mot le plus juste dans un contexte et une situation donnés. L'enrichissement se fait, en allant du connu vers l'inconnu, des hyperfréquents, que personne ne peut ignorer, jusqu'aux mots de moyenne fréquence sans rechercher systématiquement des mots extraordinaires. La méthode des réseaux lexicaux et le jeu des structures actancielles permet un foisonnement rapide.

La recherche du mot juste se fait par la comparaison des parasynonymes, jamais totalement substituables l'un à l'autre, dont nous avons trouvé une bonne liste dans l'article SUPPOSER présenté ci-dessus. On peut imaginer une situation du genre de celle du général qui attend des renforts et tenter d'y faire fonctionner toutes les manières répertoriées d'exprimer l'hypothèse afin de détecter les impossibilités ou les improbabilités dans ce contexte précis, les nuances de sens et les niveaux de langage.

Il vous est loisible d'acquérir la version cédérom « réseau » permettant l'emploi simultané du dictionnaire par plusieurs utilisateurs (renseignements sur le site www.deboeck.be/prod/picoche). Mais que vous disposiez d'un tableau noir et d'un bâton de craie ou d'un réseau d'ordinateurs qui feront apparaitre à l'écran les articles de votre choix sous les yeux des élèves, les principes de base restent les mêmes. Il s'agit de chercher à leur faire trouver eux-mêmes le plus grand nombre possible des mots concernés, ou de les leur fournir en appelant leurs commentaires et en suscitant leur utilisation. Et de prendre conscience qu'il est plus logique d'étudier un vocabulaire avant de composer ou d'étudier un texte qu'après. C'est avant d'utiliser un outil qu'il faut lire son mode d'emploi, pas après. Or les mots sont les outils qui servent à composer ou à décomposer des énoncés, bref à s'exprimer et à comprendre ce que les autres expriment.

On envisagera ci-dessous une utilisation au collège, mais il va de soi que des adaptations sont possibles, selon le degré de réceptivité de l'auditoire, et avec des commentaires plus ou moins savants, de l'école maternelle à l'université.

Préparation à la rédaction

Il est peu d'articles qui ne puissent faire germer l'idée de quelques sujets de rédaction, et fournir le matériel lexical nécessaire. Et on s'apercevra sans doute que les actants humains deviennent facilement les acteurs de petits récits ou saynètes.

Supposons qu'un enseignant propose à ses élèves d'écrire quelques paragraphes sur le sujet Une bonne promenade ou Un groupe de randonneurs en action. Bien entendu, les trois quarts d'entre eux ne sauront pas quoi dire parce qu'ils n'ont peut-être pas une grande expérience de cette activité, et surtout parce qu'ils ne mobilisent pas le vocabulaire utile, soit qu'ils l'ignorent, soit qu'il ne leur vienne pas spontanément à l'esprit. Le maitre va donc leur délier la langue en exploitant prioritairement les parties I et II de l'article MARCHER qui mettra immédiatement à leur disposition la MARCHE (avec les ¶ chansons de marche) et le PAS des bons MARCHEURS , qui marchent ¶ d'un bon pas, ¶ d'un pas léger. ¶ Allongent / pressent le pas. Il pensera à la différence entre marcher normalement ou sur la pointe des pieds, marcher sur un sol dur et marcher dans quelque chose de mou, marcher sur un objet qu'on écrase du pied.

L'élève s'avisera que chaque marcheur a une DÉMARCHE , ou façon de marcher, qui lui est particulière : il marche d'un pas décidé / fièrement / tête haute ou tête basse / en trainant les pieds. Il peut ¶ revenir sur ses pas, marcher sur les pas de quelqu'un, lui ¶ emboiter le pas. Il distinguera ARPENTER un espace, TROTTER , TROTTINER, TITUBER , TRÉBUCHER , BOITER , être BOITEUX .

Tout marcheur est un PIÉTON mais tout piéton n'est pas un SPORTIF qui fait de la ¶ course à pied, ou simplement des RANDONNÉES (ou de la randonnée): de longues marches à itinéraire précis, avec d'autres RANDONNEURS en suivant des ¶ SENTIERS de randonnée et qui compte les distances en ¶ heures de marche.

