Cet article voudrait être une
récapitulation de quelques uns des travaux que, depuis de longues années, je
consacre à la représentation donnée par le lexique français de l'univers
extra-linguistique, et notamment du psychisme humain (v. bibliographie). Quand
j'ai entrepris, dans les années 60 une thèse sur le vocabulaire psychologique
dans les Chroniques de Froissart, c'était avec le secret espoir que les
mots seraient la clé qui me permettrait de pénétrer dans l'univers mental, pour
moi passablement mystérieux, de l'homme médiéval. Espoir déçu pour deux
raisons : l'auteur choisi n'était pas suffisamment archaïque, et la méthode
utilisée, celle des "champs génériques" et de l'analyse sémique, conduisait à
une description du référent plutôt que du signifié. Les petits paradigmes de
mots substituables les uns aux autres dans un certain type de contextes, que je
m'appliquais à constituer, et les oppositions que je parvenais à déceler entre
eux, m'apprenaient seulement que les acteurs de la guerre de Cent Ans étaient
des êtres humains, agités des mêmes passions que nous, capables du même genre de
raisonnements et de calculs, sans rien en eux qui puisse être spécifiquement dit
"médiéval". Ou pour mieux dire, ce qu'il pouvait y avoir de "médiéval" dans leur
manière de vivre l'amour et la guerre semblait être dans le récit, pas dans les
mots. Affaire de discours, pas de langue, structure superficielle mobile sur une
structure profonde stable… Et pourtant, en cinq siècles, presque tout
l'outillage lexical avait bougé peu ou prou. Presque pas une phrase, dans cette
prose, encore fort intelligible, qui puisse être réutilisée telle quelle en
français d'aujourd'hui. Le mur de l'impasse auquel je me heurtais était
celui-ci : le référent n'a pas changé. Les mots n'ont-ils vraiment changé sans
autre raison que l'usure ou la mode, comme de vieux vêtements qu'on rafistole ou
qu'on remplace ? Simple aveu d'impuissance, qu'une réponse positive… Et
d'ailleurs, y a-t-il des modes in-signifiantes ?
Quelques discussions passionnées avec
André Eskénazi qui, à l'époque, n'était pas encore professeur à Paris X, m'ont
permis de rebrousser chemin et de retrouver une voie libre, ou, autrement dit,
ont été le levain qui a fait monter ma pâte, et m'ont donné le plaisir de
produire des analyses auxquelles j'ai trouvé meilleur goût : Il fallait renoncer
à une méthode qui ne considérait les mots qu'en discours, ne prenait en compte,
en les isolant, que des effets de sens, et présentait de façon discontinue ce
qui ne s'expliquait que dans la continuité. Il fallait faire la collecte de la
totalité des effets de sens dont un mot était capable et chercher le mécanisme
qui permettait à la machine de fonctionner. Bref, centrer l'étude du lexique sur
les polysémies, et les polysémies en synchronie.
Or, à l'époque, les dictionnaires à la
mode, comme le DFC et le Lexis, étaient systématiquement
disjoncteurs, réduisant les polysèmes à des séries de mots monosémiques. Les
linguistes dans le vent, par leurs méthodes d'analyse, syntaxique ou
dérivationnelle, occultaient ou marginalisaient le phénomène de la polysémie
malgré sa haute fréquence, et le rejetaient avec mépris dans les ténèbres de la
diachronie.
Pour le traiter, il existait pourtant un
outil qui n'avait jamais servi à cela, mais qui s'est révélé tout à fait
utilisable au moins dans une bonne moitié des cas : le cinétisme
guillaumien, signifié de puissance dynamique et continu, phénomène de
langue normalement inconscient, interruptible par des saisies
productrices d'effets de sens en discours, qui s'organisent selon une
chronologie de raison, les plus riches en sèmes (dites plénières)
présupposant dans leur sémème les plus pauvres (dites subduites).
Un mot monosémique peut bien entrer dans
une taxinomie servant à catégoriser le réel, au terme d'un travail plus ou moins
scientifique ; c'est un instrument de classement ; son signifié de puissance et
son signifié d'effet se confondent et se confondent avec les traits saillants du
référent. A ce niveau, toute langue est traduisible en une autre langue, sans
autre problème que celui des types de connaissances et de cultures qui peuvent
rendre nécessaires certaines périphrases ou certains enrichissements lexicaux.