Tout piéton n'est pas non plus un PROMENEUR qui se PROMÈNE , fait une petite ou grande PROMENADE pour prendre l'air et faire un peu d'exercice, syn. fam. se BALADE , fait une BALADE ,. syn. très fam. VADROUILLE , perd son temps en VADROUILLE , un FLÂNEUR , peu pressé, intéressé par ce qu'il y a à voir en chemin, qui FLÂNE , qui s'abandonne à la FLÂNERIE , qui DÉAMBULE tranquillement dans un lieu agréable planté d'arbres parfois appelé promenade, et qui parfois y promène son chien.

On pourra jeter un coup d'?il sur l'articles PIED pour y trouver la CHEVILLE , sujette aux ENTORSES , la ¶ PLANTE des pieds, et le TALON sujet aux AMPOULES , les mots BIPÈDE , et PÉDESTRE , les verbes PIÉTINER et TALONNER et des locutions comme ¶ regarder où on met les pieds, ¶ trainer les pieds, ne plus arriver à ¶ mettre un pied devant l'autre. Un coup d'?il aussi à l'article JAMBE qui fournira le verbe ENJAMBER , marcher ¶ à grandes ENJAMBÉES , GAMBADER et ¶ traîner la jambe, ce qui est le cas de ceux qui ¶ ne tiennent plus sur leurs jambes, qui sont sur les genoux parce que leurs jambes ¶ ne les portent plus, qui FLAGEOLENT et s' ACCROUPISSENT .

Il y a des manières terribles de marcher : Garibaldi marche sur Rome : il est peut-être à cheval ; mais son mouvement est régulier et puissant ; la victoire est en vue ! Dans un effort héroïque, le sous-lieutenant marche au feu, au combat, à la mort, à la gloire. - Le condamné marche au supplice.

Il y a des manières anormales de marcher, celle du VAGABOND qui VAGABONDE , qui ERRE d'un endroit à un autre, sans plan précis, ou celle du RÔDEUR inquiétant qui RÔDE aux alentours de certains lieux habités avec des intentions louches.

Il y a des manières militaires et officielles de marcher : Au commandement de ¶ En avant ! Marche ! les FANTASSINS , membres de l' INFANTERIE , ¶ marchent au pas, DÉFILENT en RANG , pour le DÉFILÉ du 14 juillet. Les premiers ¶ ouvrent la marche, les derniers ¶ ferment la marche. On forme un CORTÈGE dans une manifestation, ou pour ESCORTER un personnage officiel, une PROCESSION dans une cérémonie religieuse.

Ces types de marche n'entrent pas dans le sujet, mais peuvent fournir aux apprentis stylistes des comparaisons, et des touches humoristiques.

Enfin, un rapide balayage de la totalité de la polysémie du verbe MARCHER fournira la clé du plaisir de la marche : une activité facile, régulière, tout à fait naturelle et satisfaisante ou les jambes du bipède fonctionnent comme une mécanique bien réglée.

Avec tout cela les élèves sont outillés pour faire chacun leur petite ?uvre personnelle ou bien, en classe, avec l'aide de leur professeur, une rédaction collective.

C'est tout ce que nous ferons de la partie III du verbe MARCHER , celle où il signifie FONCTIONNER ? C'est tout pour ce sujet-là. Mais supposons que, la fois suivante, le sujet soit Le collège est un grand corps où chacun a sa fonction. Elle y serait largement exploitée en compagnie des articles CORPS et FONCTION .

Préparation à l'explication d'un texte

Il y a généralement dans le texte que vous vous proposez d'expliquer une idée dominante. Si vous voulez que vos élèves soient à l'aise pour le commenter, vous aurez intérêt à prendre cette idée pour thème et à procéder à un balayage des articles concernés.

Supposons que vous souhaitiez aborder l'Avare de Molière. Les élèves n'y comprendront rien ou pas grand chose s'ils ne savent pas ce que c'est qu'un USURIER et ce que signifie ¶ PRÊTER à intérêt, ¶ prêter sur gage, EMPRUNTER , s' ENDETTER . Il sera donc utile de les faire circuler entre les articles OR et ARGENT , DEVOIR , INTÉRÊT , de mettre en place l'opposition entre l' AVARICE et la PRODIGALITÉ et de passer de l' AVARICE (qui se trouve sous OR et ARGENT ) à la CUPIDITÉ qui se trouve dans l'article DÉSIRER avec la CONVOITISE . Car enfin, Harpagon ne convoite pas seulement de l'or, et ce sont ses convoitises désordonnées qui font le malheur de sa famille.

Il y a fort à parier que si ces notions-là sont bien acquises, avec leur vocabulaire, la lecture du texte deviendra beaucoup plus passionnante que s'il était abordé tout de go.

Exercices de classement

En vue de rendre conscients les mécanismes de la polysémie, notamment la métaphore et la métonymie, on peut présenter dans le désordre, en dehors des perspectives textuelles ci-dessus, un certain nombre d'exemples, et demander aux élèves de les classer comme s'ils avaient à faire un article de dictionnaire, sans omettre de leur donner quelques locutions figées et figurées à placer au bon endroit et à expliquer.

Ce travail sera plus fructueux s'il porte sur un couple de ces parasynonymes si proches l'un de l'autre qu'on a l'impression qu'il y a là une prodigalité inutile, et que la répartition obligatoire de la plupart de leurs emplois, à mémoriser sous peine de produire des énoncés inacceptables, a un caractère arbitraire, donc absurde.

On verra qu'il n'en est rien si on travaille à l'aide de certains de nos articles à titre double comme SAVOIR et CONNAITRE ou MOT et PAROLE . En fait ces parasynonymes apportent des points de vue différents sur la même réalité. SAVOIR penche du côté de la science agissante, CONNAITRE du côté de la culture désintéressée. Le MOT n'est qu'un signe linguistique ; la PAROLE engage celui qui la prononce.

Des faits de ce genre, qu'on ne peut constater qu'en prenant en considération la polysémie complète des deux mots, paraissent de nature à faciliter grandement aux allophones la mémorisation des locutions figées dont l'importance est si grande dans les langues. Ils découvriront peu à peu que c'est dans la cohérence des polysémies et dans ces locutions qui, tout en étant traduisibles, ne sont pas exactement superposables l'une à l'autre, que réside en grande partie l'originalité d'une langue par rapport à une autre langue, chacune étant porteuse d'une certaine « vision du monde ».

Exercices à trous

Ils sont indémodables et faciles à réaliser. Il suffit de reproduire un choix d'exemples, d'en ôter les mots sur lesquels porte l'exercice, d'en dresser la liste et de demander aux élèves de les placer au bon endroit. C'est essentiellement un test d'évaluation permettant de savoir, d'entrée de jeu, à quel niveau se situent les compétences de l'élève et les lacunes qu'il s'agit de combler, ou bien comme conclusion à des exercices déjà faits pour vérifier s'ils ont été bien assimilés.

Nous n'insisterons par sur les exercices portant sur la dérivation et la composition, les préfixes et les suffixes, qui ont certes leur utilité, parce qu'ils sont classiques et bien connus de tous et qu'ils ne sont pas dans le droit fil de notre recherche.

Nos articles se présentent donc comme de grandes leçons de vocabulaire que vous aurez à adapter à votre public, en les simplifiant, ou en n'en retenant qu'une partie. Dans ce domaine aussi, soyez interactifs ! Si vous avez mis au point des exercices qui marchent bien dans votre classe, à un certain niveau, envoyez-les à l'éditeur, qui les transmettra aux auteurs. Ils pourraient enrichir les suggestions et exercices qui seront proposés sur le site internet du dictionnaire et connaitre un jour une plus large diffusion.

Terminologie, orthographe et abréviations

Terminologie

Nous en employons le moins possible dans nos articles et cette terminologie est parfaitement classique et du niveau d'une grammaire élémentaire. Toutefois certains termes méritent d'être précisés.

 

Le référent d'un mot est l'objet, ou la situation, ou l'action extra-linguistique qu'il sert à désigner. Le référent du mot table, au moment où j'écris, est la « table » sur laquelle j'écris. Si je dis : « Il y a trop de papiers sur ma table », le mot table réfère à cette table particulière.