Tandis que le signifié de puissance d'un
mot polysémique, au-delà de ses divers signifiés d'effet, qui peuvent être
traités isolément comme des mots monosémiques, est une machine à balayer de
grands secteurs du réel, par un dynamisme psychique original fonctionnant de
façon continue. Il permet donc une comparaison entre ses divers signifiés
d'effet, et aussi des comparaisons de polysème à polysème. En effet, c'est
essentiellement par voie comparative qu'on perçoit que le lexique n'est pas un
simple inventaire, dûment étiqueté, des réalités extra-linguistiques, mais une
interprétation de cette réalité. Sont tout spécialement révélatrices les
comparaisons de parasynonymes, pris en compte dans la totalité de leur
polysémie, que ce soit en synchronie d'une langue à une autre, en synchronie à
l'intérieur d'une langue, ou selon une diachronie qui décompose et recompose les
constructions conceptuelles par lesquelles l'esprit humain appréhende l'univers,
comme les figures d'un kaléidoscope. Par ce moyen privilégié se révèlent les
spécificités de chaque langue et leur "vision du monde" implicite.
Nous ne nous étendrons pas ici sur la
méthode, longuement exposée ailleurs , par laquelle on peut établir l'hypothèse
d'un signifié de puissance et ferons un simple inventaire des conclusions
auxquelles nous ont amenée certaines des comparaisons suggérées ci-dessus.
I. COMPARAISONS EN SYNCHRONIE
I. 1. Comparaison entre les
différentes acceptions d'un mot
1. a. l'exemple de marcher
: le problème est de comprendre comment, sous le même signifiant,
peuvent coexister des sens aussi différents que 1) /se déplacer en mettant un
pied devant l'autre/ Jean marche dans la rue - 2) /fonctionner/ ma
montre marche - 3) /produire l'effet souhaité/ les affaires de Jean
marchent - 4) / croire naïvement, acquiescer/ Luc fait à Jean une
proposition malhonnête, lui dit des mensonges et Jean marche - et de rendre
compte de l'intuition qu'il existe une unité de tout cela.
La solution est de prendre en
considération dès l'acception n° 1 la modalité d'action propre au verbe
marcher , qui est une "activité", et non un "état", ni un "achèvement", ni
un "accomplissement", et qui montre le processus verbal dans la progressivité de
son déroulement.
Les sens 2 et 3 montrent que cette
modalité d'action est interprétée en français comme /régulière/ /normale/
/satisfaisante/ : la machine qui marche ne connaît pas d'a-coups dans son
fonctionnement; elle répond exactement au projet de son concepteur; le travail,
les affaires de Jean, sont un ensemble de données qu'il a conçues pour jouer
chacune leur rôle en vue d'une fin donnée, quelque chose de tout à fait
comparable à la machine ci-dessus. Enfin, en 4 (familier, d'origine argotique),
Jean n'est, dans l'esprit de Luc, que l'élément principal d'une "machination"
dont il sera la victime inconsciente ou le complice consentant, pour la plus
grande satisfaction de son concepteur.
1. b. l'exemple de devoir
: Le problème est ici de comprendre s'il y a un passage de la
dette d'argent à l'obligation en général, à la causalité, à la nécessité, à la
simple probabilité d'un évènement futur, et finalement à la probabilité d'un
évènement présent ou passé - ou s'il faut prendre carrément le parti de
l'homonymie, ce que font de nombreux linguistes qui isolent les emplois dits
"modaux" de ceux qui, exprimant une obligation de nature contractuelle,
financière ou non, leur semblent sémantiquement assez chargés pour être tenus
pour "lexicaux".
En fait, il nous semble qu'une analyse
sémantique complète d'une phrase comme Jean doit 2000 F. à Luc en échange du
studio qu'il lui a loué comporte tous les ingrédients nécessaires pour
expliquer les autres acceptions, sémantiquement moins riches : l'existence de
deux sujets, celui qui doit (actant n°1) , et celui à qui (actant n°2)
quelque chose (actant n°3) est dû en échange d'autre chose (actant n°4,
dont l'expression est toujours facultative en surface) ; un moment T1 où ces
deux personnages s'obligent l'un envers l'autre ; un moment T3 où il est prévu
que leur /obligation/ prendra fin ; un temps intermédiaire T2 à chaque instant
duquel on peut dire que Jean doit quelque chose à Luc. Ce schéma inclut
une relation de /cause/ à /effet/ entre ce qui se passe en T1 et ce qui se passe
en T3, d'où la /nécessité/ qu'il y ait un T1 pour qu'il y ait un T3, donc une
orientation vers un futur qu'on peut appeler /futur virtuel/ parce qu' observé à
partir du point T1, conçu comme en germe dans T1, par opposition au futur de
l'indicatif qu'on peut dire "actuel" parce que pensé à partir du point encore
imaginaire T3, et conçu comme déjà réalisé. La principale difficulté est
l'existence d'emplois du genre Jean doit être au cinéma en ce moment ou
Vous avez sans doute raison, je dois me tromper, j'ai dû aller en Autriche en
74 et pas en 75… En fait, tous les autres sèmes étant éliminés, il reste
dans ses emplois quelque chose du /futur virtuel/ : l'orientation du locuteur
vers la vérification future d'une affirmation contestable.