 

Les adjectifs concret et abstrait qualifient un grand nombre de nos actants.

Une chose est certaine, c'est que tous les mots d'une langue sont abstraits en ce sens qu'ils s'appliquent à tous les objets d'une même catégorie. Il n'y a pas de langage sans abstraction. Néanmoins, on peut dire qu'un nom est concret lorsqu'il est apte à réfèrer à quelque chose dans l'univers qui est objet de sensation et de mesure.

Reprenons l'exemple Luc porte sa valise, soit A1 humain porte A2 concret : le mot occupant la place « A2 » doit, dans cette acception du verbe PORTER , être objet de sensation et de mesure, et dans ce cas particulier, un objet concret pesant, ce qui est le cas d'une valise. Mais on peut aussi qualifier de concret un son et toutes sortes d'ondes, de radiations, d'êtres microscopiques qui ne sont pas directement objets de sensation mais peuvent être décelés et mesurés par les instruments adéquats.

Ce n'est pas le cas du mot JUGEMENT que nous trouverions dans l'exemple Luc porte un jugement sur Éric. Le mot jugement qui résume une simple relation entre deux termes, la personne qui juge et l'objet jugé est évidemment un mot abstrait.

Autre exemple Sylvie aime l'eau : A1 humain aime A2 concret. - Sylvie aime se baigner : A1 humain aime A2 inf. - Sylvie apprécie une bonne baignade : A1 humain apprécie A2 abstrait. Ce qui est concret, dans l'affaire, c'est le corps de Sylvie et l'eau. La BAIGNADE est une action par laquelle deux êtres concrets sont mis en relation. Un nom d'action est un mot abstrait. Comme tous les verbes, BAIGNER , d'où dérive le nom d'action baignade, a pour rôle d'établir des relations entre lui-même et un ou plusieurs actants. Il est donc essentiellement abstrait.

Lorsque nous parlons des emplois concrets d'un verbe, cela signifie les emplois où ses actants réfèrent à des objets concrets. Si je dis Les passants marchent dans la rue, j'ai affaire à un emploi dit « concret » du verbe MARCHER parce que les passants sont des êtres de chair et de sang, munis de jambes qui prennent appui sur le sol. Si je dis L'entreprise de Marc marche bien, j'ai affaire à un emploi dit « abstrait » parce qu'une entreprise n'est rien d'autre qu'un ensemble de relations et que le locuteur porte sur cet ensemble de relations un jugement qui est lui-même une relation entre l'entreprise et lui-même. Nous avons affaire, là, à une métaphore fondée sur la régularité et le caractère satisfaisant de l'acte de marcher.

Dernier exemple : le nom ÉTABLISSEMENT, dérivé du verbe ÉTABLIR, est évidemment abstrait. Mais si vous dites Les établissements Richard se trouvent sur la zone industrielle vous référez à des bâtiments de ciment et de plâtre parfaitement concrets.

Bref, le concret est de l'ordre de l'être, l'abstrait de l'ordre du fait. Nous n'écrirons jamais (ce qui est tout à fait légitime dans un discours non linguistique) *Un bon salaire, c'est du concret parce que rien n'est plus abstrait que l'argent.

Nous insistons sur ce point parce que le passage du concret à l'abstrait est le fait de toutes les métaphores qui jouent un si grand rôle dans l'évolution des mots et l'organisation de leur polysémie, et, dans certains cas, comme ci-dessus pour ÉTABLISSEMENT , le passage de l'abstrait au concret est le fait de métonymies qui y jouent également un rôle non négligeable.

Il nous arrive aussi d'employer le mot locuteur pour dire « la personne qui parle », celle qui est supposée énoncer l'exemple dont il est question.

Dans la préface ci-dessus, nous avons employé, à propos de nos hyperfréquents, tantôt le mot vedette, tantôt le mot entrée. Une entrée dans un dictionnaire est une tête d'article, que l'utilisateur trouve à sa place alphabétique, suivie des explications nécessaires. Pourquoi avons-nous choisi comme entrées des hyperfréquents ? Parce que, par rapport aux autres mots de la même famille sémantique regroupés dans un réseau lexical, ils étaient les plus en vue, jouaient le rôle de vedettes.