I. 2. Comparaison entre parasynonymes
d'une même langue
I.2. a. La valeur particulière
propre à la modalité d'action de marcher est facile à mettre en valeur
par comparaison avec d'autres verbes de mouvement ayant la même modalité
d'action "activité" : nager, courir, voler, ramper, sauter . Si l'on
compare ces verbes non seulement dans leurs emplois spatiaux mais dans la
totalité de leur polysémie, on constatera que pour la langue française ,
nager, est une manière habile d'agir en milieu hostile ou défavorable,
courir une manière rapide d'agir, voler un intensif de courir
insistant sur une rapidité extraordinaire, ramper une manière d'agir
humiliante insistant sur une infériorité que le sujet accepte et dont il joue,
sauter une manière d'agir discontinue et capricieuse . Bref, la marche est
une manière de se déplacer beaucoup moins bizarre que la course, le trot, le
galop, le saut, la reptation, la natation, ou le vol. C'est la manière de se
déplacer normale par excellence, la moins fatigante, la plus régulière et la
plus efficace, pour les vertébrés bipèdes que sont les hommes.
I.2. b. Lorsque le français
possède une paire de parasynonymes de fréquence et d'ancienneté comparables
qui semblent faire double emploi et coexistent, dans une absurdité
apparente, depuis les origines de la langue, ils ont généralement un secret
qu'on découvre isolant celles de leurs acceptions où ils ne sont absolument
pas interchangeables. On a d'ordinaire la surprise de constater qu'elles
sont nombreuses et que c'est l'interchangeabilité, c'est-à-dire la
neutralisation des différences, qui est plutôt l'exception. C'est un des
moyens qui permet de trouver la "chronologie de raison" qui sous-tend leurs
différentes acceptions. Ainsi va de couples comme savoir et connaître - mot
et parole - bord et côté . Nous avons cru
pouvoir montrer que savoir privilégie le renseignement précis, l'
abstraction, ses applications techniques, et dans ses emplois les plus
subduits, tend vers pouvoir qui lui est, "en raison", antérieur.
Connaître , au contraire, privilégie le contact avec les êtres concrets,
l'expérience, la culture, et tend, dans ses emplois les plus subduits, vers
avoir qui lui est, "en raison", antérieur. Mot dit facilement
tout ce qui est signe linguistique, notamment sous l'aspect du signifiant
écrit, sa brièveté, sa tournure plus ou moins réussie. Parole privilégie l'oralité, l'importance du signifié, l'engagement de la personne
du locuteur dans ce qu'il dit. Bord et côté réfèrent à deux
expériences tout à fait différentes de l'espace: bord dit la limite
qui sépare la terre ferme de l'eau ou du vide, le lieu où un sujet en marche
risque de tomber. Côté dit que nous avons une droite et une gauche
qui nous indiquent des directions opposées que nous pouvons suivre jusqu'à
atteindre éventuellement certaines limites… Dans toutes sortes de situations
où le locuteur pourrait se débrouiller avec un seul outil, la langue en met
à sa disposition deux. Que l'un n'ait pas éliminé l'autre peut s'expliquer
par le fait qu'ils permettent une conceptualisation plus fine de la réalité
et surtout des points de vue différents sur cette réalité.
I. 3. Comparaisons entre mots
équivalents de langue à langue
Il est à parier que toutes les langues
naturelles possèdent de tels couples mais que ce ne sont pas les mêmes ici et
là. Il y aurait certainement intérêt à les identifier et à les comparer.
Igor Melc'uk nous fournit l'exemple du
référent «âne», qui possède en russe deux dénominations signifiant
métaphoriquement, l'une "personne stupidement entêtée", et l'autre "personne
courageuse qui fournit sans rechigner un travail assidu et fatigant". Le
référent est le même, mais le signifié différent. Dans les métaphores
françaises, l'âne est un animal stupide, mais c'est à la mule
qu'est attribué préférentiellement le trait /entêtement/. La bourrique
est un super-âne, d'une stupidité exceptionnelle, le bourricot une bête
de somme trop lourdement chargée, mais l'assiduité au travail est le fait du
boeuf. Toutes les langues, semble-t-il, comportent un bestiaire, mais il
diffère de l'une à l'autre.
Nous ne nous sommes pas beaucoup
aventurée sur les chemins de la lexicologie comparative. Tout de même il est
facile de remarquer qu'en français les machines marchent et qu'en anglais
elles "travaillent" : they work : preuve que les sèmes de /fonctionnement
normal, régulier et satisfaisant/ pertinents en français dans la définition de
marcher ne le sont pas en anglais dans celle de to walk qui se prête par
ailleurs fort bien à exprimer une idée rendue en français par un autre verbe:
celle de /promenade/.
Une recherche collective sur la manière
de dire en français, en allemand et en grec ancien /troubles de l'ordre public/,
d'exprimer le fait qu'il n'y a pas de consensus, qu'un gouvernement est
renversé, que des violences se produisent, nous a montré que les mêmes
métaphores (passage de la verticale à l'horizontale, spirale ascendante),
fonctionnent en français et en allemand, langues modernes et européennes qui ont
évolué côte à côte et non sans influence l'une sur l'autre, sémantiquement très
proches malgré leurs considérables différences morpho-syntaxiques: Certains mots
monosémiques se correspondent exactement. Le mot Revolution est emprunté
au français avec toute sa polysémie; pratiquement tous les traits sémantiques
dégagés en français se retrouvent en allemand, soit comme métaphores
fondamentales soit comme effets de sens de polysémies différentes. Les
différences ne portent que sur des détails.
Le grec ancien, lui, développait un tout
autre panorama mental: Les verbes de mouvement qu'il emploie pour signifier le
changement ne semblent pas impliquer systématiquement une direction vers le haut
ou vers le bas. La métaphore du corps humain malade, de la chaleur entraînée par
le mouvement, les oppositions parallèles /jeunes/ vs /vieux/, /innovation/ vs
/conservatisme/, /audace/ vs /sagesse/ sont moins abstraites que celle du
passage de l'horizontale à la verticale ou du mouvement tournant ascensionnel;
le mot essentiellement statique stasis , paradoxalement employé dans des
situations de changement politique, décrit les situations révolutionnaires comme
des cas de division du tissu social en blocs opposés, sans aucune perspective de
progrès.
II. COMPARAISONS EN DIACHRONIE
II. 1. le bonheur
et le bon eür
Le XIVe s. connaissait les guerres, les
pillages, les incendies, diverses atrocités, l'insécurité, la peste, la misère
de beaucoup, et la richesse de quelques uns. Le XXe s. est affligé des mêmes
maux, compte tenu du fait qu'il faut placer, à côté d'incendies ,
bombardements, feu nucléaire , remplacer peste par sida , et
ajouter les camps de concentration, que le Moyen Age n'avait pas encore
inventés. Bref, la condition humaine n'a pas changé de façon significative en
cinq siècles. Mais enfin, malgré tant de maux, au XIVe comme au XXe s., un
nombre non négligeable de gens échappaient à l'épidémie, jouissaient d'une santé
convenable, avaient une vie de famille normale, disposaient de biens qui
n'avaient pas été détruits, formaient des projets et en réalisaient au moins
quelques uns, bref connaissaient, pendant des périodes plus ou moins longues, ce
que nous appelons aujourd'hui le bonheur . Si l'on tient compte des
collocations de ce mot en français moderne : construire son bonheur, un
bonheur durable, stable, solide, faire le bonheur de sa femme (ou de son mari),
une vie heureuse, un mariage heureux , dont les antonymes : détruire son
bonheur, un instant de bonheur, un bonheur fugitif ont quelque chose
de tragique, on peut dire que son sémème comporte les traits /état affectif
positif/, /durée/ et /normalité/. Or, parmi les mots du vocabulaire de Froissart
dénotant un état affectif positif, aucun ne présente les traits /durée/ et
/normalité/ . L'eür lui même, qui peut être bon ou mal ,
n'est même pas à proprement parler un état affectif; il entre dans le champ
générique de fortune, aventure et dénote le hasard, favorable ou
défavorable, qui engendrera un état affectif positif ou négatif. Etre eüreus,
avoir bon eür , à l'époque c'est "avoir de la chance" dans une circonstance
particulière ou de façon plus ou moins répétitive (il y a, de même, aujourd'hui,
des gens chanceux, vernis, veinards ). Il y a bien un mot plutôt rare,
boneürté qui semble posséder le trait /duratif/, mais il dénote généralement
la béatitude des saints du Paradis, stable par définition. Quoique le mot
bonheur évolue vers son sens moderne au XVIIe et au XVIIIe s., Saint Just ne
se trompait pas de beaucoup en affirmant que "le bonheur est une idée neuve", et
il est clair que la locution moderne le droit au bonheur serait
intraduisible en ancien français sinon par un longue, et peut-être peu
intelligible périphrase.
II. 2. modestie
et humilité : voilà deux mots qui, pour la majorité des
français, aujourd'hui, sont des synonymes qui ne se distinguent que par leur
niveau de langue, standard pour l'un, littéraire et un peu archaïque pour
l'autre. Le signifié identique pourrait être /état d'esprit d'un sujet humain
qui a de sa valeur une idée légèrement inférieure à ce qu'elle est réellement/.