 

Nous employons aussi tantôt le mot lexique tantôt le mot vocabulaire. Ces deux mots ne sont pas exactement synonymes. On admet, conventionnellement, que le lexique d'une langue est la totalité des mots et termes qui peuvent être employés dans cette langue ; il est en toute rigueur quasi-impossible à évaluer si l'on prétend y faire entrer les mots de toutes les régions, de tous les milieux sociaux, de toutes les spécialités, sans oublier les néologismes et les archaïsmes.

Un vocabulaire est la portion du lexique employé habituellement par tel ou tel locuteur, par tel auteur dans telle ?uvre, par les spécialistes de telle spécialité.

On comprend que, dans cet ouvrage, nous ne prétendons pas donner un tableau d'ensemble du lexique français mais un assez large vocabulaire usuel. Cependant, la sélection est faite par des lexicologues, spécialistes des problèmes posés par l'étude du lexique. C'est une sélection lexicale.

Orthographe

Novateurs en lexicologie, comment pourrions-nous être conservateurs en orthographe ? Nous nous sommes conformés aux Rectifications et recommandations orthographiques, adoptées par l'Académie française et qui ont paru au journal officiel du 6 décembre 1990, tout en sachant qu'elles ont un caractère facultatif et que l'ancienne orthographe ne peut être considérée comme fautive. Elles touchent un petit nombre de mots et la plupart du temps le lecteur ne s'aperçoit pas qu'un texte est écrit en orthographe réformée.

Celles que nous avons eu l'occasion d'appliquer sont sous-tendues par les principes suivants :

- L'accent circonflexe peut être supprimé sur i et sur u, sauf dans les terminaisons verbales et dans les cas où la suppression entrainerait une homonymie, ou plus exactement une homographie. Nous écrivons donc abime, comme crime, bruler comme hurler, voute comme route, etc. tout en regrettant que pour cause d'homonymie il nous faille écrire un fruit mûr à côté de une pomme mure et il jeûne à côté de jeuner.

- Certaines anomalies sont rectifiées. Ainsi nous écrivons assoir et non asseoir, joailler et non joaillier, etc.

Respect des directives européennes

Le Comité de l'Éducation, organe du Conseil de la coopération culturelle, lui-même organe du Conseil de l'Europe, a publié « Un cadre européen commun de référence pour les langues », travaux du Conseil de l'Europe, 2001 - Paris - Didier.

Vous trouverez en annexe les passages de ce document concernant le lexique et vous pourrez juger combien notre dictionnaire répond aux préoccupations de ses auteurs.

Abréviations et signes conventionnels

adj.

adjectif

 

pers.

personnel

adv.

adverbe, adverbial

 

pl.

pluriel

ant.

antonyme

 

pr.

pronom(inal)

arg.

argot

 

pr.

proverbe

auj.

aujourd'hui

 

prep.

préposition

cond.

conditionnel

 

pres.

présent

conj.

conjonction

 

qual.

qualificatif

dimin.

diminutif

 

sav.

savant

ex.

exemple

 

sing.

singulier

f.

féminin

 

sous-ent.

sous-entendu

fam.

familier

 

subj.

subjonctif

fig.

sens figuré

 

techn.

technique

gr.

grammaire

 

tr.

transitif

Hist.

Histoire

 

v.

verbe

indic.

indicatif

 

vulg.

vulgaire

inf.

infinitif

 

vx.

vieux

intr.

intransitif

 

Ce qui suit est figé

inv.

litt.

invariable

littéraire

 

*

Ce qui suit ne se dit pas ou est agrammatical

loc.

locution

 

 

 

m.

n.

masculin

nom

 

 

 

N.B.

Nota bene, notez bien

 

 

 

p.

passé

 

 

 

part.

participe

 

 

 

péj.

péjoratif

 

 

 

Annexe

Recommandations du « Cadre européen commun de référence »

4.7.2.1.1 Compétence lexicale

C'est la connaissance du vocabulaire et la capacité de l'utiliser.