Un peu plus et on arrive au "complexe d'infériorité". Or Froissart n'emploie pas
modestie , mot savant tout récemment introduit dans la langue à son
époque, et certains des contextes où il emploie humilité l'excluraient en
français moderne. Imaginez-vous un négociateur essayant de fléchir un chef
d'Etat résolu à livrer bataille et qui s'estime en situation de force, en
faisant appel à son humilité ? Penserait-on que la reine d'Angleterre a
fait un acte d'humilité en suppliant son époux d'épargner les bourgeois
de Calais ? que ce soit agir humblement , en période de disette, de
respecter une certaine discipline et de ne manger que sa ration sans empiéter
sur celle des autres ? Surement pas. Par contre, on ne voit pas apparaître ce
mot dans un passage où le sentiment qu'éprouve un sujet humain d'être inférieur
à la tâche qu'on lui propose s'exprime en toute clarté : celui où Duguesclin
refuse la charge de connétable de France, se fait longuement prier, et ne finit
par l'accepter que par obéissance au roi. C'est qu'on ne comprend rien à l'humilité
médiévale, mot essentiellement mélioratif, sans prendre en considération son
antonyme l'orgueil , essentiellement péjoratif, qui n'est pas une simple
erreur de jugement par laquelle on s'estimerait un peu plus qu'on ne vaut, mais
le péché des péchés, par lequel l'homme se divinise lui-même et se rend
incapable d'ouverture à son prochain. L'humilité est la vertu opposée et la
condition sine qua non de la charité. La modestie n'a été
longtemps qu'un comportement extérieur empreint de modération; elle ne semble
être devenue un sentiment qu'au XVIIIe s., ce qui lui a permis de concurrencer
et d'éliminer en grande partie une humilité dont la valeur religieuse
s'estompait de plus en plus .
3. grâce et
merci également usuels en ancien français et en français
moderne, mais qui n'ont plus grand chose à voir ensemble aujourd'hui et sont
éclatés en plusieurs homonymes, formaient en ancien français un couple
solidement uni, partiellement synonymique, partiellement antonymique,
comportant une structure actancielle à trois actants, un sujet humain
dominant, un sujet humain dominé et un enjeu désiré par le sujet dominé et
dépendant du sujet dominant. Ceci dit, le mot grâce essentiellement
mélioratif, exprimait la bienveillance du dominant et la reconnaissance du
dominé, liés par des rapports de sympathie, tandis que le mot merci ,
facilement tragique, exprimait la supplication du dominé montant vers un
dominant ennemi et ayant des raisons de faire acte de cruauté, et
l'exception condescendante faite par le dominant en faveur d'un adversaire
vaincu et dominé.
Que reste-t-il de tout cela aujourd'hui?
la grâce présidentielle, qui aurait été jadis plutôt une merci ,
la grâce de Dieu dont les théologiens modernes eux-mêmes ne parlent plus
guère, la grâce des danseuses qui évoluent sur la scène de l'opéra, et
une locution prépositive à valeur causale et méliorative grâce à …
L'interjection Merci! et la locution figée être à la merci d'un
adversaire, tenir un adversaire à sa merci . Une vague relation entre
certains emplois des deux mots peut encore être mise en valeur : Merci !
C'est grâce à vous que j'ai obtenu ce que je voulais…
III. 4. Le remplacement de
ouir par entendre et d'entendre
par comprendre
En ancien français , les différents
emplois d'entendre correspondent à deux saisies principales: 1) activité
d'esprit en cours, tendant vers un résultat, d'où selon les contextes, les
effets de sens "s'orienter vers", "désirer", "s'occuper de", "être d'avis de",
"écouter". 2) activité d'esprit atteignant son but, d'où "remarquer",
"s'apercevoir de", "prendre garde à", "comprendre" (acception que nous
désignerons par le mot latin intelligere ) et "ouir". Là où entendre
apparaît comme un substitut de oïr , le complément est le plus
souvent une parole humaine, donc un sens, compris par l'intelligence en même
temps que la chaîne sonore qui en est le support est perçue par l'oreille. Mais
oïr et entendre , synonymes pratiquement ne le sont pas
linguistiquement ! La polysémie de entendre nous invite à voir en lui un
verbe strictement intellectuel et abstrait, dont l'objet peut être un phénomène
sonore en tant qu'il est interprétable, alors qu'oïr, monosémique,
ne signifiant rien d'autre que "percevoir par les oreilles", est strictement
concret.
A l'époque, comprendre , rare et
savant, extrêmement marginal, est apte à exprimer une relation spatiale
réversible "contenant"/"contenu" qui pourrait être traduite en frm. par les deux
verbes contenir et remplir : le contenant comprend son
contenu et réciproquement, le contenu comprend son contenant.
Métaphoriquement, un livre, un esprit comprennent une certaine notion,
sans réversibilité possible (acception que nous désignerons par le verbe latin
includere).
En français moderne: ouir
(sauf dans quelques expressions figées) est remplacé par entendre dont
les emplois sensoriels concrets constituent désormais l'essentiel du sémantisme;
ses emplois abstraits se sont reportés sur plusieurs autres verbes dont le plus
important est comprendre ; il n'en subsiste plus que quelques uns, tels
que entendre raison, laisser entendre, entendre par là que… , bien entendu !
, s'y entendre à faire quelque chose , s'entendre bien ou mal avec quelqu'un ,
s'entendre avec quelqu'un pour faire un mauvais coup, j'agis comme je l'entends,
j'entends faire des réformes, j'entends qu'on m'obéisse . Ces emplois, figés
ou en voie de l'être, n'appartiennent plus au domaine de l'intellection pure,
mais à celui d'une activité d'esprit insérée dans la vie pratique, dans la
discussion, la coopération, dans l'élaboration de projets. Il est aujourd'hui
exclu de dire *entendre une langue, *entendre un problème . Les
emplois "intellectuels" sont désormais du domaine de comprendre qui a
perdu ses emplois concrets et se trouve scindé en deux acceptions comprendre
-"includere" et comprendre -"intelligere" très inégaux en importance.
Un corpus fourni par le T.L.F., composé
de près de 500 attestations de comprendre , résultant de sondages faits
de 50 ans en 50 ans, nous permet d'ébaucher une chronologie et quelques
hypothèses explicatives qui demanderaient à être vérifiées de façon plus
approfondie:
Dès le XV°s., comprendre -
"includere" , est le verbe par excellence des classements et des taxinomies;
déjà fréquent au passif, il est encore, en ce sens, librement employé à l'actif,
notamment avec un sujet humain. A partir de 1700, l'actif se raréfie et,
lorsqu'il apparaît, n'admet pratiquement plus jamais un sujet humain. Le premier
exemple du passif de comprendre - "intelligere", dans le corpus, est de
1850.
Dès le moyen-français on trouve une
multitude d'exemples d'allure moderne qui invitent à interpréter comprendre
au sens d' "intelligere". Néanmoins, plusieurs faits nous invitent à
considérer qu'avant le début du XVIII°s., il s'agit d' un substitut expressif et
métaphorique de l'archilexème entendre , comme lorsque nous employons,
aujourd'hui, les verbes assimiler ou saisir .
a) à date ancienne, le complément de
comprendre est normalement un nom ou un pronom mais presque jamais une
proposition; même très abstrait, un substantif est plus facilement qu'une
proposition conçu comme une "chose" entrant dans un contenant, un item prenant
place dans une taxinomie. Le premier il comprend que… du corpus est de
1700.
b) ce n'est qu'à partir de 1750,
qu'apparaissent comme compléments de comprendre des mots dénotant une
réalité linguistique, naguère domaine réservé de entendre : comprendre
un discours, une langue étrangère etc.
c) en 1800 apparaît dans le corpus le
premier exemple de "Sujet humain comprend objet humain", mais avec le
sens de "il comprend ce que je dis" ; il me comprend au sens de
"il comprend ce que je pense, ce que je ressens, comment je réagis" n'apparaît
qu' à partir du relevé de 1900.
-
A partir de 1900, l'omission du
complément, après comprendre , exceptionnel à date ancienne (trois
exemples antérieurs à 1900 ), devient courante et on voit apparaître la
tournure pronominale ça se comprend.
Comprendre se développe donc de
façon explosive à partir de la 2° moitié du XIX°s. A partir de 1900, non
seulement les exemples deviennent extrêmement nombreux, avec une forte
prédominance de comprendre que… mais on voit fleurir une variété de
tournures qui n'étaient pas ou peu représentées dans les relevés précédents;
cette liberté syntaxique est le signe du caractère bien vivant et archisémémique
de ce mot.
Le grand tournant de son histoire se
situe à la jointure du XVII° et du XVIII° s. Jusque là, on pouvait y voir un mot
polysémique signifiant essentiellement l'inclusion, avec forte spécialisation
d'un grand nombre d'emplois dans le domaine intellectuel. Désormais, l'
acception "intelligere" et l'acception "includere" vont vivre chacune une vie
séparée quasi homonymique, si ce n'est une certaine communauté des notions d'
/analyse/ et de /synthèse/.
Conclusion :
Une langue est une "vision du monde",
mais de façon secrète, et elle ne livre pas son secret à tout type
d'investigation. Certaines enquêtes aboutissent à montrer ce qu'elle a
d'universel et de parfaitement traduisible. Un autre type d'enquête, ce qu'elle
a de particulier et d'unique, enfoui dans l'inconscient des locuteurs, fondement
de leur attachement irrationnel et passionnel à leur langue maternelle.
Anna Wierzbicka [1988] recherche les
"primitifs sémantiques" inclus dans les constructions syntaxiques des diverses
langues et pense que l'étude de leurs combinaisons originales pourrait donner
naissance à une "ethno-syntaxe", révélant la "philosophie" implicite dans chaque
langue et elle écrit (p. 169) : «It is true that lexical items also embody
language specific ways of thinking. But the semantic analysis of an entire
lexicon is a gigantic task; and a cognitive description of a language which
confines itself to SELECTED lexical items is usually open to the charge to be
arbitrary and therefore inconclusive… In the case of syntactic constructions, on
the other hand, there is more hope of surveyingthe entire relevant area». Les
articles ci-dessus résumés sont un petit début de cette "tâche gigantesque".