Il s'agit a) d'éléments lexicaux et b) d'éléments grammaticaux.

a) Les éléments lexicaux sont

i) soit des expressions toutes faites constituées de plusieurs mots, apprises et utilisées comme des ensembles,

ii) soit des mots isolés. Un mot isolé peut avoir plusieurs sens (polysémie), par exemple pompe peut être un appareil ou signifier faste et éclat (en français familier, c'est également une chaussure).

i) Les expressions toutes faites comprennent

* indicateurs des fonctions langagières (voir 4.7.2.3.2) (par exemple les salutations) : Bonjour ! Comment ça va ?

* proverbes (voir 4.7.2.2.3)

* archaïsmes : Aller à vau l'eau

* métaphores figées sémantiquement opaques, par exemple :

Il a cassé sa pipe (= il est mort) ;

Ça a fait long feu (= ça n'a pas duré), ou

* procédé d'insistance, par exemple : Blanc comme neige, Doux comme une peau de pêche

Le contexte et le registre en régissent souvent l'usage.

Pouvez-vous me passer...

* verbales, par exemple : Faire avec, Prendre sur soi

* prépositionnelles, par exemple : Au fur et à mesure

ii) Les mots isolés comprennent des mots de classe ouverte : nom, adjectif, verbe, adverbe mais peuvent aussi inclure des ensembles lexicaux fermés (par exemple, les jours de la semaine, les mois de l'année, les poids et mesures, etc.) On peut également constituer d'autres ensembles lexicaux dans un but grammatical ou sémantique (voir ci-dessous)

b) les éléments grammaticaux appartiennent à des classes fermées de mots, par exemple:

articles (un, les, etc.)

quantitatifs (certains, tous, beaucoup, etc.)

démonstratifs (ce, ces, cela, etc.)

pronoms personnels (je, tu, il, lui, nous, elle, etc.)

interrogatifs et relatifs (qui, que, quoi, comment, où, etc.)

possessifs (mon, ton, le sien, le leur, etc.)

prépositions (à, de, en, etc.)

auxiliaires (être, avoir, faire, verbes modaux)

conjonctions (mais, et, or, etc.)

particules (par exemple, en allemand : ja, wohl, aber, doch, etc.)

Les utilisateurs du Cadre de référence envisageront et expliciteront selon le cas :

  • quels sont les éléments lexicaux (locutions figées et mots isolés) que l'apprenant aura besoin de reconnaitre ou d'utiliser ou devra reconnaitre ou utiliser ou devra être outillé pour le faire

  • comment ils seront sélectionnés et classés

La sélection lexicale.

Les auteurs de manuels et de matériel d'évaluation se doivent de choisir les mots qu'ils utilisent. Les concepteurs de programmes et de curricula n'y sont pas tenus mais peuvent souhaiter donner des lignes directrices dans l'intérêt de la transparence et de la cohérence, en termes de dispositions éducatives. Il y a un certain nombre d'options :

Les utilisateurs du Cadre de référence envisageront et expliciteront selon le cas :

  • le ou les principes selon lesquels on a effectué la sélection lexicale.

 

Bibliographie

Listes de fréquences :

 

Ouvrages généraux

- 1986- Structures sémantiques du lexique français - Paris - Nathan.

- 1993 - Didactique du vocabulaire français - Paris - Nathan.

Orthographe réformée :

 

Ouvrages concernant les « difficultés de la langue française »

 

 

Remerciements

Nous devons une particulière reconnaissance à Étienne Brunet qui nous a épargné la peine de manipuler quotidiennement les 6 volumes - aujourd'hui épuisés - du Dictionnaire de fréquences du TLF en reconstituant pour nous la liste informatique des mots de fréquence absolue supérieure à 500 pour les deux derniers siècles, que l'évolution des techniques depuis l'époque du dépouillement rendait autrement inaccessible.

 

Nos remerciements vont aussi à Henri Mitterand qui, par de judicieux conseils, au cours de nombreuses discussions, nous a aidés à améliorer notablement la présentation de nos articles.

 

 

Jacqueline PICOCHE

Jean-Claude ROLLAND

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