Nous ne prétendons pas en tirer des conclusions aussi générales qu'elle le
souhaite, mais nous avons montré à diverses reprises que la tâche n'est pas
aussi gigantesque qu'elle le paraît: l'étude des diverses listes de fréquences,
notamment celle du TLF et l'exploitation qu'en a faite Etienne Brunet montrent
que les grandes polysémies se serrent dans le haut de ces listes et que ce
serait déjà très éclairant de les avoir exploitées jusqu'au rang 1000, et
qu'après le rang 5000, il resterait une majorité de mots monosémiques peu
utilisables dans cette perspective. Nous nous sommes pour notre part attelée à
ce débroussaillage avec une seule collaboratrice. Mais il y aurait là, surtout
pour un travail en diachronie, de quoi alimenter en sujets de thèses des équipes
entières d'étudiants et de chercheurs !
Anna Wierzbicka trouve, dans ses
constructions syntaxiques, ni plus ni moins que quinze primitifs sémantiques qui
constituent sa "métalangue". On en trouverait bien davantage dans le lexique !
Là aussi, il y a un vaste champ à labourer et une métalangue simple et aussi
universelle que possible serait bien utile pour décrire le lexique.
Une comparaison de polysème à polysème
révèle dans le phénomène accidentel de la synonymie la possibilité d'exprimer
des points de vue différents sur la réalité. Une comparaison entre deux langues
différentes, ou deux états différents de la même langue, permet de détecter des
constructions conceptuelles réalisées dans l'une et absentes de l'univers mental
de l'autre, et d'apercevoir quelque chose des différences de "vision du monde"
séparant l'une de l'autre.
Une comparaison entre les différentes
acceptions d'un polysème révèle que les traits saillants d'un référent ne
fournissent souvent à l'esprit qu'un point de départ pour diverses constructions
conceptuelles. On ne dira jamais assez l'importance de l'activité métaphorique
et métonymique dans la construction du lexique.
De telles comparaisons en diachronie
posent des problèmes dont beaucoup semblent aujourd'hui difficiles à résoudre.
Un des phénomènes les plus déconcertants
de l'histoire du lexique français, est son formidable enrichissement en
moyen-français (à partir du milieu du XIV°s.) et son non moins formidable
appauvrissement au XVII°s., par l'élimination d'une quantité de mots anciens et
le remaniement sémantique de beaucoup de ceux qui furent conservés. Cet ensemble
de transformations qui jusqu'ici ont été plutôt constatées qu'expliquées, ou du
moins expliquées par des raisons stylistiques plutôt que linguistiques, a sans
doute une portée considérable. Je persiste à penser que si l'on étudiait la
structure sémantique des mots "vieux" exclus du bon usage au XVII°s. et de leurs
remplaçants, on constaterait un singulier basculement dans la manière de se
représenter l'univers extérieur et notre univers intérieur, à une époque où se
dessine la "modernité". Accompli méthodiquement, ce travail permettrait sans
doute de vérifier cette réflexion de G. Guillaume: "l'homme linguistique des
différents âges peut penser les mêmes choses. Il reste qu'il ne les pense pas
mêmement".
Certes, certaines évolutions lexicales
reflètent l'évolution des idéologies. L'histoire des mots bonheur et
bon eür , modestie et humilité , grâce et merci
, s'inscrit dans le grand mouvement de déchristianisation qui a tenté de
transférer le Paradis du Ciel sur une Terre où la notion d'orgueil et de péché a
perdu sa pertinence, où certes, les rapports de domination n'ont pas disparu,
mais sont occultés en langue, les rapports sociaux étant pensés de préférence en
termes d'égalité. Ce sont des cas assez simples.
Plus stimulants pour l'esprit, sont les
changements auxquels toute idéologie est étrangère, comme ceux qui ont affecté
l'histoire de comprendre . Inconsciemment, on a dû ressentir à un certain
moment l'expression de la pure intellection comme incompatible avec celle d'une
sensation. L'élimination d'ouir uniquement concret et la substitution de
comprendre aux emplois intellectuels d'entendre sont un indice
entre autres des progrès de l'abstraction dans le vocabulaire français. On
pourrait dire que plus une évolution est inconsciente et apparemment immotivée,
plus elle est intéressante. Le fonctionnement conscient du langage est
évidemment sous-tendu par un ensemble énorme de mécanismes inconscients. On
attend ceux qui feront la psychanalyse de quelques langues maternelles, ouvrant
la voie à de plus vastes comparaisons ! Le chantier est à peine ouvert !
BIBLIOGRAPHIE
WIERZBICKA (A.) - 1988 - The
semantics of grammar - Amsterdam - Philadelphia - John Benjamins - 617 p.
Articles de J. Picoche récapitulés dans
l'article ci-dessus :
-
"Humilité" et "modestie", histoire
lexicale et histoire des mentalités - Mélanges Jeanne Lods - Editions de
l'ENSJF - Paris 1978 - pp. 485 à 494
-
"Savoir" et "connaître" ou Marthe
et Marie dans la langue française - Dans Foi et langage - avril-juin
1982 pp. 134-141
-
Le "bonheur" et le "bon eür"
dans L'idée de Bonheur au Moyen-Age , actes du colloque d'Amiens de mars
1984, publiés par les soins de Danièle Buschinger - Kümmerle Verlag - Göppingen
1990 - pp. 347-354
-
-La "grâce" hier et aujourd'hui -
dans De la plume d'oie à l'ordinateur études de philologie et de
linguistique offertes à Hélène Naïs, n° spécial de Verbum , revue de
linguistique publiée par l'université de Nancy II - Nancy - 1985 - pp. 133 à
139.
-
La "grâce" et la "Merci"
- Dans les Cahiers de Lexicologie : 1987 - I - p.
191-199
-
"Ouir", "entendre" et "comprendre"
dans Historical Linguistics 1987 edited by H. Andersen et K. Koerner,
actes du Congrès de l' International Society of Historical Linguistics, Lille
1987: - John Benjamins publishing Company - Amsterdam - Philadelphia - 1990 -
pp. 375 à 387 (publication rendue très peu lisible par de nombreuses coquilles)
-
Le signifié de puissance des verbes
"pouvoir", "devoir", "falloir" dans : Association internationale de
psychomécanique du langage - bulletin n° 5 1988 - en collaboration avec l'U. A.
1030 du CNRS - 10 allée des Castors - 95200 Rueil-Malmaison - France - pp.
413-422
-
- Essai de définition linguistique du
mot "révolution" dans: L'idée de révolution , colloque de Chantilly
organisé en septembre 1989 par le Centre d'Histoire des Idées (Université de
Picardie) et dans le cadre du CERIC - Les cahiers de Fontenay - 1991 - pp. 29-36
-
Etude de lexicologie comparative :
Réalisations lexicales de l'archisémème "trouble de l'ordre établi" en français,
en allemand et en grec ancien en collaboration avec P. Demont et G. Rémi - Dans les Cahiers de Lexicologie
- 1992 - 1 - pp. 140
à 173
-
La "définition continue"
(développe l'exemple du verbe marcher ) - Table ronde internationale: le continu en sémantique linguistique organisée par Catherine Fuchs - Caen
22-24 juin 1992 - à paraître en anglais -
-
-la micro-évolution dans la
construction du verbe devoir: l'évolution dans la stabilité - colloque du
GEHLF Paris, 11-12 décembre 92 sur "opérateurs et constructions syntaxiques,
évolution des marques et des distributions du XIVe au XXe s." (à paraître)
-
Les figures éteintes dans le
vocabulaire de haute fréquence - à paraître dans Langue française en
décembre 1993 -
-
Jacqueline PICOCHE et Marie-Luce
HONESTE - L'expérience de l'espace et sa symbolisation, vue à travers la
polysémie des mots "bord", et "côté ", dans Faits de langue - n° 1 -
1993 - Paris - PUF - pp. 163 à 171
RESUME
Dans cet article qui traite
essentiellement de la différence entre signifié et référent, et de la langue
comme "vision du monde", l'auteur récapitule, ordonne et synthétise un certain
nombre de ses travaux consacrés à la représentation donnée par le lexique
français de l'univers extra-linguistique. Elle pense que, selon la méthode
adoptée, la spécificité de cette représentation, normalement inconsciente pour
les locuteurs, peut être complètement occultée - c'est le cas avec la méthode de
l'analyse sémique classique - ou peut être mise en lumière - c'est le cas avec
la méthode inspirée de la psycho-mécanique de Gustave Guillaume qu'elle pratique
depuis de longues années. L'essentiel de cette spécificité se trouve dans
l'organisation des polysémies. et est révélé par des comparaisons: 1) en
synchronie a) entre diverses acceptions d'un même lexème - b) entre
parasynonymes d'une même langue - c) entre mots équivalents de langue à langue -
2) en diachronie, entre les emplois d'un même mot à quelques siècles de
distance. Les principaux exemples traités sont ceux des mots marcher - devoir
- âne - révolution - bonheur - modestie - humilité - grâce - merci - ouir -
entendre - comprendre
VERSION ANGLAISE DU RESUME
à faire faire par un angliciste.
Jacqueline Picoche n'est pas assez sûre de son anglais pour la faire sans se
rendre ridicule.
Il arrive souvent qu'un procès repose
sur un problème de langue. Ex. le mot empoisonnement à propos du sang contaminé
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